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A Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), le collège Surcouf vit peut-être ses derniers mois. Dans le cadre des efforts pour plus de mixité sociale, il doit fermer à la rentrée. A moins que le tribunal administratif, saisi par les opposants, ne suspende la décision. L’histoire illustre la difficulté à gérer ces dispositifs où il n’est pas seulement question de flux (d’élèves) et de moyens mais aussi d’humain et de concertation. Dispositifs qui butent en Bretagne sur le puissant enseignement catholique.

Situé dans le quartier populaire de La Découverte, le collège Surcouf est le seul établissement REP (réseau d’éducation prioritaire) de cette ville très touristique d’où s’élancent les voiliers de la Route du Rhum. Avant la réforme transformant les ZEP en REP, il était même classé  » Eclair  » – label désignant les établissements les plus défavorisés.

Mais à Saint-Malo, les écoles perdent des élèves. Les résidences secondaires et la hausse du prix de l’immobilier poussent une partie de la population en périphérie, en particulier les jeunes familles. Et la ville perd des habitants.

Sous-effectifs

Depuis plusieurs années, les quatre collèges publics – sur les sept que compte Saint-Malo, les trois autres étant confessionnels – sont considérés en sous-effectifs. En particulier deux : Chateaubriand (208 élèves) et Surcouf (270).

C’est le conseil départemental – à majorité PS, le maire étant LR (Les Républicains) – qui lance l’offensive le 29 avril 2016.  » Si la décision de fermer un collège n’est jamais simple, annonce-t-il, elle est ici guidée par l’impératif de bonne gestion des moyens de la collectivité et de l’argent des contribuables.  »

Le département explique alors hésiter entre deux collèges où, d’après lui, le sous-effectif est le plus patent : Chateaubriand et Surcouf.

Ségrégué

Le 31 mai, la décision tombe : ce sera Surcouf. Le collège est le plus  » ségrégué  » de la ville avec 60,2% d’enfants d’origine défavorisée, contre 26,8% pour Chateaubriand.

Surcouf fermé, il y aura désormais trois secteurs affectant les élèves dans les 3 collèges publics. La nouvelle carte scolaire, arrêtée par le département en accord avec le rectorat, veillera à une répartition sociale plus équilibrée. Les élèves allant auparavant à Surcouf sortiront de leur quartier et rejoindront des collèges plus divers socialement.

Mais l’annonce de la fermeture a provoqué un choc à Surcouf parmi les familles, les enseignants… Ils dénoncent le fait de ne pas avoir été associés à la décision. Ils estiment qu’il y avait d’autres voies à explorer pour insuffler davantage de mixité, comme une nouvelle sectorisation des collèges.

Privé

Un collectif pour le maintien de Surcouf se monte. Il rassemble la plupart des syndicats – Sud, FSU, Sgen-CFDT, Se-Unsa, CGT Educ’ Action… -, des parents FCPE – désavoués par la FCPE nationale -, des associations – la Ligue des droits de l’homme, l’Amicale laïque…

C’est que nous sommes en terre bretonne, haut lieu de l’enseignement catholique. Près de la moitié des élèves malouins y sont scolarisés.

Avec la fermeture de Surcouf, les anti-fermeture s’inquiètent de l’affaiblissement du secteur public. Beaucoup redoutent aussi une fuite vers le privé de familles déstabilisées par ce chambardement – des parents plutôt aisés, inquiets de voir arriver des élèves de Surcouf dans le collège jusqu’ici protégé de leur progéniture ou encore des parents de La Découverte cherchant un établissement privé plus proche pour épargner des transports à leur enfant.

Bénédiction

Les opposants dénoncent aussi le fait que le conseil départemental, qui fait fermer Surcouf, finance l’agrandissement du collège catholique Sainte Jeanne d’Arc. Le plus huppé des trois établissements privés, avec 41,1% des élèves d’origine favorisée.

 » Le privé est aux aguets, une affaire comme ça est une bénédiction pour lui « , s’inquiète Jean-Claude Robert, responsable départemental de la fédération des délégués de l’éducation nationale, qui défend le maintien de Surcouf au nom du service public de l’éducation.

Manifestations, dont une qui tourne mal, pétition, rencontres au Rectorat… Une délégation de Surcouf, avec un député européen et une députée, est reçue à Paris rue de Grenelle. Le chef de cabinet adjoint de la ministre Najat Vallaud-Belkacem écoute. Mais rien ne se passe ensuite.

Mépris

Après les question de moyens brandis par le conseil départemental, ce sont les arguments de mixité qui sont mis en avant pour convaincre les protestataires.

Le sociologue Pierre Merle, expert sur ces questions pour le ministère, explique en substance que si l’on avait choisi de fermer Chateaubriand et laissé ouvert Surcouf, les parents des Chateaubriand auraient hésité à se reporter sur un collège  » défavorisé  » et une partie auraient fui vers le privé. Le label Education prioritaire de Surcouf aurait encore aggravé le risque.

En face, le collectif parle de  » mépris  » et s’accroche à ses arguments. Si sous-effectifs il y a, avance-t-il, on aurait pu faire venir des élèves des communes alentours. Et qu’arrivera-t-il, poursuit-il, si la démographie redémarre, ce qui serait logique car le quartier est en pleine opération de rénovation urbaine ?

Concertation

Pour remédier au manque de mixité, le collectif demande aussi à la mairie de sectoriser les écoles – elles ne le sont pas à Saint-Malo. Cela permettrait, argue-t-il, un recrutement social plus divers à l’entrée au collège.

 » Le problème principal est le manque de concertation, on se retrouve à assumer une fermeture à l’arraché « , souligne Quentin Bury, professeur de biotechnologie en Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté) à Surcouf et représentant départemental de la CGT Educ’Action.

A l’Inspection académique d’Ille-et-Vilaine, on reconnaît  » la très grande sensibilité  » des familles à ces questions de mixité et la charge humaine dès que l’on touche à l’école des enfants.  » Il y a le sentiment chez les familles de Surcouf que c’est leur collège, que si on le ferme, c’est parce que c’est dans leur quartier « . D’autres avancent une peur du changement et le conservatisme des profs …

Diocésain

En toile de fond, il y a la question du privé. Comment faire de la mixité sans les établissement privés qui choisissent leurs élèves et accueillent en moyenne une population plus favorisée ? Les trois collèges catholiques de Saint-Malo scolarisent 9,9% d’élèves d’origine défavorisée à Sainte Jeanne d’Arc-Choisy, 17,3% au Sacré-Coeur et et 19,3% au collège Moka. En dessous de leurs homogues publics.

Lors de la préparation de ces dispositifs, les inspections académiques discutent avec le directeur diocésain, l’interlocuteur du rectorat pour l’enseignement catholique. Des rencontres généralement aimables où l’homme se montre ouvert, intéressé…

Mais les directeurs diocésains n’ont pas la main. Dans l’enseignement catholique, ce sont les chefs d’établissement qui décident chez eux. Et soucieux de préserver leurs prérogatives, ils n’entendent pas s’engager dans des dispositifs communs de mixité.

Participation

La décision du tribunal administratif de Rennes, devant lequel le collectif a déposé un référé en suspension, est attendue autour du 1er mars prochain. Les opposants y mettent leurs derniers espoirs. De son côté, la mairie LR, taclant la mauvaise décision du département PS, a aussi déposé un recours.

On ne peut s’empêcher de penser qu’en associant et en écoutant davantage les personnes concernées, les choses seraient probablement allées mieux. Cela porte un nom : la démocratie participative.

Véronique Soulé

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