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J’utilise une monnaie de classe. Cette monnaie est un véritable outil de gestion de groupe. C’est un outil de motivation, je travaille et je suis payé pour cela. Mon travail est reconnu dans la classe et il a une valeur. C’est un outil de sanction : je fais une bêtise, je paye une amende. Les amendes sont discutées et votées en conseil. Je dépense ma monnaie au marché organisé une fois par mois environ.

Stupeur mardi matin ! La banque a été dévalisée, elle est presque vide. Qui a commis le vol ? En tant que garant de l’institution, je demande au(x) voleur(s), non pas de se dénoncer, mais plutôt de rendre ce qu’ils ont volé discrètement, juste de le déposer sur mon bureau. J’argumente : « Si la classe n’a plus de monnaie, il n’y a plus d’amendes mais des punitions données par la maitresse, le marché prévu vendredi prochain ne pourra pas avoir lieu, on ne peut plus louer de matériel à la classe, bref…. tout le système est mis à mal ! Je sens l’inquiétude monter : les élèves n’avaient pas mesuré l’importance de la monnaie et la place qu’elle prend dans notre quotidien.

Arrive 15h50, c’est l’heure du rangement et des métiers. Les discussions vont bon train… On sort à 16h, j’accompagne au portail ceux qui rentrent chez eux. J’aperçois un attroupement ; des élèves de ma classe sont autour de L. Je remonte en classe : les pujaux (c’est le nom de notre monnaie) sont disposés sur ma table. Je compte. Il y en a 4353. Le montant du vol est énorme ! Je décide de provoquer un conseil extraordinaire dès le lendemain matin afin de demander une sanction applicable au(x) voleur(s).

9 h : le conseil exceptionnel est ouvert. Le silence est lourd. Je préside. Je rappelle les faits, des pujaux ont été rendus. Le conseil doit-il se contenter de cela ? La loi n’a pas été respectée, je demande une sanction. Les voleurs se désignent immédiatement. Chacun s’exprime sur ses motivations, les conditions, ce qu’il s’est passé…. On écoute, on ne juge pas, on essaie de comprendre. Les vols se déroulent pendant les récrés car certains restent en classe. M raconte : « On se met au défi : t’es pas cap de voler dans la banque ! ». Deux voleurs ont préparé une lettre pour s’excuser. Ils la lisent devant toute la classe. Le conseil est touché. A. se met à pleurer. M. en a parlé à la maison et a préparé sa lettre avec sa mère. Des élèves remarquent que les « voleurs » ont pris l’initiative de rendre la monnaie volée et de préparer une lettre d’excuse : il faut reconnaitre que c’est bien. J’acquiesce mais nous devons discuter de la sanction. Q rappelle que le conseil avait décidé il y a deux mois environ des dispositions à prendre en cas de vol. Je me souviens effectivement que nous avions parlé de cette éventualité. Les élèves avaient demandé à ce que la banque soit fermée à clé afin d’éviter cet écueil. Finalement nous n’avions pas donné suite car trop lourd à gérer.

La discussion continue sur le rapport à la loi, quelle sanction, qui doit la donner ? Un élève propose de créer le métier de juge. J’exclue d’emblée cette possibilité. « Le conseil doit prendre ses responsabilités. Nous recherchons dans le cahier du conseil et nous retrouvons la décision prise : « En cas de vol, le fautif devra rembourser la somme volée et le conseil donnera une punition ». C’est écrit noir sur blanc et cela a été voté en conseil. Nous y voilà. Mais quelle punition ? Réflexions et propositions : deux propositions apparaissent. 1) Les voleurs seront ceinture dorée de comportement. 2) Les voleurs ne passeront plus au bilan (c’est le moment de la paye) pendant un temps en rapport avec le montant volé.

Le conseil vote finalement que les voleurs peuvent choisir leur punition entre ces deux propositions. Deux choisissent de passer ceinture dorée, ils perdent tous leurs droits. Leur situation sera réexaminée à chaque conseil. Les autres choisissent de renoncer au bilan pendant 4 voire 6 semaines. Les voleurs assument parfaitement la sanction. Le conseil décide également que les parents ne seront pas prévenus car le problème a été réglé en interne et qu’il n’est pas nécessaire d’alourdir la sanction.

Ce matin, je les ai vus grandir. Ils ont discuté, proposé, voté et sont arrivés à une solution satisfaisante pour le groupe. Quel bonheur et quel plaisir de pouvoir vivre ça.

Véronique Druot

CM2 à Pujaudran (32)

La classe plaisir

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