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Comment adapter l’enseignement pour la réussite de tous les élèves ? C’est la question de fond posée par la conférence de consensus organisée par le Cnesco et l’IFé les 7 et 8 mars à Paris, en partenariat avec Le Café pédagogique. Plusieurs centaines de participants sur place, des centaines en ligne, un défilé impressionnant de chercheurs français et étrangers, un jury composé de professionnels : cette nouvelle conférence descend dans la classe pour observer les pratiques. Elle recommandera celles qui seront jugées efficaces.

« Les pays qui réussissent le mieux sont ceux qui font le lien entre la recherche et les préoccupations des praticiens ». Jean-François Chesné (Cnesco) a ouvert la première journée de la conférence de consensus sur la différenciation en rappelant l’importance de la recherche.

Ce 7 mars pas moins de 11 chercheurs se succèdent à la tribune autour de trois objectifs : définir la différenciation pédagogique, établir le lien avec le socle commun et réfléchir aux dispositifs dans la classe.

Différenciation structurelle et pédagogique

Dominique Lafontaine (université de Liège) oppose différenciation structurelle et différenciation pédagogique et présente la première. Elle montre que la différenciation structurelle est encore très présente. Ainsi le redoublement est encore très utilisé en Europe et en France même s’il a fortement baissé dans notre pays. Le système éducatif français est aussi marqué par des filières différentes au niveau lycée, des classes de niveau et de fortes inégalités entre écoles. Pour D Lafontaine, les enquêtes internationales, come Pisa , montrent que les performances des élèves sont moins élevées quand il y a différenciation structurelle, par exemple avec des filières et une orientation précoce. Elle donne en exemple la réforme polonaise de 2003 qui , en prolongeant le tronc commun, a permis d’améliorer les résultats. De même la différenciation structurelle ne conduit pas à produire une élite plus nombreuse. Elle empêche aussi la mise en place d’une différenciation pédagogique plus souple.

Mais, pour D Lafontaine, ce qui pousse les pays a abandonner la différenciation structurelle c’est une évolution des valeurs du système éducatif. L’évolution de la Pologne, où les conservateurs envisagent de rétablir des filières, devrait nous faire réfléchir. ..

Il revient à Alexia Forget, Université de Genève, d’évoquer la différenciation pédagogique. En présentant les différents moments et moyens de la différenciation, elle insiste sur quelques processus de différenciation, comme les groupes de besoin ou les tables appui : un lieu où les élèves peuvent venir chercher de l’aide. Elle insiste aussi sur l’importance de la gestion de la classe pour permettre la différenciation

Différencier peut-il nuire aux élèves ?

La différenciation pédagogique peut-elle se retourner contre les élèves ? Sabine Kahn (ULB Belgique) et Bernard Rey (ULB) vont en fait aller plus loin et interroger le rapport des élèves à l’école. « Il est urgent de sortir des pratiques d’adaptation et de l’idée que la différence est liée à la nature de l’élève pour penser qu’elle est liée à la rencontre entre des cultures différentes », explique S Kahn. Elle montre que la forme scolaire, par son obsession de faire avancer tous les élèves au même rythme est propice à la création de différences. Pour elle la différence est liée à la spécificité de la culture scolaire. « Plutot que plaider pour la remédiation, je plaide pour une médiation des univers culturels nécessitant une réflexion sur les savoirs enseignés et les compétences visées », conclue-t-elle.

Bernard Rey prolongera son raisonnement en analysant des exemples de malentendus sur le travail scolaire. « La pédagogie différenciée est pas là pour combler des manques de connaissances ou de « bases » mais pour faire partager la manière scolaire de voir les problèmes », explique-t-il.

Quelles pratiques de différenciation ?

Avec les intervenants suivants on entre dans la classe et les pratiques pédagogiques. Philippe Tremblay (Université Laval, Québec) analyse les dispositifs de co enseignement. Pour lui ils peuvent être positifs lais à condition que les enseignants soient égaux et partagent des buts communs. « Plus on pratique le co enseignement meilleur il devient » , explique P Tremblay qui parle de « mariage pédagogique ».

Par la suite trois intervenants présentent la méthode de différenciation qui leur semble la plus efficace. Clermont Gauthier, qui défend l’enseignement explicite est interrogé sur l’efficacité réelle de ses recommandations. Michel Grangeat , université de Grenoble, défend lui l’évaluation formative : des temps de classe dédiés à la métacognition. Pour lui cette méthode responsabilise les élèves et les tourne vers l’avenir. Enfin Marcel Lebrun expose les trois types de classe inversée. Il y voit la solution pour différencier les enseignements.

Et le numérique ?

Franck Amadieu, université de Toulouse, cloturera la journée avec une analyse des effets du numérique sur la différenciation pédagogique. « Dans les années 1990 on croyait que le numérique offrirait des ressources tellement riches que l’enseignement serait plus facile », explique-t-il. Depuis les recherches ont montré qu’apprendre avec un hypertexte est quelque chose d’ardu et que la richesse des apports du numérique peuvent rendre l’accès à l’information plus difficile. « La richesse apportée par le numérique peut être un piège », souligne -t-il. Les élèves peuvent facilement s’y perdre. Il faut donc aider les élèves dans l’information numérique.

Conférence menacée ?

Les conditions de réussite de la différenciation sont justement à l’ordre du jour de la seconde journée de la Conférence. André Tricot devrait y développer les idées abordées par F Amadieu. « La différenciation pédagogique est un sujet essentiel pour l’avenir de l’école. Les nouveaux programmes et les cycles sont imprégnés de cette question. Mais on va peut-être entrer dans une période où certains gouvernants jugeront qu’il n’est pas nécessaire de s’intéresser à ces questions », déclare Michel Lussault, co-organisateur au nom de l’IFé de la conférence. Raison de plus pour assister à sa seconde journée…

François Jarraud

La conférence de consensus