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Très prisé des adolescent.e.s, Instagram est un réseau social destiné au partage d’images. Peut-on en imaginer des usages pédagogiques ? Professeure d’arts plastiques au collège Mescoat à Landerneau, Lola Le Berre s’y est lancée : elle y a créé un compte d’enseignante, via lequel sont partagées les créations visuelles des élèves. La publication sur le réseau permet de valoriser leur créativité et de « faire vivre la classe après la classe ». Elle participe aussi de l’Education aux médias et à l’information. Celle des élèves qui apprennent à réfléchir à l’image, plus ou moins positive, qu’on donne de soi en ligne. Celle des enseignant.e.s, qui percevront ici combien leur identité professionnelle est désormais aussi une identité numérique. Celle de l’Education nationale peut-être, invitée à réfléchir : plutôt que diaboliser et interdire (les smartphones ou les réseaux sociaux), ne vaut-il pas mieux inventer des usages et des règles : aller chercher les élèves là où ils sont « pour les amener ailleurs » ?

Quels usages pédagogiques faites-vous d’Instagram ?

Instagram me sert pour différentes choses en classe. En premier lieu, cela permet aux élèves du collège de voir ce que les autres élèves font en classe et potentiellement de montrer aux autres (amis, famille) leur travail. Par exemple, un sixième peut voir ce que fait un troisième ou bien montrer à la maison ce que lui et les autres ont réalisé en classe. En d’autres termes, l’idée est de faire vivre la classe après la classe. C’est donc un moyen simple et efficace pour montrer et communiquer sur son travail. Deuxièmement, Instagram permet de résumer une séance, un cours par une photo : qu’est-ce qu’on choisit de montrer, de valoriser, de retenir ? Enfin, c’est une stimulation autre que la note pour les élèves : savoir que leur travail va être montré les valorise, les motive autrement.

Par exemple, la publication du jour traite d’un sujet autour du héros : chacun devait s’inventer un super pouvoir, le travail pouvait être réalisé en volume ou en dessin. Les élèves ont installé leur projet sur une table, puis une élève a pris la photo, vue du dessus, elle trouvait ça plus efficace. Ils ont proposé comme hasthags : #superheros, #fusion, #transformation, #fantastique, #couleursmaitrisées (la gestion des blancs devait être bien réfléchie). Cela nous a permis de clôturer notre séquence.

Concrètement, comment est-ce que cela se passe ?

Dans ma manière de fonctionner actuelle, j’utilise principalement Instagram en fin de cours. Je pense développer son usage à d’autres moments de la classe d’ici peu. Les élèves affichent ou exposent leurs productions en fin de séquence (au tableau, sur une table…). Ce temps permet d’échanger, de voir ce qui va, ce qui fonctionne moins bien, c’est à ce moment-là que nous gardons une trace, généralement photographique. La question du cadrage, de ce qu’on choisit de montrer ou pas, est alors abordée (pour le moment, les élèves ne doivent pas être reconnaissables sur les images).

On définit en parallèle des hashtags qui résument ce sur quoi nous avons travaillé et qui sont un appui à la verbalisation. Parfois les élèvent écrivent eux-mêmes au tableau les hashtags qu’ils proposent, parfois le travail est fait à l’oral, ou lorsque nous avons manqué de temps c’est moi qui décide du contenu de la publication. Même chose pour la photo : les élèves la font lorsqu’on a le temps, sinon je la réalise lorsqu’ils sont partis. J’utilise cet outil de manière ponctuelle, quand cela me semble intéressant, et à aucun moment je ne l’envisage comme obligatoire. Instagram reste dans mon cours un outil que j’utilise pour valoriser un projet, une classe et qui n’est pas utilisé de manière systématique.

Quel vous semble l’intérêt de publier ainsi les productions des élèves sur un réseau social plutôt que sur un ENT ?

Instagram est un outil que les élèves maîtrisent, qu’ils aiment utiliser, et qu’ils consultent énormément. J’ai ainsi voulu m’adapter à leur manière de vivre pour avoir plus de chance que la classe prenne vie en dehors, sur leurs smartphones, et soit consultée régulièrement. A mon avis, un ENT aurait probablement réduit le nombre de consultations. Le choix du support numérique s’est fait en consultant les élèves. Avant de mettre en place cet Instagram, je les ai consultés pour savoir si le projet les motivait et sur quoi il fallait que je crée cet outil d’échange. Ils ont unanimement répondu « Instagram » : ce moyen m’est donc apparu comme une évidence…

Quelles sont les éventuelles réactions et interactions des élèves et/ou des parents ?

Les élèves sont au départ étonnés. Beaucoup d’entre eux n’envisageaient pas cette application comme un outil pédagogique. J’ai dû beaucoup insister au départ sur l’aspect « scolaire » et le fait qu’à aucun moment nos vies privées (que çe soit la mienne ou la leur) n’interviendraient. Mon profil est public, pour que les curieux extérieurs (amis, familles, collègues…) puissent y jeter un coup d’œil, mais je me suis engagée à ne suivre aucun profil d’élève. Chacun doit bien rester à sa place. Ma messagerie Instagram est beaucoup plus utilisée par les élèves que ma boîte mail, les élèves semblent plus libres de poser des questions que par mail. L’aspect négatif de la chose est que malheureusement certaines dérives sont à noter, comme la publication de commentaires inutiles et vulgaires sur les images ou encore la réception de messages diffamants envoyés par des élèves via des faux-comptes… Les aléas d’utiliser un réseau public ouvert à tous…Les parents ne se sont pas pour leur part manifestés !

En quoi un tel travail sur les réseaux sociaux à l’Ecole vous semble-t-il relever aussi de l’EMI ?

Comme je viens de l’expliquer ce travail me semble pleinement participer à l’éducation aux médias et à l’information. Un des objectifs étant que les élèves se rendent compte du pouvoir de diffusion d’une information. Que peut-on dire, que peut-on montrer, à qui, pour qui et surtout que veut-on raconter et comment ? Ils découvrent également que les réseaux sociaux peuvent être utilisés dans un cadre pédagogique et pas seulement privé (et qu’il faut bien distinguer les deux).

Instagram se prête particulièrement à une utilisation via les outils mobiles, les smartphones en particulier (que le système tend à interdire) : quel vous semble leur potentiel pédagogique, de manière générale et en arts plastiques ?

Pour moi, nos smartphones ont des potentiels pédagogiques fabuleux A une condition : apprendre à s’en servir à bon escient. Effectivement, certains élèves, au début lorsque je les autorise à sortir leur téléphone vont essayer de s’amuser avec. Ils se rendent rapidement compte que la dérive entraîne de lourdes sanctions comme la confiscation, ils s’en servent très vite de façon raisonnée et intelligente ! Je pense qu’il faut exploiter le fait qu’énormément d’élèves ont dans leur poche des outils ultra-performants (dont on ne connaît sûrement pas encore tous le potentiel).

Concernant le cours d’Arts Plastiques, les smartphones permettent notamment de prendre des photos, de les retoucher, de les envoyer au professeur en temps réel (si les élèves ont internet sur leur smartphone). Les élèves sont généralement très fiers d’utiliser leurs propres outils. Les laisser utiliser des objets qu’ils aiment les incite à s’investir davantage. Ils y voient un aspect ludique alors qu’ils sont bel et bien en train de travailler. Il faut à mon avis s’adapter à leurs outils pour leur en faire découvrir d’autres usages que ceux qu’ils connaissent. Utiliser leurs outils pour les amener ailleurs. La technologie ne doit cependant pas être systématique mais doit juste faire partie des possibles au même titre que choisir d’utiliser de l’aquarelle ou du fusain.

Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentez de suivre votre exemple ?

Amusez-vous avec ce bel outil ! Demandez aux élèves de vous expliquer comment ça marche, ils connaissent ça très bien et vous apprendront avec plaisir j’espère! Fixez les règles très fermement, expliquez que c’est un support pédagogique, et que les commentaires diffamants sont punis par la loi, une mise au point nécessaire que je n’ai pas assez pris le temps de faire afin de prévenir les mauvaises surprises… Le débat est ouvert ! Vos conseils, commentaires ou questions sont les bienvenus ! A bientôt sur Instagram !

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Le compte Instagram de Madame Le Berre

Un compte Instagram de CDI

Un compte Instagram de collège

Un usage d’Instagram en lettres

Sur l’identité numérique des enseignant.e.s