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Réjouissons-nous, les princes de l’animation française sont de retour sur grand écran ! Après « Ernest et Célestine », adapté d’un roman de Daniel Pennac, récompensé notamment par le César du meilleur film d’animation en 2013, Benjamin Renner et Patrick Imbert récidivent avec « Le Grand Méchant Renard et autres contes ». Le premier transpose au cinéma sa propre bande dessinée et passe à la réalisation en association avec le second. Les deux complices concoctent ici avec leur équipe d’animateurs trois fables comiques au graphisme délicat, à la fois hilarantes et poétiques, dont les héros-quelques animaux de la ferme et autres bêtes de la campagne- n’en font qu’à leur tête et renversent bien des clichés. Les talentueux auteurs réussissent le tour de force de délivrer un message humaniste, plein de drôlerie et d’invention, empreint de l’esprit décalé des ‘Contes du chat perché’ de Marcel Aymé, parfois précipité dans un vertige de gags visuels à la Tex Avery. Un bijou d’animation, source d’enchantement à partager entre les tout-petits et les (un peu) plus grands.

Derrière le rideau rouge du théâtre

Avant chaque nouveau conte, une vedette animale monte sur scène, s’adresse à nous pour présenter l’histoire à laquelle nous allons assister, une fois le rideau rouge ouvert : « Un bébé à livrer », « Le Grand Méchant Renard » et « Le Noël parfait ». Dans ces trois fables, apparemment distinctes, nous retrouvons le même village, avec sa ferme, ses paysages de campagne aux teintes claires et douces, dont la tranquillité est mise à mal par des personnages récurrents placés dans des situations différentes. Ainsi croisons-nous un lapin un peu crétin, un canard grincheux, un chien nonchalant ou une poule acariâtre. Il serait illusoire de vouloir raconter par le menu le fol enchaînement des situations périlleuses ou cocasses dans lesquels les protagonistes se mettent. En tout cas, la cigogne qui a un coup dans le nez est prise de paresse au point de refuser de livrer aux parents qui l’attendent la nouvelle-née. L’irresponsable volatile confie le colis à d’autres animaux a priori peu aptes à se charger d’une telle mission. Le lapin et le canard (avec l’aide maladroite d’un cochon jardinier), en dépit de leur bêtise, prennent des voies détournées (à pied, en voiture, en avion) et atteignent leur but : la livraison du bébé dans les temps au domicile des parents, tout proche de leur point de départ.

Le héros le plus bluffant demeure cependant le renard, le roi du renversement des représentations habituelles. Nous le voyons en effet en pleine crise existentielle. Confronté à une poule nullement effrayée par sa dangerosité supposée, il décide de prendre des leçons de férocité auprès du loup réputé grand méchant. Malgré les cours de rattrapage donnés par le prédateur (dans des numéros d’auto-parodie à hurler de rire), notre renard ne fait peur à personne si bien que les poussins (issus d’œufs volés couvés par le renard lui-même pour les dévorer une fois nés) adoptent ce dernier comme leur vraie mère et réveillent en lui un instinct maternel insoupçonné… Notre héros en quête de méchanceté n’est pas au bout de ses peines, tandis que les spectateurs ne sont pas au bout de leurs surprises et de leur émerveillement.

Intelligence du propos, virtuosité de la mise en scène

Quelques traits dessinés au crayon, des couleurs pastels à l’aquarelle, un travail considérable des équipes d’animation et de production, sous la direction artistique de Benjamin Renner et de son acolyte Patrick Imbert, et le petit monde animalier (stylisé et familier cependant) se met à vivre sous nos yeux. Et nous tombons sous le charme. Bruits réalistes de la nature, justesse des voix des comédiens doublant les animaux, dotés chacun d’un thème musical (composition originale non redondante signée Robert Marcel Lepage), tout concourt à produire un spectacle sans mièvrerie, dans une alternance subtile entre les scènes émouvantes (mettant en jeu la famille, l’amitié, le respect de la nature, les règles de vie en communauté, l’école), les séquences d’action menées à un train d’enfer et les cascades de gags visuels jusqu’au vertige.

Benjamin Renner, auteur de la bande dessinée et du scenario avec l’aide de Jean Regnaud, dit se nourrir d’une littérature pour enfants qui va des Fables de La Fontaine aux Contes du chat perché de Marcel Aymé. Avec ce film d’animation au rythme endiablé et à la fantaisie comique déjantée, il rend aussi hommage aux inventeurs de dessins animés dans la grande tradition graphique des premiers Walt Disney. Il sait également l’ingéniosité visuelle des clowneries à la Tex Avery. Dans un autre registre, on songe encore aux aventures burlesques de l’inventeur de génie Wallace et de son chien surdoué Gromit, personnages d’animation en pâte à modeler conçus par Nick Park.

Influences affichées et détournements de représentations convenues enrichissent une démarche esthétique paradoxale. Sous la simplicité du trait, la charge comique et la puissance poétique font de « Le Grand Méchant Renard et autres contes» un film d’animation à nul autre pareil, en phase stimulante avec l’imaginaire des enfants et porté par un humour décalé auquel les adultes ne résistent pas.

Samra Bonvoisin

« Le Grand Méchant Renard et autres contes », un film de Benjamin Renner & Patrick Imbert-sortie le 21 juin 2017

Sélection : Festival international du film d’animation d’Annecy 2017