Print Friendly, PDF & Email

 » De plus faibles effectifs permettent en particulier d’offrir à chaque élève une plus grande disponibilité en temps de l’enseignant, ce qui a pour conséquence un meilleur suivi individuel des progressions dans les apprentissages et une prise en charge des difficultés plus aisée et plus efficace », explique dans cet article Bruno Suchaut. Il prend parti pour les dédoublements de CP. « Des effectifs réduits agissent également sur le climat de la classe, la gestion des relations élèves-enseignants et la régulation des relations entre élèves, rendant ainsi le contexte d’enseignement plus propice aux apprentissages. »  » Au final, et sur la base des apports de la recherche en éducation, le dédoublement des classes de CP dans les zones défavorisées apparaît être un choix à la fois peu risqué et fondé, plutôt que de continuer à déployer le dispositif PMQC qui, par ailleurs, présente un coût comparable », conlut-il.

Suite à l’élection présidentielle et à la nomination du ministre de l’Éducation nationale, plusieurs mesures ont été annoncées, dont celle visant à réduire à 12 élèves la taille des classes de CP dans les écoles les plus défavorisées. Depuis, cette mesure alimente régulièrement la chronique de l’actualité éducative et mobilise à présent une partie du monde syndical qui en appelle même à la grève pour agir sur la décision politique. À cet égard, il est intéressant de relever que ce n’est d’ailleurs pas tant la pertinence même du dispositif qui est discutée, mais le fait que celui-ci remettrait en cause la pérennité d’un autre dispositif : le « plus de maîtres que de classes » (PMQC) mis en place sous le quinquennat précédent.

L’action politique consistant le plus souvent à réaliser des choix (pertinents de préférence) sous contraintes (financières notamment), il semble a priori légitime de chercher à limiter les dépenses supplémentaires, tout en proposant une mesure porteuse d’efficacité. L’opportunité d’un glissement des moyens du dispositif PMQC vers celui des CP à 12 élèves a donc été saisie par les décideurs et c’est sur le bienfondé de ce choix que l’on doit s’interroger en mobilisant des arguments de même niveau pour chacun des deux dispositifs.

Toutefois, le débat n’a de sens que si un même objectif essentiel est visé, celui de réduire la difficulté scolaire qui touche massivement les élèves de milieu social défavorisé, dès l’entrée à l’école élémentaire. Compte tenu des problèmes auquel le système éducatif français est confronté, c’est bien ce défi prioritaire qui doit être relevé. Ce ne sont donc alors pas tant les conséquences sur les enseignants eux-mêmes ou sur la représentation qu’ils peuvent avoir de leur métier et de leurs pratiques collectives au sein de l’école qui doivent être mises en avant, mais bien les effets sur les élèves eux-mêmes en termes de maîtrise des compétences dans les apprentissages fondamentaux.

Or, cette priorité en matière d’objectif ne semble pas être partagée par tous les acteurs ou, à tout le moins, elle n’est pas toujours nettement mise en avant. De plus, les arguments mobilisés dans le débat ne relèvent pas tous du même registre. D’un côté, on dispose de résultats d’évaluations externes dont la production relève d’une méthodologie rigoureuse sur le plan scientifique et, de l’autre côté, ce sont principalement des réflexions, des constats et des interprétations qui sont avancés sans être appuyés sur des éléments de preuve concernant l’efficacité pédagogique. Ainsi, et à titre d’illustration, le texte de la pétition lancée récemment « Pour la pérennisation du dispositif Plus de maîtres que de classes » mentionne que « les équipes ont l’impression que des progrès sont perceptibles : moins d’élèves non lecteurs en fin de CP, des élèves qui produisent plus volontiers des écrits. Ils disent aussi voir des progrès sur leur engagement et leur motivation » et, plus loin, en ce qui concerne le choix des CP à 12 : «C’est une opération simple, qui présente le risque de ne pas agir sur une modulation des pratiques, mais seulement de rendre, par la réduction du nombre d’élèves, la classe plus supportable ».

La question est alors de savoir sur quelle base la décision politique peut s’appuyer et, in fine, quel choix pertinent doit être réalisé. Pour trancher, il n’est pas inutile pour cela de revenir brièvement sur les enseignements de la recherche en éducation sur chacun des deux dispositifs concernés par la future mesure (1), d’autant plus que les résultats de ces travaux scientifiques ne sont pas suffisamment connus.

Concernant en premier lieu la réduction de la taille de la classe, les revendications des principaux acteurs du monde de l’enseignement, en particulier celles des enseignants par la voie de leurs syndicats, mais aussi celles des parents, ont souvent porté sur cette question, surtout au niveau de l’école primaire. Dans l’absolu, cette revendication est légitime sur le plan pédagogique puisqu’elle est susceptible d’apporter des avantages évidents au fonctionnement quotidien de la classe. De plus faibles effectifs permettent en particulier d’offrir à chaque élève une plus grande disponibilité en temps de l’enseignant, ce qui a pour conséquence un meilleur suivi individuel des progressions dans les apprentissages et une prise en charge des difficultés plus aisée et plus efficace. Des effectifs réduits agissent également sur le climat de la classe, la gestion des relations élèves-enseignants et la régulation des relations entre élèves, rendant ainsi le contexte d’enseignement plus propice aux apprentissages.

Il y a toutefois un argument tout aussi massif que trivial qui vient s’opposer à une politique éducative visant à une réduction généralisée de la taille de la classe : c’est tout simplement le coût de la mesure. En effet, même une faible diminution du nombre d’élèves entraîne une augmentation importante des coûts. On peut par ailleurs constater que les effectifs moyens par classe ont peu évolué au fil du temps ; sur les trente dernières années, le nombre moyen d’élèves par classe du CP au CM2 n’a varié qu’entre 22 et 23 élèves. Une politique de ce type, pour des raisons évidentes de financement, doit donc être ciblée pour que l’effort budgétaire consenti soit utilisé à bon escient. Le choix de limiter la baisse des effectifs aux élèves des territoires les plus défavorisés (REP et REP +) est, à ce titre, tout à fait justifié.

De nombreuses études ont questionné la question de la taille de la classe dans des contextes éducatifs parfois très différents (2) . On a donc une image assez précise de l’effet la taille de la classe pour une large variation du nombre d’élèves, allant de toutes petites classes d’une dizaine d’enfants à des classes dépassant la centaine. Si l’on se limite à la plage de variation qui nous intéresse dans le contexte français de l’école élémentaire, les résultats peuvent être résumés ainsi. Une faible diminution de la taille de classe (par exemple passer de 23 à 21 élèves ou même de 25 à 20) n’a que très peu d’effets sur les progressions des élèves et, le plus souvent, les recherches concluent même à une absence d’effet significatif. En revanche, une forte diminution qui conduit à former des classes d’une douzaine d’élèves environ s’avère être une bonne politique qui laisse des traces notables sur les progrès des élèves, d’autant plus que ceux-ci ont des acquis initialement fragiles.

Plusieurs recherches ont contribué à ce constat dont certaines réalisées dans le contexte français (3). Au niveau des travaux anglo-saxons, on ne peut pas ne pas mentionner ceux produits à partir du célèbre projet STAR (Student Teacher Achievement Ratio) qui a vu le jour en 1985 aux États-Unis dans le Tennessee. Grâce à son protocole exemplaire sur le plan scientifique, les conclusions publiées sur la base du projet STAR peuvent être considérés comme robustes (4). Ils montrent que les classes à petit effectif ont obtenu de meilleurs résultats à chacun des degrés scolaires considérés, tant en mathématiques qu’en lecture. Il a également été constaté que l’effet lié à la réduction de la taille de classe était plus marqué pour les élèves ayant passé davantage d’années dans des classes de petite taille. En outre, l’impact de la réduction de la taille de classe est nettement plus fort pour les élèves issus des minorités ou de milieux défavorisés (5).

En second lieu, concernant le dispositif PMQC, le deuxième enseignement majeur du projet STAR est le fait que les enseignants assistants (adulte surnuméraire) n’ont bénéficié, ni aux enseignants titulaires de la classes (ceux-ci ayant une préférence pour des classes de petits effectifs sans aide supplémentaire), ni aux élèves puisque leurs performances scolaires sont inférieures à celles des élèves fréquentant une classe à effectifs réduits. Par ailleurs, ces performances ne diffèrent pas de celles des élèves scolarisés dans des classes à effectifs ordinaires qui ne bénéficient pas d’assistant. Des recherches conduites en Angleterre (6) dans le cadre d’un autre projet de grande ampleur, nommé DISS (The Deployment and Impact of Support Staff) ont produit des résultats qui vont dans le même sens. Les évaluations des progrès des élèves se sont révélées très décevantes dans les différentes dimensions étudiées ; des effets fortement négatifs de l’aide apportée par les assistants d’enseignement ont même été constatés sur les acquisitions scolaires. En France, faute de disposer des résultats d’une évaluation externe du dispositif PMQC (une évaluation de la DEPP est toutefois en cours), le seul dispositif évalué selon ce principe concerne une action mise en place dans le département de la Haute-Marne pendant cinq années au début des années 2000. Ce dispositif, nommé ARTE (Aide à la Réussite de Tous les Élèves), avait pour objectif de permettre aux maîtres de certaines classes relevant de l’éducation prioritaire (de CE2, CM1 et CM2) de travailler en petits groupes pour aider les élèves en très grande difficulté scolaire et en situation précoce de rejet de l’école. Le principe général était de confier, pendant une partie du temps scolaire, les élèves les plus en difficulté à l’enseignant titulaire de la classe pendant qu’un maître supplémentaire prenait en charge le reste du groupe-classe (15 postes ont ainsi été alloués pour l’ensemble du département). Les résultats globaux de l’évaluation montrent que le dispositif ARTE n’a pas d’effet sur les progressions des élèves entre le CE2 et l’entrée au collège (7). Quand on distingue les deux modes d’encadrement des élèves (enseignant titulaire versus enseignant supplémentaire), la prise en charge par le maître titulaire n’a, en moyenne, pas d’effet dans le domaine du français, mais s’avère avoir une influence fortement négative sur les progressions en mathématiques. Au final, les effets du dispositif, par rapport aux ressources mobilisées, sont donc globalement neutres, voire même négatifs pour certains élèves.

Suite à ces résultats de recherches empiriques, l’efficacité potentielle du dispositif PMQC semble bien être interrogée. Bien entendu, la variété des modes d’organisation d’une école à l’autre peut probablement produire des effets, eux aussi variables. Pour prendre des cas extrêmes, selon que l’enseignant supplémentaire cible son action sur des prises en charge de petits groupes d’élèves de CP ou, au contraire, qu’il intervienne systématiquement en co-intervention ou en co-enseignement dans toutes les classes ou presque de l’école, les effets sur les élèves différeront. Le Ministère (précédent) a d’ailleurs produit régulièrement, et cela depuis 2013, des documents proposant des repères pour la mise en œuvre du PMQC en insistant sur la nécessité d’un cadrage du dispositif et sur l’importance du pilotage au niveau local afin d’éviter une trop forte diversité des pratiques qui pourraient nuire à l’atteinte des objectifs initiaux. La question est alors de se demander si un dispositif qui conduit à des mises en œuvre très variables peut réellement produire des résultats qui vont tous dans le même sens sur le plan des progressions des élèves à l’échelle nationale. Le volet quantitatif de l’évaluation de la DEPP sera, à ce titre, tout à fait utile.

Au final, et sur la base des apports de la recherche en éducation, le dédoublement des classes de CP dans les zones défavorisées apparaît être un choix à la fois peu risqué et fondé, plutôt que de continuer à déployer le dispositif PMQC qui, par ailleurs, présente un coût comparable. La mise en place de cette mesure à la rentrée prochaine ne sera sans doute pas possible dans toutes les écoles concernées du fait de la non disponibilité de locaux scolaires dans certaines communes. De même, comme les moyens alloués ne seront pas encore totalement déployés (des postes supplémentaires étant prévus dans les toutes prochaines années), cela contraint à cibler, dans un premier temps, les écoles situées en REP +, avant que celles relevant des REP soient concernées dans un futur proche. Les deux dispositifs (CP à 12 et PMQC) devraient donc cohabiter à la rentrée prochaine, ce qui fournira, par ailleurs, une belle opportunité d’évaluation comparative à saisir !

Bruno Suchaut

Professeur à l’Université de Lausanne, Faculté des sciences sociales et politiques.

Notes :

1 Suchaut, B. (2013). Plus de maîtres que de classes: analyse des conditions de l’efficacité du dispositif. Journées de l’innovation: innover pour refonder, 27-28 mars 2013, paris, UNESCO.

2 Meuret D. (2001), Les recherches sur la réduction de la taille des classes. Rapport pour le Haut Conseil de l’Évaluation de l’École.

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/024000197/0000.pdf

3 Piketty T. (2004), L’impact de la taille des classes et de la ségrégation sociale sur la réussite scolaire dans les écoles françaises. Une estimation à partir du panel primaire 1997. Paris School of Economics, mimeo.

Piketty T. (2004), L’impact de la taille des classes et de la ségrégation sociale sur la réussite scolaire dans les écoles françaises. Une estimation à partir du panel primaire 1997. Paris School of Economics, mimeo.

Piketty T., Valdenaire M. (2006), L’impact de la taille des classes sur la réussite scolaire dans les écoles, collèges et lycées français. Les dossiers Evaluations et Satistiques, N° 173., mimeo.

Bressoux, P., Kramarz, F., & Prost, C. (2009). Teachers’ training, class size and students’ outcomes : learning from administrative forecasting mistakes. Economic Journal, 119, 540-561.

Bressoux, P., Lima, L. (2011). La place de l’évaluation dans les politiques éducatives : le cas de la taille des classes à l’école primaire en France. Raisons éducatives (numéro dirigé par G. Felouzis et S. Hanhart (Eds.), Gouverner l’éducation par les nombres ? Usages, débats, controverses), 15, 99-123.

4 Finn J.D. (2002), Small classes in American schools : research, practice, and politics. Phi Delta Kappan, 83(7), 551-560.

Finn J.D., Achilles CM. (1999), Tenessee’s clas size study : findings, implications, misconceptions. Educational Evaluation and Policy Analysis, 21(2), 97-109.

5 Krueger A.B, Whitmore DM. (2001), Would smaller classes help close the black-white achievement gap ? Working paper #451. Princeton University.

6 Blatchford, P., Bassett, P., Brown, P. and Webster, R. (2009) ‘The effect of support staff on pupil engagement and individual attention’, British Educational Research Journal 35(5) , pp. 661-686.

Blatchford, P., Bassett, P., Brown, P., Martin, C., Russell, A.,Webster, P. (2011) ‘The impact of support staff on pupils’ ‘positive approaches to learning’ and their academic progress’, British Educational Research Journal 37, (3), pp. 443-464.

Blatchford, P., Russell, A., Webster, R. (2012), Reassessing the Impact of Teaching Assistants: How Research Challenges Practice and Policy. Abingdon, Oxon, UK : Routledge.

7 Piquée C., Suchaut B. (2004). Un maître supplémentaire dans la classe. Quels effets sur les progressions au cycle III ? Revue Française de Pédagogie, 146, janvier-mars 2004, 91-103.