Print Friendly, PDF & Email

Il n’aura fallu que quelques semaines à Jean-Michel Blanquer pour tourner la page du quinquennat précédent. Bon connaisseur de l’institution scolaire, habile, le ministre a réussi à détruire 5 années de refondation presque sans y toucher. Il lui aura suffi de lâcher la puissante force des pesanteurs internes du système. L’année 2017-2018 sera plus difficile car il devra utiliser d’autres forces pour construire. « Depuis mon arrivée, j’ai engagé ce processus afin de préserver ce qui est bon et d’améliorer ce qui ne fonctionne pas. L’ensemble de mes actions se résume en la volonté de bâtir l’école de la confiance ». Cet été, dans le JDD du 23 juillet, Jean-Michel Blanquer semble hésiter entre amélioration et construction. C’est pourtant bien une nouvelle école qu’il a commencé à mettre en place en faisant table rase des réformes précédentes. La première année scolaire du nouveau ministre devrait voir le lancement des nouveaux projets pour l’Ecole. Primaire, collège, lycée, tous les niveaux de l’Education nationale seront concernés. Pragmatique ou idéologique, la réforme sera surtout pilotée par la nouvelle rigueur budgétaire qui se profile et qui pourrait limiter les ambitions du ministre.

Une politique dans l’impasse au primaire ?

« Notre priorité c’est le primaire », ne cesse de répéter JM Blanquer. Il se fixe même comme objectif « 100% de réussite des élèves » en CP, c’est à dire 100% de réussite dans le « lire, écrire, compter et respecter autrui ». Pour cela , le ministre compte sur un nouveau dispositif : le dédoublement des classes de CP en éducation prioritaire, soit en rep+ dès cette rentrée et son extension aux classes de CP et CE1 de Rep + et Rep (l’autre composante de l’éducation prioritaire) à la rentrée 2018. Au total ce sont 2 500 postes dès cette rentrée qui doivent y être consacrés et encore 9 500 à la rentrée 2018.

A cette rentrée, selon le ministère, dans 70% des cas, les CP de Rep seront réduits à 12 élèves. Ailleurs deux maitres interviendront dans une classe de 24. Les effectifs ont pu être trouvés grâce aux concours lancés par la ministre précédente et en puisant dans les maitres surnuméraires. Le ministre se défend de détruire ce dispositif puisque, dit-il dans le JDD, « 50% des maitres plus sont maintenus ». Mais leur sort semble déjà scellé. « Les études sur tout ce qui ressemble au PDM n’ont pas donné de résultats alors que les dédoublements ont donné des résultats », affirme le ministre partout, par exemple devant le Sénat fin juin. Une affirmation qui semble pourtant bien aventurée. En attendant , pour pouvoir atteindre cet objectif, les recteurs ont aussi été amenés à remplir les autres CP et cela même dans l’éducation prioritaire : ainsi les classes de CP de l’école Küss à Paris, en Rep, devraient compter 27 élèves à la rentrée…

En 2018, pour respecter cet engagement du président, le ministre va devoir trouver 9 500 postes. Cet objectif semble impossible à atteindre par rapport au volume habituel des concours (11 000 admis en 2017), et encore moins en année d’économies budgétaires. JM Blanquer devra-t-il liquider le reste des « maitres + » et en plus, à nouveau, puiser dans les Rased, des enseignants spécialisés ? Même ainsi sera-t-il capable de respecter l’engagement présidentiel ? C’est une des équations qu’il a à résoudre cette année…

L’efficacité éventuelle de la mesure semble déjà ébréchée par la seconde grande décision du ministre : la libération des rythmes scolaires. Un décret publié fin juin permet aux mairies de revenir aux 4 jours de 6 heures de classe. Début juillet déjà 37% des communes ont fait ce choix représentant 29% des élèves. Certains départements ont basculé en bloc, comme la Martinique, la Guadeloupe, les Pyrénées orientales, la Corse ou le Var et les Alpes maritimes. Nul doute qu’à la rentrée 2018 la grande majorité des départements ne bascule.

Comment un tel détricotage a-t-il été possible aussi rapidement ? Pour revenir sur les rythmes il fallait l’accord des maires et des conseils d’école. Les maires y ont vu leur intéret : la mesure permet aux communes de diminuer leurs dépenses au moment où l’Etat réduit fortement ses versements. Dans le monde enseignant, la réforme des rythmes focalise un malaise profond. Revenir à 4 jours c’est se donner un jour pour « souffler » en milieu de semaine dans un métier qui est devenu plus difficile. C’est aussi une façon d’en finir avec un mode de gestion de l’Ecole : une réforme imposée d’en haut, dans des conditions souvent traumatisantes faute d’accompagnement. L’Etat y trouve aussi son compte : 400 millions d’aide aux communes pour le périscolaire sont appelés à disparaitre avec les nouveaux rythmes

Mais les résultats ne vont pas tarder à venir. Le ministre a beau dire que  » il n’y a pas de supériorité des 4 jours et demi sur les 4 jours », l’étude de la Depp publiée au même moment ne dit pas cela. La France est le seul pays à avoir d ‘aussi longues journées de classe sur si peu de jours. Et , pour les élèves les plus en difficulté, 4 matinées de français et de maths ne remplaceront jamais 5 matinées. Les hypothétiques bienfaits attendus en CP ne feront pas le poids face aux effets négatifs de cette mesure pour ces élèves. D’autant que la recherche montre que les difficultés dépassent le CP. En lecture, l’étude clé de R Goigoux montre que le problème principal c’est la compréhension, une compétence qui se travaille tout au long du primaire. Pas le seul déchiffrage du CP…

Le ministre a promis une politique plus vaste. On sait qu’il travaille à de nouvelles évaluations en fin de CP. Il a promis des outils pédagogiques : « les inspecteurs auront tous les outils des meilleurs spécialistes des sciences cognitives ». Déjà, à certains endroits, des instructions sont données pour imposer un manuel…

Collège : Retour en arrière

Au collège aussi JM Blanquer a réussi à détricoter très rapidement la réforme lancée par N Vallaud-Belkacem. Dans une lettre adressée aux principaux le 19 juin, JM Blanquer annonce « une nouvelle étape pour le collège » qui « donne la possibilité d' »enrichir l’offre d’enseignements des établissements ». Pour le ministre , « cette réussite passe par la consolidation des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter, respecter autrui), l’ouverture sur la culture , la projection vers l’avenir ».

Si les 3 et 4 heures d’enseignements complémentaires prévus par la réforme sont maintenues, leur gestion est libérée par l’arrêté Blanquer. Chaque collège peut les attribuer librement entre Accompagnement personnalisé (AP) et enseignement interdisciplinaire (EPI), à condition d’avoir au moins une séquence de chaque sur le cycle 4. Le contenu des EPI n’est plus défini et « un enseignement complémentaire peut être dispensé dans une langue vivante étrangère ». Tout cela permet le rétablissement des classes bilangues et des filières latin grec en puisant dans les enseignements facultatifs (les 3 heures par division) mais aussi sur le temps des enseignements complémentaires.

L’impact de cet arrêté est variable car il est paru à un moment où la rentrée était déjà finalisée. Mais JM Blanquer estime que toutes les bilangues sont déjà rétablies et le détricotage complet devrait aller vite. Là aussi le ministre a pu compter sur l’opposition générée par une réforme imposée d’en haut sans véritable concertation et accompagnement. Sera-t-il possible de maintenir le brevet actuel ? On peut en douter…

2018 devrait aussi voir la mise en place dans une partie des collèges du dispositif « devoir faits ». Cette aide aux devoirs devrait être confiée en grande partie à des jeunes du service civique, à des assistants d’éducation ou à des associations à partir de la Toussaint. Présentée comme une mesure de justice sociale, que vaudra cette aide réalisée en dehors de la classe ?

Lycée : Un vivier à venir

Mais c’est le lycée et le bac qui seront le grand chantier de 2017-2018. Le ministre souhaite lancer dès cet automne des consultations . Des conclusions seront tirées début 2018. Le nouveau bac aurait lieu en 2021 après une réforme de la seconde dès 2018-2019, puis de la première et de la terminale.

Si le débat est ouvert, ses termes sont déjà fixés dans le programme d’Emmanuel Macron. Comme nous l’a confirmé l’équipe du candidat avant l’élection présidentielle, E. Macron veut réduire le bac à 4 épreuves en examen final. Ce nouveau bac permettra une réforme de l’entrée dans le supérieur. Le bac ne donnera plus accès à n’importe quelle université. Chaque établissement supérieur pourra exiger un certain niveau dans les disciplines présentées à l’examen final du bac. Cette réforme est présentée comme permettant d’améliorer l’orientation et donc le taux de réussite des admis dans le supérieur. Mais c’est bien la sélection à l’entrée dans le supérieur que va concrètement instaurer la réforme. Et cela de la façon la plus dure, puisque chaque université pourra fixer ses seuils d’entrée filière par filière.

La réforme a un autre avantage qui explique la rapidité avec laquelle le ministre veut aboutir. En réduisant le bac à 4 ou 5 épreuves finales, il devrait aussi réduire l’offre d’enseignement. Au minimum la réforme devrait dégager de nombreuses options. Mais la pesanteur même du système devrait permettre d’aller plus loin. A quoi bon continuer à suivre des enseignements qui ne sont pas utiles pour poursuivre ses études ? Et si les élèves ne suivent plus ces enseignements , à quoi bon les maintenir ?

Les enquêtes internationales montrent que l’on dépense beaucoup plus pour le lycée en France que dans la plupart des pays de l’OCDE du fait du grand nombre d’heures d’enseignement. La réforme devrait permettre de récupérer un volume important de postes. Pile au moment où le gouvernement prévoit une réduction du nombre de fonctionnaires. N’en doutons pas. Pour l’Education nationale, le vivier ce sera la réforme du lycée…

Profs : Des satisfactions morales à quel prix ?

On l’a vu : les mesures Blanquer de cet été ont pu donner satisfaction au ras le bol des professeurs devant des réformes imposées et mal accompagnées. Mais les enseignants en payent le prix.

Le gouvernement a acté le gel du point Fonction publique et le rétablissement du jour de carence. Nul ne sait quel sera l’avenir des accords de revalorisation salariale PPCR qsui courent jusqu’en 2020. Le gouvernement semble vouloir les préserver mais parle aussi de stabiliser les dépenses publiques. Comment le PPCR sera-t-il conciliable avec les 20 milliards d’économie annoncées pour 2018 ? On est aussi peu assuré du devenir de la prime de 3000 € que le candidat Macron avait promis aux enseignants des Rep+. Le ministre « étudie les modalités de déploiement » ce qui laisse entendre qu’elle pourrait attendre encore quelques années…

Mais on touche là au budget. Un sujet qui mérite un autre article…

François Jarraud