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Malgré la chaleur pesante, l’ambiance était fraîche le 28 août à Paris à la conférence de presse de rentrée du Snuippp, la première tenue sous l’ère Macron. Si le principal syndicat du primaire apprécie la mesure-phare du nouveau quinquennat en matière éducative – le dédoublement des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire -, il apprécie beaucoup moins qu’elle se fasse aux dépens d’autres dispositifs. Deux autres sujets de mécontentement sont venus se rajouter à la veille de la rentrée : les propos du ministre Jean-Michel Blanquer ravivant la polémique stérile sur les méthodes de lecture et les suppressions annoncées d’emplois aidés dans l’éducation.

La secrétaire générale et porte parole du Snuipp Francette Popineau a commencé par tacler le nouveau ministre qui avait promis de ne pas répéter les erreurs de ses précédesseurs qui veulent chaque fois tout bousculer pour marquer leur empreinte. « Il s’était dit conscient de cela, parlant de politiques éducatives qui vivent au rythme des alternances, a-t-elle rappelé. Mais en fait, il bouge beaucoup. »

Rupture

Francette Popineau a évoqué les propos récents du ministre qui multiplie les interventions dans les medias ces derniers temps. Elle a pointé des signaux annonciateurs de changements sur le fond.

Jean-Michel Blanquer  » est en train de casser les cycles en mettant la focale sur le CP, un CP très court où dès décembre, on commencerait à trier le bon grain de l’ivraie « , a-t-elle expliqué.

« Le ministre s’inscrit aussi dans la rupture lorsqu’il évoque les questions de méthodes de lecture  » (globale et syllabique), a-t-elle poursuivi. Il se serait toutefois depuis un peu amendé dans son interview aux Echos, reconnaissant que la méthode globale – imputée aux « pédagogistes  » honnis – n’avait plus vraiment cours (si tant est qu’elle ait été massivement appliquée).

Grande promesse

L’essentiel de la conférence de presse a été consacré à la mesure la plus en vue de la rentrée, la grande promesse du candidat Macron : les classes de CP à 12 élèves, mises en place dès septembre dans les REP +, les Réseaux d’éducation prioritaire renforcés. Il s’agit d’une première étape, la réforme devant se déployer ensuite sur deux ans, dans les CE1 en REP+ et dans les CP et les CE1 en REP.

La responsable du Snuipp a reconnu qu’alléger les effectifs des classes était bienvenu. Si l’on compare aux pays de l’OCDE, a-t-elle ajouté, la France a des classes de primaire bien plus chargées avec 22,9 élèves en moyenne.

Détournement

 » Mais nous considérons que cela (les classes de CP à 12) s’est fait par le biais d’un détournement de fonds, a asséné la porte-parole du Snuipp. Ce ministère-là n’a créé aucun poste. Il s’est servi du budget précédent (hérité de la ministre Najat Vallaud-Belkacem). Alors que le nombre d’élèves attendus en primaire est en baisse, ce budget avait en effet prévu 4 500 postes supplémentaires. « 

Pour le Snuipp, il s’agit d’un  » détournement « . Une feuille de route était adjointe à ces postes supplémentaires – une vraie manne en période de disette budgétaire -, indiquant à quoi ils étaient destinés. Et cela n’a pas été respecté.

Piocher

Ils devaient servir, a précisé Francette Popineau, à  » abonder le remplacement, à recréer des postes de Rased (maîtres spécialisés dans la difficulté scolaire) après les coupes de l’ère Sarkozy, à scolariser les moins de trois ans, à ouvrir des postes de Plus de maîtres que de classes (des enseignants sans classe intervenant en soutien de leurs collègues dans une école) « …

Or, pour constituer ces CP à 12, le ministre a pioché dans ces moyens supplémentaires – prenant des postes en plus destinés aux Rased, aux remplaçants, aux Plus de maîtres que de classes, etc.

Ces CP dédoublés, a résumé Francette Popineau,  » c’est très bien si cela ne se fait pas au détriment de dispositifs prévoyant des améliorations. On va de nouveau se retrouver avec des maîtresses malades qui ne seront pas remplacées et les élèves seront alors entassés dans d’autres classes. « 

Yoyo

A propos du dispositif Plus de maîtres que de classes, la porte-parole du Snuipp a déploré  » le yoyo  » pratiqué par le ministre.  » On aurait préféré que le système soit poursuivi et qu’il y ait une évaluation « , a-t-elle regretté, rappelant l’appréciation largement positive par les enseignants du dispositif lancé par Vincent Peillon dans le cadre de la Refondation de l’école.

Au lieu de cela, sans être abandonné, le dispositif est grignoté. Selon le Snuipp, il y aura 2 900 postes de Plus de maîtres que de classes à cette rentrée contre les 4 100 prévus initialement. Ce qui signifie que 1 200 postes ont disparu et ont été réaffectés afin de mettre des enseignants dans les classes dédoublées de CP en REP+.

Inquiétudes

Pour l’avenir, la responsable du Snuipp a exprimé des inquiétudes.  » Nous nous interrogeons sur le budget « , a indiqué Francette Popineau.

Afin d’achever les dédoublements de CP et de CE1 en REP et en REP+, il faudrait créer au moins 12 000 postes selon le syndicat. « Or cette année, a poursuivi Francette Popineau, 13 000 postes ont été mis au concours de recrutement (un chiffre quasi identique à celui de l’année précédente). Et ce n’est pas avec les 4 à 5 000 postes supplémentaires prévus par le candidat Macron que l’on va y arriver. « 

Le Snuipp a par ailleurs fait le bilan des créations de postes sous le quinquennat Hollande : 10 628 postes de titulaires pour 14 000 promis, et 13 011 postes de stagiaires pour 12 500 prévus. Pour rappel, sous Sarkozy, on avait supprimé 19 000 postes dans le primaire avec 22 000 élèves supplémentaires.

Inclure

Autre inquiétude sur les moyens à cette rentrée: les 23 000 emplois aidés qui vont être supprimés dans les premier et second degrés, sur les 73 000 existants. Une décision de la ministre du Travail qui juge que le dispositif ne favorise pas l’insertion, son objectif.

« Or ces emplois nous aident énormément, a expliqué Francette Popineau, notamment pour la scolarisation des élèves en situation de handicap avec les auxiliaires de vie scolaire (les AVS, environ 50 000) « . » Et comment parler d’un pays qui inclut si on n’en donne pas les moyens ? « , a-t-elle ajouté.

La responsable en a profité pour rappeler que le Snuipp réclamait la formation et la qualification de ces personnes très précarisées, ainsi que la reconnaissance d’un nouveau métier.

Le Snuipp redoute aussi que la diminution des emplois aidés décime les rangs des aides administratives qui secondent les directeurs et les directrices d’école.  » Ils devraient alors s’occuper de toute la paperasse, des documents à remplir, et ne pourraient plus se consacrer à l’animation d’une équipe, à l’accueil des parents, au lien avec le collège… »

A l’envers

Interrogée sur une autre rupture avec le précédent quinquennat – la possibilité de revenir à la semaine des quatre jours -, Francette Popineau a eu des explications emberlificotées. Un reflet de la position confuse du syndicat, dont la base est largement hostile aux quatre jours et demi et dont la direction s’était divisée lors de la mise en place de la réforme par Vincent Peillon.

 » Nous ne disons pas que c’est beaucoup mieux, a répondu la responsable syndicale à propos des quelque 30% d’écoles revenant aux quatre jours. Nos collègues reviennent à ce qu’ils connaissent. Car les organisations n’étaient pas pertinentes avec, par exemple, des pauses méridiennes de deux heures et demie. La réforme a été pensée à l’envers, en partant de ce que les communes pouvaient faire, sans que nos collègues soient jamais consultés. « 

Le Snuipp se dit prêt à participer à une vaste consultation sur les rythmes scolaires organisée par le ministère, estimant qu’il n’y avait aucune étude probante pour trancher entre 4 jours et 4 jours et demi.  » Le débat est devant nous, la question n’est pas réglée. »

Neurosciences

Il est clair que des divergences de fond opposent le Snuipp et le ministre, l’ancien Degesco (directeur général des affaires scolaires) de Luc Chatel sous Nicolas Sarkozy. Prônant une recherche très ouverte, le syndicat a implicitement critiqué Jean-Michel Blanquer et  » son parti pris pour les neurosciences « .

Sur l’acte d’enseigner lui-même, les deux parties n’ont manifestement pas la même approche. « Avec le ministre, nous ne parlons pas de la même chose quand nous parlons d’un enfant lecteur, a expliqué Francette Popineau. Ce n’est pas seulement un enfant qui déchiffre mais un enfant qui lit et qui comprend le texte.  »

Confiance

Rien d’étonnant dés lors que la secrétaire générale du Snuipp ait appelé à plusieurs reprise à bâtir la confiance entre le ministre et les enseignants.  » On n’entretient pas la confiance avec l’école quand à quelques jours de la rentrée, on réveille de vieilles querelles  » sur les méthodes de lecture, a-t-elle regretté.

« Nous lançons un avertissement à Monsieur le ministre, a-t-elle poursuivi. Il faut travailler dans la confiance. Or elle ne se décrète pas. Il faut pour cela renvoyer des signaux meilleurs que ces derniers jours. « 

Plus largement, le Snuipp s’est prononcé pour une politique davantage axée sur la lutte contre les inégalités, ce fléau sur lequel bute l’école française. « Nous souhaitons une réorientation, une nouvelle ambition pour l’école focalisée sur la lutte contre les inégalités. » Des mots que l’on n’entend plus guère sous la nouvelle ère Macron.

Véronique Soulé

Dossier de presse du Snuipp