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« Aujourd’hui la réalité de ce que recouvre la scolarisation des enfants de deux-quatre ans est contrastée, entre une scolarisation aménagée dans le cadre d’un dispositif dédié et, à l’autre extrême, une scolarisation dans une classe qui accueille des enfants de deux à cinq ans, où la réponse et l’adaptation aux besoins des plus jeunes restent insuffisamment prises en compte ». La scolarisation des moins de trois ans est au coeur d’un débat. Longtemps simple variable d’ajustement, elle est devenue depuis la loi de Refondation un nouvel espace à conquérir pour l’Ecole. Récemment encouragée par l’OCDE, elle est aussi remise en question dans des études comme celle d’Arthue Heim. Dans ce nouveau rapport dirigé par Marie-Hélène Leloup, l’inspection prend parti en faveur de cette scolarisation. Le rapport ne cache pas la réalité et les insuffisances de la scolarisation des tout petits. Il montre son organisation et les pratiques pédagogiques. Il invite à professionnaliser davantage les toutes petites sections(TPS) et à poursuivre les efforts.

Inégalités

Développée depuis 2012 avec la volonté de « diminuer les conséquences scolaires des inégalités sociales », après avoir servi sous le quinquennat Sarkozy de variable d’ajustement, la scolarisation des moins de 3 ans ne concerne encore que 94 000 enfants soit 11% d’une génération. Un pourcentage qui recouvre de fortes inégalités. Ces 11% correspondent en fait à 19,3 % des enfants en éducation prioritaire contre 9,8 % hors éducation prioritaire.

Les conditions de scolarisation sont très inégales. « En 2015, les classes composées uniquement d’enfants de deux à trois ans sont trois fois plus nombreuses dans le secteur public que dans le secteur privé sous contrat12 et accueillent plus d’enfants, en moyenne dix-sept enfants de deux ans dans le public contre dix enfants dans le privé. Dans le secteur public, leur nombre ne cesse de croître depuis quatre ans, leur proportion parmi l’ensemble des classes de préélémentaire accueillant des enfants de moins de trois ans passant de 2 % en 2012 à 7 % en 2015. En éducation prioritaire, les classes spécifiques sont huit fois plus fréquentes : en 2015, 19,7 % des classes ne scolarisent que des enfants de moins de trois ans contre 2,6 % hors de l’éducation prioritaire, et ces classes accueillent en moyenne deux enfants de plus. La part des classes spécifiques diffère fortement selon les académies. Celles dont le nombre d’enfants de moins de trois ans est important ne les scolarisent que très peu dans des classes spécifiques. Par exemple, les classes spécifiques dans les académies de Rennes et Lille ne représentent respectivement que 0,8 % et 2,3 % des classes. À l’opposé, les académies de Créteil, Versailles et Strasbourg, qui scolarisent peu d’enfants de deux ans, ont un tiers de classes spécifiques »,explique le rapport.

C’est que cette scolarisation s eheurte à des obstacles : il faut trouver des locaux, des enseignants formés. Surtout « Les fluctuations des politiques publiques sur cette question sensible ont conduit les maires à une forme de prudence ». Le rapport estime pâr exemple que « dans les classes multi-niveaux (de la TPS à la GS), il n’y a visiblement pas d’incitation de l’école à la scolarisation des deux ans l’après-midi. Elle est nulle ou marginale. »

Résultat : les conditions de scolarisation varient énormément. Pas seulement dans le type de clase mais aussi dans les temps de scolarisation, entre scolarisation à temps plein et scolarisation à mi temps sur toute l’année ou une partie de l’année (pratique de la double rentrée en septembre et janvier).

Pratiques

Le rapport est intéressant par ce qu’il montre des pratiques dans les classes. « Dans l’ensemble des classes maternelles, hors dispositifs MTA (moins de trois ans), la mission a pu observer des constantes : un espace dédié au regroupement, généralement matérialisé par des bancs, devant le tableau ; des tables en îlots qui permettent des travaux en ateliers ; des espaces dédiés à certaines activités ; des coins jeux symboliques. Si quelques très rares classes semblent peu investies (pauvreté des coins jeux et des espaces de sollicitation, affichage peu mis en valeur), c’est précisément au plan de la variété dans les espaces dédiés que la mission a constaté des progrès sensibles. On voit réapparaître des coins déguisement, des coins dédiés aux manipulations, aux « sciences », des coins écoute, des pistes graphiques. Des enseignants sensibles à la réflexion développée dans le cadre de la scolarisation des moins de trois ans ont aussi fait évoluer l’agencement de leur classe (suppression d’armoires, de tables pour faciliter les déplacements). Cependant, contrairement à ce qui a pu être observé dans les dispositifs MTA, les coins jeux symboliques, installés dès la rentrée, sont très rarement évolutifs ».

Parler bambin condamné

Grande variété aussi pour la pédagogie du langage. « Dans les classes multiniveaux, les enseignants évoquent l’importance du langage en situation pour les petits. Mais elle n’est réelle que si la classe est pensée pour que les petits puissent bénéficier d’espace-temps dédiés. Or, dans ces classes, l’organisation est d’abord pensée pour les plus grands », ne cache pas MH Leloup. « Dans les classes de deux – trois ans, les activités langagières sont programmées dans le cadre des activités rituelles, des lectures d’albums, de projets d’apprentissage… Dans d’autres classes enfin, les intentions sont beaucoup plus difficiles à déceler. Le langage existe mais il ne s’inscrit pas dans un scénario élaboré à des fins langagières ».

Le rapport évoque aussi les travaux menés avec des chercheurs. Ainsi une école qui travaille avec le protocole conçu par Sylvie Cèbe sur la compréhension. Dans l’académie de Lyon, une vingtaine de classes suit toujours le protocole de Parler et Parler bambin, un dispositif trés fortement soutenu par JM Blanquer quand il était à la Dgesco et encore rappelé par le nouveau ministre.

L’efficacité de Parler avait été mise en question dans un rapport publié par l’inspection en 2013. MH Leloup n’hésite pas à rappeler les défauts de Parler. « les points de vigilance, mentionnés dans le rapport Évaluation de la mise en oeuvre, du fonctionnement et des résultats des dispositifs PARLER et ROLL, demeurent d’actualité. On retiendra en particulier concernant les petits la nécessaire conciliation entre les outils constitutifs du protocole à expérimenter et les situations langagières ancrées aux différents domaines d’apprentissage, fondées sur l’agir et le réussir de l’enfant en situation ».

Préconisations

Dans ses préconisations, le rapport invite à renforcer le pilotage et à rappeler des objectifs clairs au niveau local. Il demande la nomination d’un IEN spécialisé dans chaque département. Il insiste sur la gestion des moyens. « En REP+, voire en REP, dans le cas d’une scolarisation effective des enfants de moins de trois ans uniquement le matin, si la taille de l’école le justifie, compléter ce demi-emploi par un demi-emploi « Plus de maîtres que de classes », consacré au développement des compétences langagières des enfants de MS et GS, et fondé sur un cadre d’usage organisé ».

D’une façon générale, le rapport recommande le recrutement sur poste à profil dans les dispositifs moins de 3 ans pour les enseignants et les Atsem. « Ne pas affecter de professeurs des écoles stagiaires sur des classes de petite section ».

François Jarraud

Le rapport

L’inspection débranche les expérimentations Blanquer

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Dossier : scolariser les moins de trois ans

C’est bon ou pas ? (A Heim)