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Alors que le ministre de l’éducation nationale pourfend « l’égalitarisme » en éducation et demande une diversification des établissements scolaires, une nouvelle étude québécoise de l’IRUS dénonce les effets négatifs de cette politique dans la province. Elle montre les effets négatifs de la mise en concurrence des établissements par une diversification de leur offre. Pour l’IRIS c’est cette politique de diversification qui explique la chute des résultats de tous les élèves y compris les plus privilégiés. L’étude invite à remettre au centre de la politique éducative la mixité sociale. Un concept qui intéresse peu le nouveau ministre français…

Une école marquée par une diversification accrue de l’offre éducative

L’étude menée par Philippe Hurteau et Anne-Marie Duclos, publié par l’IRIS, un institut de recherche québécois sans but lucratif, indépendant et progressiste , met en relation la diversification croissante de l’école québécoise avec l’évolution négative de ses résultats.

A l’image de la France, l’école québécoise est marquée par une forte école privée fortement soutenue par l’Etat. Entre 2001 et 2013, l’école privée a vu ses effectifs élèves augmenter de 12% passant de 10% à 12% des élèves. Mais la province connait une seconde source de diversification avec les établissements publics à programmes particuliers. Ces établissements découlent de la concurrence portée par le privé.  » Avec la mise en concurrence des établissements instaurée par le privé s’institue une pression sur les écoles publiques pour que celles-ci créent ce qu’on appelle des « programmes particuliers », soit des adaptations du programme officiel ou l’adoption de systèmes pédagogiques particuliers dans certaines écoles », explique l’étude.

Le scénario de JM Blanquer

Ce scénario est exactement celui qui est recommandé par Jean-Michel Blanquer, qui a justifié le retour des classes de latin grec et des classes bilangues par cette nécessité. « Les conceptions universalisantes de l’égalité vont à l’encontre de l’égalité réelle. C’est ce qu’on a vécu à l’école depuis trop longtemps »,dit-il sur France Culture. « Le fait de vouloir faire la même chose partout, tout le temps, de la même façon, est en fait contre-productif pour les plus fragiles. C’est ma conviction profonde… C’est par plus de liberté que l’on peut aller vers plus d’égalité. C’est en déployant les initiatives, en reconnaissant la diversité des talents et des difficultés que l’on peut ensuite avoir des effets de levier sur chacun ». Sur le Nouvel Observateur , et à de nombreuses reprises, il se répète et vante un modèle d’établissement libéré de l’égalitarisme : « Mon objectif est simple, des établissements avec des équipes unies, partageant un projet éducatif fort ». Politique qui justifie aussi les postes à profil et la sélection des enseignants par les chefs d’établissement.

Diversification et écrémage

Ce que montre l’étude québécoise c’est que cette double concurrence , privé – public et entre établissements publics, qui s’est généralisée au Québec a entrainé un vaste mouvement d’écrémage des publics scolaires et fortement accru la ségrégation sociale et scolaire. Ainsi seulement 6% des écoles publiques québécoises sont déclarées « favorisées » contre 90% des privées. L’idée qu’en subventionnant le privé on l’ouvre aux classes populaires ne fonctionne pas, remarque l’IRIS.

Le mécanisme est le même dans les établissements publics à programmes particuliers. Ils scolarisent un nombre croissant d’élèves : 14% des élèves du secondaire en 2001 et 18% en 2013. Ces écoles sont sous représentées dans les secteurs défavorisés et sur représentés dans les couches sociales les plus favorisées. Au total privé et établissements publics à programmes particuliers scolarisent un tiers de la population scolaire, le tiers le plus favorisé socialement.

Des effets négatifs y compris pour les favorisés

Quels sont les effets ? L’étude relie ce développement avec la baisse de niveau général de l’école québécoise. Entre 2011 et 2015 le taux de réussite aux épreuves uniques a diminué de 8% dans le public de 2% dans le privé. « les écarts entre les taux de réussite du secteur public et du secteur privé ont presque doublé, passant de 6,3 points en 2011 à 12,6 points en 2015, toujours en faveur du privé ».

Pour l’IRIS, « la hausse des effectifs inscrits au privé a eu pour effet d’exacerber les écarts avec le secteur public, le tout, bien entendu, au détriment de la majorité des élèves, sans pour autant pousser vers le haut les résultats obtenus par la minorité inscrite au privé. Quand le privé hausse sa part d’élèves, elle le fait en choisissant les meilleurs éléments, alors que les écoles publiques conservent un bassin d’élèves relativement moins « performants ». Le discours selon lequel la concurrence entre les deux secteurs d’enseignement favorise l’amélioration des résultats scolaires ne semble donc pas avéré. C’est même le contraire, puisque nous observons une diminution de la réussite scolaire tant au public qu’au privé ».

Des résultats qui confirment ceux du Cnesco

L’IRIS souligne aussi la perte de qualité de l’éducation même pour les plus privilégiés. « L’homogénéité des contextes scolaires est néfaste pour les performances des élèves, mais aussi pour la qualité de l’expérience scolaire, les élèves développant moins de comportements de tolérance et de vivre-ensemble que s’ils et elles avaient à côtoyer des jeunes provenant de

milieux différents ».

Pour l’IRIS, « c’est la diversité et non l’homogénéisation des élèves qui est une source de bonne performance ». Une conclusion que le CNESCO avait aussi mise en lumière lors de la conférence de consensus sur la mixité sociale. Or la politique de diversification est exactement celle qu’a choisi Jean-Michel Blanquer, malgré toutes les études scientifiques qui en montrent les retombées négatives.

François Jarraud

L’étude IRIS

Blanquer sur France Culture

Dans le Nouvel Obs

Cnesco Mixité sociale : Dossier