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Le 30 octobre 2017, le premier ministre Edouard Philippe, les ministres de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal et de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer ont présenté le Plan Etudiant.e.s réformant l’accès à l’université. Les mots sont pesés, soupesés, pour ne jamais prononcer celui, inflammable, de  » sélection « . Et pourtant…

Voici quelques mots utiles pour se repérer dans le discours officiel ciselé sur la réforme universitaire. Dans un style très macronien, on y affirme  » en même temps  » le droit de tout.e bachelier.ière à poursuivre des études supérieures et celui des universités à mettre des conditions à l’entrée dans les formations.

– Attendus : l’élément de langage clé de cette réforme. Il désigne  » les connaissances et les compétences nécessaires pour réussir  » dans telle et telle formation. Soit, pour faire simple, les conditions requises pour y entrer.

Le mot a succédé à  » prérequis  » devenu trop clivant au fil de la concertation sur la réforme. Son avantage : il paraît plus inoffensif – comme synonymes, on trouve  » espéré  » ou  » souhaité « .

Pour la ministre et les président.e.s d’université, ces attendus étaient indispensables : en acceptant tout le monde à la fac, on était hyprocrite car on laissait faire une sélection par l’échec. Les étudiant.e.s les moins biens armé.e.s échouaient massivement, notamment les bacheliers.ières professionnel.le.s et dans une moindre mesure les technologiques.

Toujours suivant ce raisonnement, en fixant des attendus et en prévoyant des modules de rattrapage pour ceux et celles qui ne les possèdent pas, voire en leur proposant une année supplémentaire, on donne de meilleures chances de réussite à tou.te.s.

En face, plusieurs syndicats, comme les étudiant.e.s de l’UNEF ou les enseignant.e.s chercheurs.euses du SNESUP, dénoncent avec ces attendus une sélection qui s’immisce dans des formations jusqu’ici ouvertes à tous. Pour eux, il est hypocrite de continuer à affirmer que le bac garantit l’accès de tou.te.s au supèrieur. Ils réclament que soit garanti le principe du dernier mot à l’étudiant.e.

– Conditions : lui préférer  » attendus  » ou encore, si la phrase s’y prête, l’expression  » Oui-si « .

On peut trouver le mot dans des rapports, des compte-rendus de réunions, des discussions, etc. Mais une pudeur de gazelle empêche de l’employer officiellement. Trop limitatif : on risquerait de faire croire que la réforme vise à restreindre l’entrée des bacheliers.ières à l’université alors qu’il s’agit au contraire de faire réussir un plus grand nombre.

Pourtant clairement, comme le souhaitaient les président.e.s d’université, ce sont bien des conditions qui seront affichées à l’entrée de chaque formation. L’étudiant.e qui ne les aura pas, devra s’engager à suivre une remise à niveau.

Ces conditions seront définies nationalement – tenant compte des bulletins de première et de terminale, des résultats aux épreuves anticipées du bac, de la motivation, du projet… Chaque université pourra rajouter les siennes, les cursus n’étant pas les mêmes partout. Ce qui fait craindre des universités à plusieurs vitesses et un creusement des inégalités.

– Critères : à éviter absolument. Privilégier  » attendus  » ou, plus imagé,  » Oui-si « .

Le raisonnement est le même que précédemment. Mais ici, c’est bien pire. Les  » critères  » sont très vite vite associés au vilain terme de  » sélection » – on dit bien :  » les critères de sélection « .

Or, le premier ministre Edouard Philippe a été on ne peut plus clair le 30 octobre.  » Je n’ai jamais eu peur et je n’ai pas peur du mot sélection, a-t-il lancé bravache dans la salle Hubert Curien du ministère de l’enseignement supérieur. Mais ce n’est pas ce que nous proposons « . Et vive les attendus !

–  » Oui-si «  : expression figurant dans de jolis encadrés couleurs dans le dossier de presse et ainsi complétée :  » Oui-si (inscription conditionnée à l’acceptation d’un parcours spécifique) « .  » Dans la plupart des cas, on répondra  » oui  » (aux candidats), et dans certains cas  » oui si «  », a aussi martelé le premier ministre.

Il y a tout de même un petit oubli : le  » non « . Dans les filières en tension où l’on manque de places – STAPS, psychologie, droit… -, au départ des licences non sélectives, on ne pourra pas accueillir tou.te.s les candidat.e.s. Au lieu de l’absurde tirage au sort, on regardera désormais le dossier des candidat.e.s – le parcours, le projet, les motivations… Et ceux et celles qui ne répondent pas aux attendus seront recalé.e.s. Sans pudeur de gazelle, cela signifie dire  » non  » ou encore sélectionner.

Des créations de places ont bien été promises mais face au boum démographique, on reste loin du compte. On en prévoit 130 000 au cours du quinquennat ainsi que 2 500 emplois, alors que l’on attend 200 000 étudiant.e.s supplémentaires dans les cinq ans à venir.

La réforme prévoit par ailleurs que l’étudiant.e qui n’aura obtenu aucune des formations qu’il ou elle a demandées, s’en verra proposer une autre par le recteur ou la rectrice. Mais dans une filière de son choix ?

– Prérequis : mot qui connut une gloire éphémère. En vogue au printemps et à l’été, il a brusquement disparu à l’automne, devenu trop explosif.

Le terme – défini dans le Larousse comme  » un ensemble de conditions à remplir  » – fut lancé le 2 mars dernier par Emmanuel Macron présentant son progamme présidentiel. Vantant l’introduction de prérequis à l’université, il est déjà très précis :  » Pour une licence en sciences, ces prérequis pourront être des acquis minimaux en mathématiques, en sciences physiques ou en sciences de la vie et de la terre. Un lycéen qui n’en dispose pas pourra s’inscrire après avoir comblé ses lacunes par des cours d’été ou par la validation de modules universitaires.  »

Depuis, on ne parlait que de cela. Lassés de se voir reprocher l’échec à la fac, se jugeant impuissants face à l’arrivée de bacheliers.ières mal préparé.e.s – les pros et les technos -, les président.e.s d’université en étaient d’ardent.e.s défenseurs.euses.

En face, plusieurs syndicats – étudiants, d’enseignant.e.s chercheurs.euses … – voyaient poindre la menace d’une sélection déguisée. Au fil de la concertation, ils avaient tracé une ligne rouge : si prérequis il y a, ils ne peuvent être qu’indicatifs.

Dans son rapport sur la concertation, le 17 octobre, Daniel Filâtre soulignait l’enjeu inextricable autour du mot :  » Une question a sous-tendu en permanence les débats : les prérequis. Ils sont entendus soit comme des instruments de sélection ou d’orientation subie, soit comme un moyen d’assurer un orientation conforme aux attendus du candidat et en adéquation avec ses chances de réussite « .

Le mot était trop ingérable et il fallut s’en séparer.  » En même temps « , ça se comprend….

Véronique Soulé

L’article du Café

Le dossier de presse du Plan étudiant.e.s :

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