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Le site Un livre à part permet-il vraiment de travailler des compétences d’écriture par le plaisir de la créativité et de la collaboration ? Rien de plus probant que d’envisager une telle question par « l’expérience utilisateur ». Depuis la rentrée 2017, des enseignant.es ont d’ores et déjà testé le dispositif. Isabelle Albertini, au lycée Dumont d’Urville à Toulon, Caroline Leteinturier, au collège Alphonse Allais à Honfleur, Laure Mayer, au lycée Maurice Janetti de Saint-Maximin, nous expliquent ici les modalités du travail mené en classe, les intérêts qu’elles y ont trouvés, les potentialités de l’outil. Bilan de cette expérience d’écriture authentique : émulation et motivation, travail possible de réécriture sur les premiers jets, pédagogie différenciée, réflexion sur les possibles narratifs …

Isabelle Albertini : réécritures de fables

Vous avez participé au dispositif d’écriture en ligne « Un livre à part » : pouvez-vous expliquer comment vous avez procédé ?

Le dispositif m’a semblé ergonomique de prime abord, et impliquant pour les élèves. A l’usage, cette ergonomie présumée s’est confirmée : les élèves qui ont « cobayé » l’expérience se sont montrés enthousiastes, actifs, impliqués dans l’écriture collaborative proposée. Le fait d’écrire individuellement ou par binôme avec des contraintes et un temps fixé, puis de participer à l’élection de la meilleure production leur a plu. Ainsi étaient engagées des capacités de scripteurs, dans la première phase, puis de lecteur expert au moment des votes : en effet, au fil de la construction de la fable, voter pour une nouvelle strophe nécessitait d’une part de se décentrer de sa propre création et d’autre part d’avoir à l’esprit l’ensemble des critères de cohérence textuelle pour la production dans son ensemble.

A l’usage, le site vous parait-il facile à manier ?

Le maniement des potentialités du site n’a occasionné aucune difficulté. En effet, il offre la possibilité sur le compte enseignant de corriger, de proposer des pistes de correction puis de valider les production avant de lancer le vote. Cerise sur l’expérience, le développeur était en ligne pendant les séances : nous communiquions avec lui en direct via Twitter. Ses réponses à nos questions étaient vidéoprojetées, ce qui accentuait l’interactivité avec la classe.

Vous avez amené vos élèves à y tisser collectivement une histoire : pouvez-vous éclairer le projet d’écriture en question ?

En classe de Première S, nous travaillons sur une séquence comportant 3 fables de La Fontaine : des argumentations indirectes au service de la dénonciation d’injustices. Au terme de ces 3 lectures analytiques, nous avons lancé un travail d’imitation/actualisation de l’écriture des fables (appropriation et imitation de la langue, de la structure et des procédés du fabuliste, initiation à l’écriture d’invention pour les épreuves certificatives). Nous avons associé cette écriture à la participation au concours Florilège FIPF qui porte sur le thème du climat, ce qui constitue une forte émulation pour une lecture hors la classe. Ainsi, nous avons décidé d’écrire une fable intitulée Climatifable à la manière d’un Honnête Homme.

Quel bilan pédagogique tirez-vous de cette activité ?

Le bilan est positif sur tous les plans. Les élèves étaient impliqués et actifs, et l’enseignante ravie de ce fait. L’intérêt supplémentaire vient de ce que les écrits, qui ne sont pas encore achevés, peuvent être relus à distance, ce qui accentue la réflexivité scripturale. Les élèves peuvent bien sûr y revenir depuis leur ordinateur personnel, mais on peut créer des séances espacées pour réécrire et améliorer la production.

Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés de tester le dispositif ?

L’essayer, c’est l’adopter ! Je conseille de bien gérer le temps d’écriture, en fixant des cadres et de ne pas dépasser le temps fixé pour chaque étape avant les votes, même si pour certains élèves, la proposition reste inachevée. Le rapport temps/rythme d’écriture est un des enjeux à considérer et devient une compétence à parfaire. Enfin, je conseille à tous les enseignants de Lettres de prendre contact avec leur IAN, car ces collègues ont des ressources qu’ils transmettent pour notre plus grand bonheur, tout en nous accompagnant : le travail collaboratif tient ici toutes ses promesses.

Caroline Leteinturier : écrire avec Zola

Vous avez participé au dispositif d’écriture en ligne « Un livre à part » : pouvez-vous expliquer comment vous avez procédé ?

J’ai tout d’abord découvert @unlivreapart sur Twitter cet été, et j’ai projeté dès la rentrée de le tester avec mes élèves. J’ai donc créé un compte « enseignant » pour pouvoir y inscrire mes classes. Le site permet ensuite en quelques clics de générer des identifiants pour chaque participant et de rédiger le chapitre 1 d’une histoire. Il n’est pas obligatoire de nommer les comptes élèves, puisque ces derniers peuvent le faire eux-mêmes lors de leur première connexion. C’est d’ailleurs cette solution que j’ai choisie lors de la première séance d’écriture en 4e : les élèves se sont répartis par binômes le jour même de la première séance d’écriture et ont renseigné leurs noms grâce aux identifiants que je leur avais fournis.

L’intérêt majeur du site Un Livre à part réside dans la possibilité qu’il donne non seulement de découvrir les textes rédigés par les autres contributeurs, mais aussi de voter pour le texte préféré, une fois toutes les contributions validées par l’enseignant. Il est également possible de donner des consignes de correction pour améliorer la rédaction. Je n’ai malheureusement pas eu le temps d’exploiter totalement cette fonctionnalité.

A l’usage, le site vous parait-il facile à manier ?

L’ergonomie du site est facile à appréhender et fluide : les élèves s’en emparent sans difficulté et se mettent rapidement au travail.

Vous avez amené vos élèves à y tisser collectivement une histoire : pouvez-vous éclairer le projet d’écriture en question ?

Ce projet d’écriture prend place dans la première séquence de l’année dans une classe de 4e pour travailler sur le questionnement « La fiction pour interroger le réel ». Après avoir analysé deux œuvres picturales réalistes, j’ai proposé aux élèves d’aller à la découverte d’un premier texte : la courte nouvelle « A quoi rêvent les pauvres filles ? » d’Emile Zola a permis à la classe de faire des liens avec les tableaux et ainsi d’étayer leur réflexion sur ce questionnement. Cette nouvelle se clôt sur la phrase « Demain, elle en [des diamants] aura.» Cette phrase n’a pas manqué de susciter beaucoup de réactions et de questions !… Et c’est donc naturellement que les élèves ont proposé d’eux-mêmes d’imaginer une suite à cette histoire. Afin de stimuler l’imagination de tous, et d’instaurer une démarche de production collaborative, une banque d’idées a donc été constituée : chaque élève était invité à formuler une proposition sur une suite à donner à la nouvelle.

Comment avez-vous mené le travail d’écriture en lui-même ?

Le travail d’écriture en lui-même s’est déroulé sur trois séances. Au préalable, sur le site, j’ai utilisé la fonctionnalité « Nouvelle histoire » pour y noter les dernières lignes de la nouvelle de Zola, qui constituaient donc le chapitre 1 du récit à poursuivre. A l’entrée en salle informatique, les élèves ont reçu leurs identifiants de connexion ainsi qu’un tutoriel succinct du fonctionnement du site. La consigne était très simple : imaginer et raconter la suite de l’histoire de la « pauvre fille » d’Emile Zola.

A l’issue de cette première étape, j’ai procédé à la validation de chaque participation au chapitre 2 de l’histoire et ouvert le « bureau de vote ».

La deuxième séance s’est elle-même déclinée en deux temps. Tout d’abord, chaque binôme a pu découvrir cinq textes (le site permet de limiter le nombre de textes à lire) parmi ceux rédigés par les autres participants et procéder au vote. Le texte ayant obtenu le nombre de suffrages le plus important est donc devenu officiellement le chapitre 2, à partir duquel il fallait cette fois imaginer la situation finale du récit.

La rédaction du chapitre 3 de l’histoire a conduit nombre d’élèves à modifier considérablement leur projet d’écriture initial. Il a été très intéressant d’observer les différentes stratégies mises en œuvre pour s’accommoder de cette contrainte : certains binômes ont repris des événements racontés dans leur propre chapitre 2 en les adaptant (usant même du copié-collé), d’autres se sont totalement réapproprié le texte « élu » en reprenant des éléments qu’ils jugeaient essentiels pour orienter le lecteur vers une fin de l’histoire…

La dernière étape de ce travail ne s’est pas déroulée en salle informatique : j’ai projeté en classe les travaux de chaque groupe et laissé les débats s’engager. Les échanges furent riches, vifs parfois. Les éventuelles incohérences du récit, les écarts par rapport à la notion de Réalisme que nous avions déjà travaillée ont été très rapidement repérés, certains élèves n’ont pas hésité non plus à donner des conseils de rédaction à leurs camarades pour améliorer certaines productions.

Quel bilan pédagogique tirez-vous de cette activité ?

Le bilan pédagogique de ce premier travail d’écriture est très positif. Dès l’annonce de l’activité, les élèves savaient que leurs textes seraient lus par leurs camarades et que chaque production serait soumise à un vote ce qui a entraîné beaucoup d’émulation. Leur engagement dans ce travail a pu être mesuré par la volonté ouvertement déclarée par nombre d’élèves d’intéresser, voire même de surprendre le lecteur. Et à la lecture des productions, ils sont nombreux à avoir pris plaisir à imaginer et raconter le parcours et l’évolution du personnage de Zola. Les élèves sont prêts à réitérer l’expérience !

L’avantage également de la plateforme Un Livre à part est de donner à voir quasiment d’un seul coup d’œil l’ensemble des textes, et donc pour les élèves, d’envisager tout le champ des possibles que permet la création littéraire.

Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés de tester le dispositif ?

Le conseil que je donnerais aux collègues est tout simplement de se lancer dans l’aventure ! Nos élèves aiment raconter des histoires et le site Un Livre à part facilite grandement la mise en place de situations pédagogiques permettant de faire travailler leurs compétences d’écriture et de lecture et permet d’initier au travail collaboratif.

On peut imaginer beaucoup d’autres situations pédagogiques et créer des productions collaboratives originales. Pourquoi ne pas envisager une histoire entre élèves de classes différentes, sur un temps plus long, laissant la possibilité aux participants d’écrire hors la classe ?

J’ai eu la chance de pouvoir échanger avec le concepteur du site qui est constamment à l’écoute des enseignants et fait régulièrement évoluer la plateforme pour l’enrichir et faire profiter les élèves d’une expérience d’écriture authentique.

Laure Mayer : « lancez-vous ! »

Vous avez participé au dispositif d’écriture en ligne « Un livre à part » : pouvez-vous expliquer comment vous avez procédé ? A l’usage, le site vous parait-il facile à manier ?

L’écriture collaborative a le vent en poupe. Unlivreapart.fr offre la possibilité aux enseignant.es, à mon avis du primaire au lycée, de mettre leurs élèves en situation d’écriture et de lecture partagées. L’articulation lecture-écriture est l’un des points forts avec la fonctionnalité de vote : ce sont les élèves eux-mêmes qui décident après s’être lus les uns les autres de la meilleure suite à donner. La plateforme est très facile de prise en main pour l’enseignant.e : nul besoin que les élèves s’inscrivent, des codes sont générés par l’enseignant.e. L’élève n’a plus qu’à se connecter avec ses identifiants pour aboutir à sa propre partie de l’histoire. On peut désormais amorcer l’écriture grâce au dépôt d’une image ce qui libère encore l’imagination des jeunes scripteurs. Et l’enseignant.e y trouve aussi la possibilité de différencier la correction du premier jet : il peut renvoyer un texte à son auteur.e avec des consignes de correction.

Quels projets d’écriture pensez-vous pouvoir y mener ?

Les possibilités sont infinies. Quelle séquence en français ne fait pas appel à l’écriture d’invention ? Et si le récit est d’abord visé par le développeur, rien n’empêche de se varier les genres : une collègue a fait écrire une fable climatique ! Pourquoi pas une scène de théâtre voire un texte argumentatif ? J’ai évoqué récemment au cours des Mardis du numérique en Avignon, la possibilité d’utiliser le site pour l’écriture philosophique avec mon collègue IAN de philosophie… C’est à réfléchir.

Selon les niveaux et le projet de l’enseignant.e, le temps d’écriture peut être effectué en classe, par demi-groupe, en accompagnement personnalisé ou hors classe de manière totalement individuelle mais à ce moment-là, il faudra se prononcer en faveur d’un texte parmi 25 ou 30 ! Ce qui signifie évaluer les qualités intrinsèques de chaque texte, son originalité, sa capacité à mettre en œuvre une consigne imposée (ou pas) et à engager un rebondissement vers le chapitre suivant. L’écriture prend tout son sens dans l’expérience de confrontation des textes proposés par les élèves.

Quel bilan pédagogique tirez-vous des premières expériences menées ?

Tout.es les enseignant.es auxquel.les le site a été proposé ont immédiatement imaginé comment tirer parti de cet outil et l’ont facilement intégré à leur pratique. Le rapport avec l’élève s’en trouve modifié : on le voit bien en classe qui devient un espace de création collectif. Les élèves apprécient d’être lus sans être stigmatisés puisque les contributions sont anonymes. Seule l’identité du lauréat du chapitre est connue finalement. La satisfaction du (ou des) gagnant.e(s) stimule les participant.es. Il y a un véritable engouement. Un jeune collègue me disait : « mes « élèves sont à fond ! » et il ne travaille pas dans une zone facile.

Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés de tester le dispositif ?

C’est simple. Lancez-vous !

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Le site Un livre à part

Le concours mondial d’écriture collective Florilège FIPF