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En français, le masculin l’emporte sur le féminin. A quel titre ? A l’école, les filles battent les garçons à plate couture. Il est bon parfois de remettre les choses en perspective. Pour cela, on a interrogé Jean-Louis Auduc, spécialiste de l’éducation, qui depuis des années prêche dans le désert en appelant à sauver les garçons de l’échec scolaire.

– On nous apprend en classe que le masculin l’emporte sur le féminin. Est-ce que ce n’est pas un peu fort alors que les garçons sont nettement dominés par les filles à l’école ?

– En effet. Ils sont en échec scolaire en lecture et écriture et l’écart va en se creusant avec les filles. En fin de primaire, en 2003, 57% des garçons possédaient une bonne maîtrise de la langue et 60,4% des filles. En 2015, ils n’étaient plus que 53,8% contre 66,4% des filles. La règle de domination du masculin sur le féminin est même l’une des causes de leur échec !

Correction

– D’abord, pourquoi cet échec : les garçons seraient plus bêtes que nous ?

– Je vous explique, en m’appuyant sur mes recherches et celles menées dans les pays scandinaves et au Canada. Le métier d’élève consiste en cinq attitudes : écouter l’ordre, l’exécuter, réfléchir sur ce que l’on a fait, se corriger, enfin finaliser. Parce que dans une majorité de familles, ils sont encore les petits rois, les garçons s’arrêtent à la tâche 2 – exécuter – et ils sont dans le refus de toute correction. Le petit mâle de 6-7 ans ne va pas se corriger devant des filles !

En Suède où l’on est en avance sur ces questions, dans le cadre de la parité, il existe des cours spécifiques garçons pour travailler avec eux sur la correction.

Stéréotype

– Et vous dites que ça va s’aggravant ?

– On aurait pu croire que cela allait s’améliorer en grandissant. Mais non ! A partir de 8-9 ans où il apprend cette règle, le garçon se trouve conforté dans son attitude de domination et ne fait pas d’efforts pour se corriger. La grammaire renforce le stéréotype. Et l’écart filles-garçons se creuse pour le travail nécessitant une réflexion. Les décrocheurs sont ensuite massivement des garçons.

Plus tard, cela se retrouve au niveau du bac. Le bac général est très majoritairement féminin. Alors que les bacs technologique et professionnel sont masculins. En prolongeant dans le supérieur, il y a 30 ans, 33% des garçons en étaient diplômés, 32% des filles. Selon les dernières statistiques, la proportion des garçons stagne quasiment à 39%, tandis que celle des filles atteint 53% . L’échec scolaire à l’université est masculin !

Différencier


– Il faudrait enseigner différemment aux garçons pour qu’ils apprennent mieux ?

– On pourrait faire comme les Suédois et les Norvégiens, un petit peu de différenciation pédagogique. Si le garçon a des difficultés sur la correction, on organise quelques heures de classe séparée, à 6-7 ans.

Je ne propose pas d’aller jusqu’à ce que fait le Canada qui édite des manuels de lecture différents filles-garçons. Dans une très bonne étude sur l’apprentissage de la lecture, les Canadiens ont montré que la méthode syllabique convenait mieux aux garçons, réfractaires à se corriger, alors que cette méthode retardait les filles, qui avançaient plus vite avec la globale ou semi globale.

Maternelle

– Que faire pour combattre ces stéréotypes et changer les mentalités ?

– D’abord, en maternelle, on pourrait travailler sur la légitimité de se corriger, y compris en prenant les garçons un moment à part. Ensuite, il faudrait travailler avec les familles. Bien souvent, quand une petite fille met la table, on n’hésite pas à la corriger si elle dispose mal les couverts. Si c’est un garçon, on est tellement heureux qu’il fasse quelque chose qu’on ne lui dit rien.

Proximité

– Et pour en finir avec cette domination parfaitement injustifiée, que pensez-vous de l’écriture inclusive ?

– Je ne suis pas pour. Elle est trop compliquée. En tant qu’historien, je souhaite que le français retrouve ce qu’a été la langue du XIVème au XIXème siècle, jusqu’à ce que de machistes académiciens la changent pour des raisons idéologiques. Je suis pour la règle de la proximité qui était la tradition, avec le dernier nom qui détermine l’adjectif. « Je l’ai aimée des jours et des nuits entières », écrivait Alfred de Musset.

Hybride

– Finalement, pourquoi parle-t-on si peu de l’échec des garçons ?

– En France, on voit dans l’élève un être hybride, ni garçon ni fille, ni blanc ni rouge, ni africain ni maghrébin… J’ai souvent insisté pour que, au lieu de parler de 20% d’élèves en grandes difficultés à la fin du primaire, on dise 32% des garçons et 8 % de filles. Mais il n’y a rien à faire. On est le seul pays à refuser cette différence.

Or, si l’on veut construire l’égalité, il faut considérer qu’il y a des garçons et des stéréotypes à travailler. Pour les filles, il faut éviter que d’obéissantes, elles deviennent soumises. Elles acceptent la correction par docilité. Il ne s’agit pas d’une volonté de réussir, elles se glissent plus facilement dans le métier de l’élève.

Le problème est qu’en France, on refuse de considérer la personne de l’élève. Je dis parfois que les républicains du système éducatif français sont les derniers avatars du Concile de Nicée qui avait défini les anges comme des êtres sans sexe.  »

Recueilli par Véronique Soulé

Dernier ouvrage paru sur la question :  » École : la fracture sexuée « , éd. Fabert, 2016.

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