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La  »mise en filières » a été instituée par un simple décret, celui du 10 juin 1965 . Ce décret n’a été précédé d’aucune discussion de loi ayant quelque rapport avec lui, alors même qu’il changeait pourtant sensiblement l’organisation du second cycle de l’enseignement secondaire. Mais, contrairement à ce que l’on pense généralement, les lois sur l’enseignement scolaire sont rares, et rarement décisives (le ministre Jean-Michel Blanquer le sait fort bien). Il n’en va pas de même pour les décrets…

Les filières conduisant au baccalauréat se spécialisent dès la classe de seconde avec quatre séries générales : A (littéraires), B (sciences économiques et sociales), C (mathématiques), D (sciences expérimentales). Des formations techniques très spécialisées devant conduire en trois ans à un bac technologique sont mises en place : séries F (industrielles ou médico-sociales), G (techniques administratives, de gestion ou commerciales), H (techniques informatiques).

Les filières étaient présentées comme devant être un cadre fonctionnel pour une bonne orientation qui tienne compte des aptitudes et des goûts des élèves afin de les préparer, dans des cursus adaptés, à des sorties diversifiées du système scolaire (avant la vie active ou la poursuite d’études dans le supérieur). Mais elles ont été presque aussitôt hiérarchisées entre elles, les filières générales étant placées au-dessus des filières technologiques, et la filière ‘’C’’ (dite maths-sciences, rebaptisée depuis ‘’S’’ ) planant au-dessus des autres filières générales (‘’A’’, littéraire, rebaptisée ‘’L’’ ; et ‘’B’’, sciences économiques et sociales, ‘’SES’’).

La filière dominante a été convoitée bien au-delà de ce à quoi elle devait normalement (fonctionnellement) conduire, à savoir des orientations spécifiques requérant des capacités particulières dans le domaine mathématique et scientifique. Du fait de sa position dominante de filière d’excellence, elle a ouvert pratiquement à tout (et souvent en priorité ), ce qui a conduit à un certain nombre de dysfonctionnements en chaîne du système.

Dès 1983, le rapport sur les seconds cycles a souligné que « les études à dominante scientifique, détournées de leur finalité, servent en fait à définir une élite ». Depuis cette date, tous les rapports, tous les projets de réforme ont voulu « rééquilibrer les filières et les séries » en luttant contre la prééminence du bac ‘’scientifique’’ constitué en voie royale. La réforme de 1992, par exemple, a institué la Seconde de détermination générale et technologique et a simplifié les séries en les spécialisant davantage. Mais, vint-cinq ans plus tard, il faut bien constater que la série ‘’S’’ a encore renforcé sa prééminence au détriment des deux autre séries générales, en particulier de la série ‘’L’’. Sans compter, la domination ’’générale’’ sur les filières technologiques, qui a eu bien des effets pervers (en particulier en IUT où les bacheliers technologiques n’ont pas eu toute leur place, alors que les IUT leur étaient en principe destinés …)

La réforme du lycée qui a eu lieu sous la présidence de Nicolas Sarkozy et sous la houlette du ministre de l’Education nationale Luc Chatel ne s’est nullement située au niveau de ce qui avait pu être envisagé au départ de la réforme ‘’Darcos’’ (semestrialisation, modules, réductions des heures de cours pour laisser place à l’accompagnement d’autres activités au sein même des établissements, etc. ) allant dans le sens de parcours plus accompagnés et surtout plus fluides et plus diversifiés susceptibles de remettre en cause – dans une certaine mesure – la mécanique implacable (avec ses dysfonctionnements bien connus) de la hiérarchisation actuelle des filières, la domination du ‘’général ‘’sur le technologique, et la domination par dessus tout de la filière ‘’S’’.

Peut-on compter sur une  »audace » nouvelle du nouveau ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer en la matière ? Rien n’est sûr, dans un sens comme dans l’autre…

Claude Lelièvre