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Professeur de physique-chimie depuis 7 années, après plusieurs expériences entre collèges et lycées, Yann L’Hermitte a fait le choix de travailler auprès d’élèves déficients visuels en EREA. Pour harmoniser son enseignement à la spécificité de ce public, il s’est formé pendant une année complète en passant le 2CA-SH. Aujourd’hui, il va toujours plus loin dans l’adaptation de ses supports pédagogiques pour aider ses élèves à surpasser les difficultés liées à leur handicap dans le cadre d’une discipline expérimentale. Pour lui, c’est un défi quotidien basé sur beaucoup de motivation et d’autoformation.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler auprès de jeunes en situation de handicap ?

Il m’est arrivé lors d’un remplacement de courte durée d’être nommé pour quinze jours sur un établissement accueillant des élèves en situation de handicap (déficience visuelle). Cette expérience a été très enrichissante et m’a ouvert les yeux sur le monde du handicap. Lorsque je suis retourné enseigner en milieu ordinaire, je me suis rendu compte que les étayages et compensations mis en place pour des jeunes élèves déficients visuels pouvaient être mis en place pour des élèves ayant d’autres troubles cognitifs ou des élèves en grosses difficultés. Après 2 années d’enseignement en milieu ordinaire, j’ai donc demandé un poste en EREA. La particularité d’avoir des élèves en situation de handicap est que l’on se questionne sans arrêt sur les compensations qui peuvent être mises en place. On développe ainsi notre esprit créatif.

Pouvez-vous expliquer en quoi consiste la formation au 2CA-SH ?

La formation au 2CA-SH était une formation théorique et pratique pour former les enseignants au handicap. La formation portait à la fois sur le côté médical et également sur le côté pédagogique. Elle permettait d’obtenir une certification complémentaire qui valide des compétences pour l’enseignement avec des élèves en situation de handicap.

Elle est depuis cette année remplacée par le CAPPEI (Certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive). Il s’agit maintenant d’un diplôme qui spécialise et qui donne de réelles missions (comme être enseignant ressource au sein d’un établissement) . La formation devient commune pour le premier et le second degré.

Sur quel niveau travaillez-vous actuellement ? A quelles difficultés êtes-vous confronté avec vos classes ?

Je travaille sur les niveaux de collège et lycée professionnel. Je travaille avec des élèves qui vont de la 6ème à la Terminale. Les difficultés sont diverses. Il y a une grosse hétérogénéité entre les niveaux de maîtrise des outils adaptés au sein d’une même classe (matériel informatique, braille, synthèse vocale, lecture de dessins en relief). Les élèves peuvent alors décrocher du cours non pas à cause du contenu mais à cause d’un outil mal maîtrisé.

De plus, les besoins évoluent vite au cours d’une année scolaire. Un élève peut par exemple avoir besoin d’agrandissement papier puis va devoir passer sur outil informatique par souci de lisibilité puis peut se retrouver à travailler en braille si sa vue évolue. Tout ceci entraîne des prises en charges régulières tout en conservant au maximum les 26 heures de cours (pour un collégien).

La difficulté réelle est celle de l’utilisation du tiers temps. Car tous nos élèves en ont besoin et en même temps ils ont souvent besoin de davantage de temps calme et de repos que d’autres élèves. Et le temps n’est pas extensible. On se questionne alors parfois sur un parcours adapté avec une année supplémentaire ou un emploi du temps aménagé.

En lycée professionnel, on est très souvent confronté à des élèves qui ne maîtrisent pas le français (car nouvellement arrivés en France ou ayant des troubles des fonctions cognitives) et qui ne maîtrisent pas le support utilisé (le braille par exemple). Le passage à l’oral et la reformulation régulière deviennent alors très importants.

En quoi consiste l’adaptation de vos séances ? De vos supports pédagogiques ?

A chaque séance, je réfléchis à l’objectif de la séquence. Quel est le but ? A partir de là j’élabore différents « chemins » pour arriver à ces objectifs. J’adapte les supports (papier, informatique, braille) ainsi que le contenu afin que les différentes notions soient accessibles à tous. Concernant la déficience visuelle, je vais énormément jouer avec les contrastes, les couleurs, les reliefs. J’utilise des logiciels pour tracer des schémas et grâce à un « four » je réalise des schémas en relief. Pour un schéma on se pose la question de l’utile.

Dois-je tout adapter ? Peut-on simplifier une partie du schéma ? Peut-on le réaliser différemment ? Parfois, il vaut mieux passer par un texte ou une audiodescription. Les sciences physiques étant une matière expérimentale, les manipulations prennent une place très importante dans la progression. Cela est possible grâce à du matériel adapté (balances, doseurs et thermomètres vocaux, colorants, étiquetage des produits en braille et en agrandi, matériel tactile). On fabrique des maquettes pour rendre plus concrets certaines notions et ce grâce à un travail d’équipe poussé.

En plus des compensations matérielles, il faut penser à l’adaptation du contenu car beaucoup d’élèves ont des troubles cognitifs associés. Je vais alors différencier les contenus (essentiel ou approfondissement, nombre d’exercices, temps d’activité, nombre d’étapes), les structures (organisation spatiale dans la classe, groupes de niveaux, groupes de profil d’apprentissage), les productions (complexité de la tâche, oral, images, textes) et les processus d’apprentissage (centres d’intérêts, projets, expériences personnelles).

Quelles satisfactions trouvez-vous à enseigner en EREA ?

En EREA, les effectifs sont faibles (12 élèves maximum par classe) ce qui permet de connaître réellement les élèves et de voir les évolutions et les progrès. On peut proposer plus facilement au sein d’une même classe différents supports et différents contenus qui soient accessibles à tous (déficients visuels avec ou sans troubles associés).

On se rend compte, année après année, que les élèves deviennent de plus en plus autonomes grâce en particulier au cadre serein et à une équipe pédagogique motivée, dynamique et en permanente réflexion. Notre objectif est de les rendre autonomes afin qu’ils partent de cet établissement avec toutes les clés permettant une réussite dans leur vie future, qui sera pour beaucoup d’entre eux pleine d’obstacles.

Ma satisfaction personnelle au sein de ma matière est de faire manipuler tous mes élèves en TP de chimie et de physique. C’est très encourageant de les voir se déplacer seuls pour rechercher du matériel ou chercher gants et blouse sans aide de la part de l’enseignant.

Si vous aviez un souhait à exprimer pour favoriser la réussite des jeunes que vous accompagnez, quel serait-il ?

Il faudrait réfléchir à une meilleure efficacité de l’école inclusive en donnant les moyens qu’il faut pour que chaque élève en situation de handicap puisse être prise en charge correctement dans son établissement de secteur. Pour aller plus loin, il faudrait réfléchir aussi à une société plus inclusive pour le travail afin que nos jeunes aient de plus en plus de chances de trouver un travail de manière sereine.

Aurélie Badard