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Qu’attendre du futur programme de mathématiques au lycée ? Quel est le niveau des nouveaux lycéens en maths ? Régis Kéréneur, enseignant de mathématiques au lycée Eugène Freyssinet à Saint-Brieuc (22), livre son regard de professionnel sur sa discipline. Des besoins observés dans le calcul à la nécessité de raisonnement, tour d’horizon des perspectives ambitionnées par cet enseignant maîtrisant les programmes enseignés de la 6èmeaux classes préparatoires. « Les connaissances pyramidales posent problème quand les bases sont fragiles ». L’enseignant appelle à davantage d’ambition pour éviter les difficultés observées en études supérieures. Il propose dès le collège « des démonstrations utilisant le calcul littéral, la modélisation de situations et des justifications des propriétés d’une figure. »

Quels sont les besoins des lycéens aujourd’hui en mathématiques ? Aiment-ils les maths ?

Les principaux besoins des élèves que j’observe en seconde générale et technologique sont dans le domaine du calcul littéral. Or il est indispensable au lycée de le maîtriser pour être à l’aise dans la résolution des problèmes nécessitant l’emploi de la lettre et pour aborder plus sereinement l’étude des fonctions. Au contraire, j’observe l’apparition des « transformations géométriques » au collège qui n’ont pas d’intérêt pour le lycée. On attend d’un élève de fin de collège qu’il sache commencer à raisonner, qu’il entrevoie l’importance de la lettre, pas qu’il produise ou reproduise des frises, des pavages ou des figures quelconques… Les démonstrations en géométrie ont disparu au profit de ces « dessins ». Pourtant, savoir raisonner, argumenter, trouver des contre-exemples, n’est-ce pas ça faire des mathématiques ?

Je remarque que même l’Académie des sciences s’inquiète surtout du manque d’ambition et de la perte significative de contenu. Pourtant les élèves aiment les maths et apprécient les beaux raisonnements, les belles démonstrations. Et pour rendre ces dernières séduisantes, on peut les commencer dès le collège telles les démonstrations utilisant le calcul littéral, modélisation d’une situation, démonstrations des propriétés d’une figure.

En quoi voyez-vous une inadéquation entre les programmes de mathématiques dispensés en série ES et les classes prépa-commerce du supérieur ? Selon vous, que faudrait-il changer dans les nouveaux programmes qui arrivent ?

Professeur en terminale ES, j’enseigne aussi en « spé maths ». Cette voie est choisie par de nombreux élèves car le programme est très court (réalisable en 6 mois sans trop forcer) et facile. Les exercices proposés au bac sont toujours les mêmes : résolution matricielle de système, initiation à la théorie des graphes, graphe pondéré, graphe probabiliste.

Logiquement, cet enseignement dit « spé maths » devrait s’adresser à ceux qui continueront à faire des sciences après le bac ou qui s’intéressent aux raisonnements et à la culture mathématique.

On se rend compte que le sujet de spé maths est souvent plus facile que le sujet pour les non spé ! En effet, entre le sujet « spé » et le sujet « non spé », un seul exercice diffère et il est souvent plus aisé à résoudre.

Ceci est paradoxal : on s’attendrait plutôt à de l’approfondissement pour les élèves souhaitant continuer les sciences (prépa ECE, étude en architecture…) mais les notions rencontrées n’ont qu’un intérêt limité. Pourquoi ne pas approfondir le programme commun ? Par exemple, l’étude des fonctions et des suites plus poussée ou alors aborder des sujets ayant vraiment de l’intérêt telles les statistiques à deux variables ou encore les problèmes de modélisation.

Et en terminale S : le programme est-il ambitieux et finalement en adéquation avec les études supérieures ?

En terminale S, le programme est assez riche et complet. Il s’adresse à des élèves ayant un goût affirmé pour l’abstraction mais il sert aussi d’outil pour la physique et les SVT. Il permet des raisonnements mathématiques poussés et rigoureux. Grâce à la « spé math », on rend possible aux élèves d’approfondir les différentes notions comme l’arithmétique et les matrices. Ce programme permet surtout de se préparer aux études supérieures.

Quel est le profil de vos élèves qui réussissent le mieux ? Quelles sont leurs méthodes ? En quoi un enseignant de mathématiques peut-il faire progresser des lycéens ?

Les élèves qui réussissent le mieux sont ceux qui sont le plus à l’aise avec les calculs de bases comme les opérations, les pourcentages, le calcul littéral, les équations, les petits problèmes… d’où l’importance de généraliser le calcul mental chaque heure et dans tous les niveaux du collège.

Lorsque j’étais au collège, les dix premières minutes de chaque séance de l’année y étaient consacrées. Cela permettait de revoir des notions et même de préparer les prochains chapitres. Et j’observais des progrès chez tous les élèves.

Il faut bien comprendre que les maths sont une discipline où les connaissances sont pyramidales : il est nécessaire de bien connaître les notions rencontrées les années précédentes pour réussir. Ceci pose des problèmes lorsque les notions de bases comme la numération font défaut.

Néanmoins, on voit sur internet de nombreuses vidéos permettant de revoir des chapitres mal compris et de se remettre à niveau. Ces vidéos de 5 à 10 min permettent de revoir le cours, de le regarder plusieurs fois. Ça ne remplace pas le professeur mais ça permet de combler certaines lacunes. En terminale, par exemple, plus de 75 % de mes élèves y vont régulièrement (au moins une fois par semaine).

Enfin, je rappellerai des évidences mais souvent passées sous silence : le travail régulier permet de progresser. Pour cela, il est nécessaire de refaire les exercices, un crayon à la main et sans regarder les corrections. Je dis souvent que « les maths ne se lisent pas, elles se cherchent ». Et quelle satisfaction lorsque l’on trouve la solution à un problème après l’avoir cherchée pendant de longues minutes !

Vous qui donnez aussi des khôlles en prépa, que pensez-vous des propositions pour le futur programme de mathématiques du lycée publié par les sociétés savantes de mathématiques et d’informatique ?

Ce programme proposé par la société savante est séduisant. Il fait la part belle aux divers raisonnements, à la recherche, à l’expérimentation, à la modélisation, à l’algorithmique, à l’informatique.

En revanche, il peut paraître trop ambitieux pour des élèves qui seraient un peu trop justes au collège. Il ne faut pas oublier que la démocratisation du lycée général permet à des élèves parfois très moyens d’accéder au bac général et donc aux études supérieures. Il faut s’adapter tout en restant exigeant. Cette proposition de programme a cependant le mérite de faire preuve de cohérence et de rigueur.

Entretien par Julien Cabioch

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