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Cela semble presque aller de soi. Alors que la ségrégation ethnique et sociale est un problème majeur pour le système éducatif français, l’équation « élèves étrangers égale baisse de niveau » semble bien établie. Elle ne joue d’ailleurs pas un rôle mineur dans la ségrégation croissante entre les établissements français. Mais est-elle vraiment établie ? Denis Fougère (Liepp Sc Po), Noémie Kiefer (PSE), Olivier Monso (Depp) et Claudine Pirus (Depp) y sont allés voir de plus près dans un article paru dans Education & formations. Résultat :  » La corrélation négative brute que l’on observe entre la concentration d’enfants étrangers dans les classes et les scores des élèves de ces classes aux tests cognitifs passés en classe de sixième et de troisième est grandement réduite, voire annulée, par l’introduction de variables de contrôle ou d’effets fixes ».

Apparemment oui…

L’étude de D Fougère est basée sur un panel de collégiens entrés en 6ème en 2007 dont on peut suivre les résultats par la suite. Elle est complétée par deux enquêtes « familles » qui donnent des précisions sur la patrimoine financier et culturel de la famille. Au total 21 300 élèves ont été étudiés.

A l’entrée en 6ème, 3% des élèves sont de nationalité étrangère, 7% des élèves français ont un parent immigré et 7% deux parents immigrés.

Ces jeunes là ont des parents plus souvent en précarité que les autres. L’opposition est nette. On va trouver 6 fois plus de parents dans le 1er décile de niveau de vie chez les enfants étrangers que français « de souche ».

Les élèves étrangers et les élèves français ayant deux parents immigrés ont des résultats plus faibles à l’entrée en 6ème que les élèves français. Cette inégalité scolaire s’accompagne de ségrégation. Seulement 14% des élèves étrangers de 6ème fréquentent un établissement scolaire privé. 17% des enfants étrangers sont scolarisés dans des classes où on compte plus de 15% d’enfants étrangers contre 2% pour les enfants français de souche.

L’enquête montre aussi que les élèves scolarisés dans un établissement où il y a un fort pourcentage d’étrangers ont des résultats scolaires plus faibles. C’est lié aussi à la composition sociale des classes à fort pourcentage d’étrangers.  » Les élèves sont en moyenne plus défavorisés socioéconomiquement dans les classes à forte concentration d’étrangers (> 15 %) : en sixième, la proportion d’élèves issus d’un milieu ouvrier s’élève à 41 % dans ces classes contre 32 % dans celles ayant moins de 10 % d’élèves étrangers ».

D Fougère calcule la baisse de niveau liée au fait d’être scolarisé dans un collège à fort pourcentage d’étrangers. Une augmentation de 10% du nombre d’étrangers dans la classe se traduit par une diminution de 18% du niveau en maths et 22% en français. L’hypothèse de départ semble fondée : avoir des élèves étrangers dans sa classe fait bien baisser le niveau.

Mais pas au final…


Mais c’est là qu’intervient D Fougère.  » Cependant, cet effet apparent diminue rapidement dès que l’on ajoute des variables explicatives. Avec l’inclusion des variables de niveau scolaire à l’entrée en sixième et de redoublement à l’école primaire, le coefficient d’intérêt est diminué de moitié en mathématiques et d’un tiers en français ». Pour lui,  » la très grande majorité de la corrélation « brute » entre la part d’élèves étrangers dans la classe et les performances scolaires en fin de sixième s’interprète donc par les caractéristiques des élèves qui y sont scolarisés, et non par un effet « propre » de la nationalité des camarades de classe ».

Dernier point soulevé par D Fougère l’impact de la ségrégation sur les élèves étrangers eux mêmes.  » Les élèves étrangers apparaissent comme les premiers perdants à la ségrégation dont ils font l’objet, que cette ségrégation soit le produit de leur répartition inégale sur le territoire, des stratégies de choix de collège par les parents ou encore des pratiques de composition des classes ».

Contrairement à ce que l’évidence semblait démontrer la scolarisation avec des élèves étrangers a peu d’impact sur les résultats si l’on prend en compte les facteurs sociaux. Une réalité à faire connaitre alors que le système éducatif semble marcher vers plus de ségrégation ethnique.

François Jarraud

L’étude