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Quel sort la société indienne, très hiérarchisée, réserve-t-elle à ses enfants les plus démunis ? Comment un adolescent sans soutien ni ressources peut-il rêver d’école ? Pour son premier film, après une formation pointue en cinéma et la réalisation de plusieurs courts métrages, Miransha Naik n’oublie ni ses origines (modestes) ni sa région natale (Goa). Il choisit d’y tourner, d’y recruter des acteurs non-professionnels parmi les habitants et de les confronter aux comédiens tenant les rôles titres. Une démarche documentée, nourrie d’expériences vécues, pour raconter la vie quotidienne, âpre et difficile, de Santosh, un adolescent obstiné, résistant farouche à la tyrannie d’un potentat local et mu par une aspiration profonde à l’éducation. Résultat fécond de ce travail respectueux d’un sujet ‘ordinaire’ à des années-lumière des romances chères au cinéma de Bollywood, « L’Enfant de Goa » nous offre à la fois la chronique réaliste d’une petite communauté villageoise fragmentée et l’itinéraire terrible d’un jeune indien qui prend en main son destin avec l’énergie irréductible de ceux qui n’ont rien.

Résistance sourde, violences manifestes

Plan d’ensemble sur un misérable village de Goa en Inde. Cahutes en terre battue et couchage à même le sol pour la plupart, maisons basses en pierre pour les mieux lotis, transports par camionnettes et vélos par des chemins boueux à peine tracés entre arbres à noix de cajou, sombres forêts et clairières à rivières. C’est ici que vit Santosh avec sa grand-mère. Tous deux sont sommairement logés dans le même espace par le marchand de sommeil du coin. Comme d’autres jeunes de son âge sans soutien ni famille, le garçon de 16 ans travaille en échange de cet hébergement de fortune pour un gros homme, aux manières brutales, que ces employés maltraités appellent ‘patron’ et que certains villageois soupçonnent d’engrosser les femmes.

La caméra s’attache tout de suite aux pas de Santosh annonçant au patron qui distribue les taches : ‘j’ai un examen demain’. Une précision qui déclenche l’avertissement du prétendu employeur : ‘ne fais pas le malin !’. Une injonction partagée par la grand-mère, laquelle proteste auprès de son petit-fils (en train de lire la nuit) pour qu’il souffle la bougie, la lumière l’empêchant de dormir. Le départ du garçon au petit matin pour l’école (la route est longue, un conducteur de camion le prendra en chemin) déclenche l’ire de Juze dit ‘Slum Landlord’, le patron et logeur, ce qui contraint la vieille dame à chercher un nouvel hébergement pour son petit-fils et elle-même. Ses démarches, laborieuses en raison de leur manque de ressources, suscitent la méfiance des villageois. A cette occasion, nous percevons l’hostilité manifeste de populations pauvres à l’égard des nombreux immigrés qui viennent à Goa pour s’acquitter des travaux les moins qualifiés.

A l’école, nous voyons Santosh félicité par le maître même si l’élève, souvent silencieux, le visage fermé, ne laisse rien paraître de la satisfaction que cette réussite lui procure, un plaisir d’autant plus vif qu’il est associé aux premiers émois amoureux suscités par une jolie camarade de classe.

Environnement hostile, solitude tragique

Violences en tous genres, en particulier à l’encontre des femmes et des plus faibles, de la part du tyran du coin, préjugés racistes et attitudes discriminantes au sein même des populations du village, intimidations physiques et morales à l’encontre des quelques villageois venus en délégation auprès du conseiller et élu local réclamer la construction de routes, comme promis pendant la campagne électorale. C’est dans ce difficile contexte, au cœur d’une minuscule communauté inégalitaire et hiérarchisée, que le jeune fan d’éducation (sommé pour un temps de devenir répétiteur du fils du nanti rétif à l’étude) s’accroche à son rêve d’école.

Mais les coups et les menaces de l’oppresseur de service se multiplient, expressions ouvertes d’abus de pouvoir de plus en plus criants. Et la résistance sourde de Santosh se meut sous nos yeux en un mouvement de révolte aux conséquences dramatiques. Par un passage à l’acte brutal, l’adolescent têtu se métamorphose en justicier solitaire, redistribuant en quelques minutes les cartes et scellant son destin.

Pas de musique, peu de paroles échangées, quelques éclats de voix, une bande-son minimaliste restituant pour l’essentiel les bruissements de la nature alentour. Le traitement sans fioritures des sons entre en résonance avec l’épure de la mise en scène. Les longs plans séquences et les lents travellings cadrent largement les lieux de l’action, des modestes habitations aux grands arbres à cajou, dans l’amplitude des jours à la lumière souvent voilée. A contrario, les ténèbres, trouées par des lueurs de bougies, dans la nuit pleine de dangers, se rapprochent des corps, les étreintes sexuelles brutales ou les violences physiques inopinées voisinant avec les visages songeurs d’une femme allongée en quête d’affection ou le regard perdu d’un jeune rebelle insomniaque.

Bonne nouvelle ! Miransha Naik nous donne à voir un autre cinéma indien dans lequel humiliés et offensés ont droit de cité et un premier film sans concession où l’aspiration à une vie meilleure passe par le chemin de l’école.

Samra Bonvoisin

« L’Enfant de Goa », un film de Miransha Naik-sortie le 17 janvier 2018