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« On ne peut pas ne pas tenir compte de l’hyper-connexion des élèves. Il faut en profiter ». Richard Souchon enseigne les SES. Sa façon de profiter de l’appétence des élèves pour Internet c’est d’alimenter une chaine Youtube avec des vidéos qui tiennent lieu de manuel et qui plaisent aux élèves. Il explique pourquoi il a lancé cette chaîne Youtube et aussi de quelle façon il l’utilise pour en faire la colonne vertébrale du cours de sciences économiques et sociales. Il explique aussi ce qu’apporte un travail si chronophage.

« Comprendre des graphiques », « Qu’est ce que la socialisation », « Bourdieu »… Richard Souchon, professeur de SES au lycée Nahalat Mosche de Villeurbanne (69), multiplie les vidéos sur sa chaine Youtube au prix d’un travail intense. Mieux : il construit le cours autour des vidéos.

Pourquoi avoir choisi la vidéo et Youtube comme support de vos cours ?

L’acte d’enseigner se heurte au principe de réalité ! Les nouvelles générations d’élèves sont hyperconnectées et ont une mémoire à long terme qui est défaillante. Les élèves sont devenus myopes. Des études ont bien montré que, cérébralement, les adolescents ont du mal à se projeter dans l’avenir mais, au niveau scolaire, cela pose de plus en plus problème. Ils apprennent véritablement du jour au lendemain (et seulement quand il y a une évaluation…). Ils n’ont pas pourr habitude de répéter et de revoir plusieurs fois le cours. Ils ont du mal à rester longtemps concentrés sur l’apprentissage de leur cours sous forme scripturale. Ils se contentent le plus souvent d’une lecture rapide et pensent savoir de quoi  » parle le cours ». Or, comme le disait Aristote :  » l’excellence est un art que l’on n’atteint que par l’exercice constant. Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. L’excellence n’est donc pas une action mais une habitude. ». Il faut donc obliger les élèves à revoir plusieurs fois leur cours.

On ne peut donc pas ne pas tenir compte de l’hyper-connexion des élèves, de leur mobilité, de leur myopie et de leurs difficultés à répéter des opérations d’apprentissage du cours.

A partir de là, j’ai voulu mettre en place des vidéos faites par moi-même qui sont, à mon avis, davantage en adéquation avec leurs caractéristiques précédemment mentionnées.

Concernant l’hyper-connexion des élèves : il faut en profiter et leur proposer des supports numériques qu’ils peuvent visualiser sur leur smartphone, leur tablette, leur PC, etc. Pour leur mobilité : il faut proposer aux élèves des supports qu’ils peuvent emmener partout or il est plus facile d’avoir sur soi un fichier mp4 qu’un cours en version papier !

Quant à leur myopie : il faut leur montrer tout l’intérêt d’apprendre en continu. Dans cette optique, les élèves ont l’obligation de revoir les vidéos d’un cours à l’autre et sont systématiquement interrogés à l’oral et notés en début de cours pour vérifier l’acquisition des connaissances. La répétition est la clef de tout apprentissage.

Enfin pour leurs difficultés à répéter des opérations d’apprentissage : il faut trouver des supports de cours qui leur semblent moins rébarbatifs qu’une synthèse en version papier (même si certains s’en satisfont pleinement). S’ils y trouvent davantage d’intérêts alors ils hésiteront moins à les revoir plusieurs fois.

Quel est l’intérêt de la vidéo ?

Au niveau de la mémorisation du cours, l’intérêt des vidéos est multiple. La vidéo permet de  » voir » le cours, en dégager le cheminement logique grâce aux schémas d’implication et quelquefois introduire une dimension humoristique avec des dessins qui vont permettre de contribuer à fixer l’information. L’aspect visuel s’inscrit dans un contexte sociétal qui privilégie ce type de source (temps passé devant les écrans).

Elle permet d’écouter le cours comme si l’enseignant était présent, comme si l’élève était en classe. Or, la présence, même virtuelle, de l’enseignant est rassurante pour l’élève. Le timbre et l’intonation de sa voix lui rappellent ce que l’enseignant a pu dire en classe et permet de développer sa mémoire à long terme. De nombreux élèves  » comprennent » en classe puis  » ne comprennent plus » certains notions une fois à la maison. En ayant l’enseignant à domicile, cela peut dénouer certains problèmes de compréhension (d’autant plus que l’enseignant n’expliquera pas nécessairement de la même manière en classe et à la maison).

Elle permet aussi de mobiliser plusieurs types de mémoire qui sont parfaitement complémentaires : visuelle et auditive. Ceci est bien évidemment complété par les synthèses écrites soit effectuées par l’élève lui-même soit distribuées par l’enseignant (et retravaillées par l’élève), ce qui mobilise cette fois la mémoire kinesthésique.

Comment les utilisez vous ?

Concrètement, l’utilisation des vidéos s’inscrit dans un cheminement intellectuel composé de plusieurs étapes.

1. chaque grande partie d’un thème est précédé d’une vidéo et s’insère dans une  » activité préparatoire ». Je pose une série de questions sur la vidéo et l’élève y répond de la manière qu’il souhaite : cela peut être sous forme littéraire, de schémas, de tableaux, de carte mentale, etc. Ce travail a lieu à la maison.

2. En classe, un ou plusieurs élèves sont interrogés afin de répondre aux questions posées et de voir s’il y a d’éventuels problèmes. Cette étape est fondamentale et peut être perçue comme contraignante. Dans les faits, c’est une contrainte mais il me semble légitime de demander à ses élèves de travailler ! En début de thème les élèves ne sont interrogés que sur une vidéo. Mais ensuite ils vont e avoir 2 ou 3, ou 4. Il faut donc qu’ils prennent l’habitude de revoir le cours, une chose qu’ils ne font pas spontanément. Or la répétition permet de comprendre et de retenir pour longtemps.

3. Des exercices sont effectués. Certains d’entre eux sont des exercices type bac (deuxième ou troisième partie de l’épreuve composée). Ces activités sont effectuées soit en classe (en binômes ou en groupe de 3-4 élèves) soit à la maison. Les activités en classe facilitent la mise en place d’une pédagogie différenciée puisque les groupes ainsi constitués sont souvent hétérogènes et que l’enseignant, en passant d’un groupe à l’autre, peut individualiser les réponses aux problèmes soulevés par chaque élève. L’enseignant peut même demander à certains excellents élèves de passer de groupes en groupes et de le seconder pour davantage individualiser les réponses ! Par contre, je considère qu’il est fondamental de ne pas faire 100% de classe inversée mais de laisser les élèves travailler également individuellement. C’est pour cela que les activités sont variées et qu’il y a toujours de nombreux exercices qui sont donnés pour être effectués à la maison puis corrigés en classe. Le travail en équipe est très important et prépare très bien à la vie en entreprise mais le travail individuel, seul devant l’exercice, est aussi important car il mobilise des capacités également fondamentales.

4. D’un cours à l’autre, la vidéo doit être revue. Si l’élève préfère revoir ses notes alors il n’utilisera que ces dernières. Les élèves ont toute latitude pour utiliser le support de cours de leur choix (la vidéo, les réponses aux questions sur la vidéo, la synthèse écrite) afin de l’apprendre. En début de cours, un ou deux élèves sont interrogés à l’oral sur le contenu des vidéos et sont notés. Les élèves le savent et y sont préparés.

Il faut donc aider les élèves à mettre en place une véritable routine dans l’apprentissage du cours. Au début, ils pensent qu’ils ne vont pas y arriver (cela demande du travail) puis, petit à petit, on sent qu’ils accumulent davantage de connaissances. N’oublions pas ce que disait Sénèque (philosophe du Ier siècle) :  » Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. » Quand les élèves jouent le jeu, ils se rendent compte que cela les aide et favorise l’apprentissage du cours (et leurs révisions pour les évaluations futures). Bien évidemment, cela ne suffit pas pour réussir l’examen final qu’est le baccalauréat. Ce dernier nécessite d’autres compétences notamment d’ordre méthodologique (savoir problématiser, structurer sa pensée, comprendre et mettre en relation des documents, mobiliser des connaissances en rapport avec le sujet, etc.). Mais, connaître et comprendre son cours me semble être un préalable qui n’est malheureusement pas toujours perçu comme une évidence et une nécessité.

Réaliser les vidéos c’est un travail énorme et chronophage ?

Oui c’est chronophage. La préparation est longue et se fait en plus des autres préparations classiques. Et puis je veux que la vidéo soit parfaite ce qui prend du temps.

Pourquoi consacrer autant de temps ? Que trouvez vous dans cette approche ?

D’abord travailler de cette façon m’oblige à m’interroger sur mon cours. On ne présente pas un cours en vidéo comme un cours classique. Il faut retranscrire le cours pour qu’il se plie au schéma d’implication logique d’une vidéo. C’est un exercice intellectuel intéressant. Ca m’oblige à me mettre dans la peau d’un élève, seul devant son écran.

N’y a-t-il pas aussi une dimension affective dans le choix de la vidéo pour porter votre cours chez les élèves ?

J e ne sais pas. Mais je sais que des élèves viennent me voir à la fin du cours simplement pour que je leur redise certains points du cours. Ma présence les rassure. Dan smes vidéos je ne me filme jamais. Mais il y a ma voix.

Propos recueillis par François Jarraud

La chaine vidéo de R Souchon