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Comment les professeurs d’EPS voient-ils leur discipline dans le futur ? Pour François Lavie, président de l’Association pour l’enseignement de l’EPS (AE EPS), l’EPS sera présente dans le tronc commun et les enseignements de complément maintenus. Par contre nul ne sait le sort des enseignements facultatifs. Il demande un parcours orienté vers la filière Staps et 2 heures d’Eps en BTS…

Quel bilan pouvez-vous faire de l’enseignement de l’EPS au lycée actuellement ?

L’AE-EPS n’est pas en mesure de faire un bilan objectivé de l’EPS au lycée. Au sein de notre association pluraliste, chaque adhérent vit un monde qui lui est propre au regard de sa propre histoire, positionnement personnel et contraintes professionnelles dans le cadre éthique de notre association. Il en ressort un spectre relativement étendu de la perception de l’EPS en général et au lycée en particulier.

Pour un bilan, nous ne pouvons que nous en remettre aux différents rapports produits par l’Inspection Générale et notamment ceux publiés annuellement par la CNE (Commission Nationale des Examens EPS) qui sont consultables sur Eduscol. Toutefois, ce bilan établi à partir de l’analyse quantitative des résultats au Bac EPS de l’année précédente ne donne qu’une image partielle de l’EPS en lycée. Il permet bien sûr d’inférer sur certaines pratiques d’enseignement mais ne donne aucune information sur le degré d’adhésion ou de rejet des élèves.

De plus, le phénomène bien connu d’arrangements évaluatifs (Cogérino, 2015), brouille sans doute les cartes quant à la réussite effective des élèves. Certaines APSA, dont la maîtrise s’avère délicate au regard du référentiel national (volley-ball par exemple) sont sans doute surévaluées pour éviter une note sanction ou un découragement dans l’implication de l’élève. Rapportée à la réussite selon les épreuves, la question du genre est à l’œuvre. Contrairement à leur réussite générale dans leurs études, les filles obtiennent des résultats moindres que leurs homologues masculins, hormis celles que l’on peut qualifier de sportives. Ceci interroge sur la pertinence du choix des différentes APSA retenues dans les programmes, protocoles et modalités d’évaluation. Notons aussi que certaines compétences attendues de niveau 4 semblent assez éloignées de la réalité des capacités dont disposent un certain nombre d’élèves pour les atteindre. De plus, ces compétences tiennent peu compte de la diversité des conditions d’un établissement à l’autre.

Enfin, nous ne connaissons pas l’influence de l’enseignement de l’EPS sur la pratique future d’une activité physique. Nous savons que 40% à 60% des jeunes ne pratiquent aucune activité hormis de celles obligatoires dans le cadre scolaire. Ce pourcentage est plus marqué chez les filles et croit au fil de la scolarité. Le décrochage de la pratique d’activités physiques sportives est massif entre Bac-3/Bac +3.

Dès lors on peut s’interroger : l’EPS suscite-t-elle suffisamment, au-delà du progrès moteurs de chaque élève, une incitation à la pratique régulière ? C’est pourtant un des objectifs affichés depuis longtemps à travers l’expression « gérer sa vie physique future ». Mais force est de constater que nous ne disposons pas des outils nous permettant d’en évaluer les effets. On peut même aller jusqu’à se poser la question de la part de responsabilité de l’EPS dans la démobilisation de certains élèves envers les activités physiques et sportives. En définitive, le Lycée prépare-t-il suffisamment à une habitude de pratique autonome, régulière et durable de la vie physique après le baccalauréat ?

Comment voyez-vous l’EPS dans le futur lycée ? Comment rentrer dans le cadre des réformes qui s’annoncent ?

En préambule, je précise que les propositions qui suivent n’ont de valeurs que dans « le cadre des réformes » constitué pour le moment des seuls éléments issus des divers comptes rendus d’audition. Il est donc assez difficile de répondre à cette question à l’heure actuelle car il subsiste encore beaucoup de zones d’ombre. Il est nécessaire de l’envisager à trois niveaux :

– celui de la place et l’organisation de l’EPS au lycée et au baccalauréat,

– celui de la place des enseignements optionnels (EPS facultative en CCF et enseignement EPS d’exploration et de complément)

– et enfin celui des enjeux de l’EPS au lycée et donc de l’évolution des contenus.

Concernant le premier point, lors de notre audition par la mission Mathiot, nous avons clairement eu la sensation que peu de choses allaient changer pour l’EPS qui ferait partie du tronc commun de la seconde à la terminale. Il ne fait, semble-t-il, aucun doute que l’EPS est légitime et qu’il n’est pas question de modifier ni la quotité horaire de l’enseignement obligatoire ni l’organisation du CCF auxquelles les enseignants sont attachés. Nous avons convenu tout de même que certains ajustements seraient nécessaires et il nous est proposé de faire connaitre notre point de vue dans un document. Pour nous l’EPS n’a de sens que si elle tend à l’égalité des chances, prépare à un état actuel et futur de santé tout en permettant de mieux connaître, par la pratique, les APSA dans leur identité, en leurs traits communs et différences. Pour l’enseignement obligatoire il ne devrait pas y avoir de difficulté à ce qu’elle s’insère dans un cadre modulaire qui l’identifierait sans doute comme spécialité « mineure » au même titre que beaucoup d’autres disciplines d’enseignement…

Pour le deuxième point, nous avons compris que l’enseignement de complément EPS (4h) ainsi que les heures qui lui sont dédiées seraient maintenues sans vraiment savoir sous quelles formes. Nous attachons de l’importance à cet enseignement qui nous paraît revêtir certaines caractéristiques que nous appelons de nos vœux, notamment « la pratique réflexive » et l’usage par les élèves des outils de communication (TICE). En revanche, nous n’avons aucune information concernant l’enseignement facultatif (3h) et il semblerait que les enseignements d’exploration disparaissent (5h). Sur ces aspects, il nous a été suggéré, là encore, de renvoyer des propositions.

Nous n’avons pas eu le temps d’aborder en profondeur la question des enjeux de la discipline et des contenus qui en découlent. Ils nous semblent qu’ils sont du ressort ministériel, pour la définition d’un principe commun à toutes les disciplines, et des différents corps disciplinaires de l’EPS, dont l’Inspection générale, pour travailler la pertinence et la cohérence disciplinaire. Mais il nous a semblé toutefois qu’enjeux, contenus et modalités d’évaluation n’étaient pas vraiment perçus par nos interlocuteurs et qu’en tous cas ils ne faisaient pas partie des prérogatives de la mission.

C’est la raison pour laquelle, suite à cette audition, nous avons travaillé sur un document de propositions que l’on peut retrouver sur notre site.

Effectivement, vous faites un certain nombre de propositions concernant les enseignements optionnels. Avec la suppression probable des options facultatives et des enseignements d’exploration afin de « simplifier le diplôme » et de « supprimer des niches », quel peut être la place de l’EPS dans ce nouveau cadre ?

Une première réaction, légitime au regard de la suppression probable des options facultatives et des enseignements d’exploration, serait de s’accrocher à l’existant pour éviter les pertes d’heures.

Mais il nous semble que dans la perspective proposée par la mission Mathiot d’un lycée simplifié avec moins d’options cette stratégie n’avait aucune chance d’aboutir. En revanche, en se situant dans l’optique d’un lycée sensibilisant davantage les élèves à leurs perspectives d’études, il serait plus efficace de faire des propositions permettant ainsi l’utilisation de ces heures au service d’un parcours d’orientation personnalisé.

La question de « l’engorgement » de la filière STAPS a alimenté notre réflexion. Nous pensons que c’est le rôle de l’EPS au lycée d’influer sur une orientation efficiente des lycéens en direction de la filière universitaire liée aux métiers du sport. De nombreux étudiants se méprennent quant à nature de ces études lors de leurs deux premières années faute d’avoir eu une sensibilisation suffisante au lycée.

C’est la raison pour laquelle, nous pensons qu’un parcours orienté vers une sensibilisation aux métiers du sport et à une poursuite des études en STAPS est indispensable pour les élèves ayant une forte attirance pour la pratique des activités physiques, sportives et artistiques. D’ailleurs, dans le lycée actuel, l’enseignement de complément démontre, outre la qualité de l’enseignement dispensé que c’est une excellente propédeutique pour les élèves envisageant d’intégrer les STAPS ou, au contraire, la révélation, pour bon nombre, qu’ils ne sont pas faits pour cette orientation.

Nous préconisons donc que l’EPS devienne une spécialité « mineure » en première et en terminale et participe d’un parcours de formation personnalisé et orienté vers la poursuite d’études courtes ou longues, en lien avec la pratique d’activités physiques et sportives.

Une première proposition consiste en la transformation de l’EPS de complément et de l’option facultative, pour les établissements qui en disposent, en un enseignement de spécialité orienté vers une « une sensibilisation aux métiers du sport » et destiné à d’initier les élèves aux différentes filières longues de STAPS.

Une deuxième proposition est que l’option EPS facultative devienne une spécialité centrée principalement sur une « méthodologie de l’animation et de l’entraînement » avec le support de 2 activités physiques, sportives et artistiques(APSA) donnant accès plutôt à des formations courtes type BPJEPS en alternance, BTS métiers du sport (à créer), DEUST, …

En conséquence, la question de l’éducation aux choix en classe de seconde se poserait. Comment les élèves vont-ils pouvoir explorer des enseignements qu’ils devront choisir de manière presque définitive en première ? La piste que nous avons proposée est de transformer les « enseignements d’exploration » en « enseignements de découverte disciplinaire (EDD) » et puissent donner lieu ultérieurement à des choix de « majeures » ou de « mineures ». Ces EDD concerneraient les disciplines non enseignées en seconde mais aussi certains aspects d’une discipline du tronc commun non abordés dans le volume des heures obligatoires.

Ainsi, en seconde, les « enseignements d’exploration EPS » et « l’option facultative EPS » pourraient devenir, dans les établissements qui en bénéficient ou en auraient la possibilité, des « enseignements de découverte disciplinaire » (EDD). Ils seraient centrés sur une sensibilisation aux métiers du sport, dans l’esprit de l’enseignement d’exploration EPS actuel. Un horaire conséquent, massé, distribué ou annualisé de 2X2h par semaine serait nécessaire.

Ainsi cet EDD serait une exploration pouvant déboucher, en première, sur le choix d’une spécialité mineure « sensibilisation aux métiers du sport » ou « méthodologie de l’animation et de l’entraînement ».

Ces propositions de deux types de « mineure » ne risquent-elles pas d’apporter de la confusion ? Comment s’y reconnaître ? Cela ne va pas dans le sens de la simplification demandée…

En fait, ces deux types de mineures ne coexisteront pas dans un même établissement. Ceux qui disposent de l’enseignement de complément EPS le transformeraient en une spécialisation « sensibilisation aux métiers du sport » mobilisant, comme il le prévoit actuellement, des connaissances dans des domaines larges (sciences humaines, de la vie, de l’éducation, santé, évènementiel…). Une part importante d’analyse réflexive permet également l’accès à l’abstraction nécessaire pour poursuivre des études longues. Notons que souvent les élèves ont à mobiliser et à construire des compétences liées à l’usage des TICE (élaboration de diaporamas, de vidéos, usage de tablette). Le volume horaire actuel de 4h en première et 4h en terminale serait nécessaire pour mettre en relation la pratique d’activités physiques et sportives polyvalente avec un travail de réflexion s’appuyant en partie sur la mobilisation de connaissances issues de champs scientifiques précitées.

Quant aux établissements qui bénéficient de l’option facultative EPS, ils pourraient le faire évoluer vers « une méthodologie de l’animation et de l’entraînement » autour de 2 APSA, ce qui ne semble pas insurmontable d’un point de vue des contenus à dispenser. Certes son but initial n’était pas de préparer à une professionnalisation dans les métiers du sport mais l’objectif annoncé toutefois dans les programmes de 2010 était « de favoriser l’acquisition d’une méthodologie d’entrainement personnel qui complète les acquis méthodologiques de l’enseignement commun ». Le volume horaire actuel de 3h en première et 3h en terminale pourrait convenir. Ainsi donc, il ne serait pas nécessaire de tout bouleverser mais de faire évoluer des structures qui existent déjà dans nombre de lycées.

D’autre part, les orientations que nous proposons sont compatibles avec une transformation rapide de la seconde dès la rentrée 2018 puisque c’est la volonté affichée. Si c’est le cas, il sera impossible de produire des nouveaux textes et contenus de programmes d’ici la prochaine rentrée. Cette contrainte, qui semble immuable, a nécessairement des conséquences sur les propositions que nous avons faites. Quant à la simplification voulue elle tient surtout à la structure et l’organisation du lycée et du baccalauréat dans laquelle nous essayons de nous fondre.

Vous proposez également 2 heures d’EPS obligatoire pour toutes les sections STS (Sections de techniciens supérieurs). Pourquoi cette proposition ?

Cette proposition est en fait à resituer dans un ensemble. Une question centrale, que nous n’avons pas pu vraiment aborder lors de notre audition, mérite d’être posée à l’occasion de cette réforme. Vu le décrochage constaté pour la pratique d’activités physiques, on peut se demander si le lycée prépare suffisamment les élèves à une habitude de pratique autonome, régulière et durable de leur vie physique et citoyenne après le bac.

En fait, et nous devons encore et toujours œuvrer pour le faire comprendre aux élèves, à leurs parents, aux hommes politiques, l’EPS au lycée ne se réduit pas à la seule pratique d’activités physiques, sportives et artistiques mais contribue pleinement à l’acquisition de connaissances et compétences permettant l’intervention sur soi et ses propres propriétés corporelles pour conduire et gérer un style de vie actif.

Il y a sans doute encore une réflexion à mener pour comprendre les mécanismes qui permettent d’installer de façon prolongée un rapport positif à soi, à son corps, et aux autres et contribuer ainsi à la création chez les lycéens d’un « habitus » santé. Mais est-ce vraiment possible de le faire avec des effectifs dépassant souvent 35 élèves qui remettent parfois en cause la gestion pédagogique, la qualité des apprentissages et la sécurité des élèves ? Les installations mises à disposition, les déplacements nécessaires pour s’y rendre, les lieux d’exercice strictement contingentés sont peu propices à une évolution en nombre important d’élèves. Il serait donc souhaitable que les groupes ne dépassent pas 24 élèves, comme pour l’organisation de TP dans d’autres disciplines.

Pour limiter le décrochage des activités sportives, il serait pertinent d’affecter 2h d’EPS obligatoires aux sections de techniciens supérieurs (STS préparant au BTS) intégrés dans des lycées. Rappelons ici que les classes de préparation aux grandes écoles (CPGE) en bénéficient. Sans doute faudrait-il revoir les objectifs et les programmes actuels qui lui sont dédiés pour mieux les adapter à l’objectif d’habitude de pratique, mais aussi aux besoins et attentes du plus grand nombre. L’EPS en post-bac pourrait valoriser une démarche de projet avec l’étudiant qui contractualiserait ses choix d’activités, sa participation, ses objectifs. Une organisation pédagogique souple, lui permettant de faire des choix variés, serait susceptible de favoriser davantage les progrès, le plaisir de pratiquer et, in fine, le désir de s’entretenir physiquement.

Les nouvelles épreuves EPS au Baccalauréat semblent rester sur la forme actuelle en CCF. Êtes-vous favorable à ce maintien ? Voyez-vous des améliorations à apporter ?

Il nous semble que les enseignants d’EPS sont assez attachés à la forme de l’évaluation en CCF au baccalauréat s’appuyant sur un référentiel national et des épreuves, barèmes, et dispositifs d’évaluation standardisés.

Sur le fond, de nombreux points pourraient être discutés comme nous le laissions entendre au début de cet entretien. A commencer sans doute par la révision du libellé des compétences attendues de niveau 4 notamment celles qui s’avèrent difficiles à atteindre dans certaines activités pour certains profils d’élèves. Il serait également nécessaire de pouvoir adapter l’évaluation à la réalité des lycéens et aux conditions de leur enseignement par des aménagements d’épreuves (comme cela était le cas pour le DNB dans les programmes collège de 2008) tout en garantissant une unité nationale bien sûr.

Quelles seraient les évolutions à apporter dans le cadre de l’enseignement obligatoire EPS ?

C’est une question complexe et vaste, à laquelle nous ne pouvons pas répondre en quelques lignes. Il va de soi que les nouvelles modalités d’organisation du lycée nécessiteront un toilettage des programmes, voire leur révision complète qui dépendra des enjeux que l’on attribue à l’EPS en lycée. Ils devront également tenir davantage compte des profils et mobiles des élèves.

Les 4 groupes ressources de notre association (CEDREPS, groupe PLAISIR & EPS, Analyse des pratiques, groupe Evaluation Par Indicateur de Compétences) réfléchissent en permanence, à partir de leur propre cadre de référence, à l’évolution de l’enseignement de l’EPS. Leurs travaux riches et innovants sont régulièrement publiés dans notre revue professionnelle et dans des ouvrages. Notre association dispose donc, grâce à leur travail, d’éléments de réflexion qu’elle souhaiterait partager avec les différents partenaires pour la rédaction de nouveaux programmes : le Conseil supérieur de programmes, les Inspections générales et académiques.

Par Antoine Maurice et Benoît Montégut

Les principes éthiques de l’AE-EPS