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Les « Plus de maîtres que de classe » (PDMQDC), ces enseignants surnuméraires des écoles, il en est souvent question depuis la précédente rentrée. A vrai dire, il est surtout souvent question de leur disparition. Mais que se cache-t-il derrière ce sigle ? Des enseignants. Des enseignants motivés, des équipes désireuses de travailler ensemble, de collaborer pour la réussite de tous les élèves. Des enseignants ayant construit des projets ambitieux pour qu’un enseignant supplémentaire soit affecté dans leur école. Les PDMQDC, encore une victime du « stop’n go » de l’alternance politique ?

Sur le site Eduscol – la page existe encore, il en restera quand même une petite poignée à la prochaine rentrée. Le dispositif est ainsi présenté : « L’objectif premier est de rendre l’école plus juste et plus efficace, de réduire les inégalités en apportant une aide renforcée aux populations scolaires les plus fragiles. La mise en place du dispositif « plus de maîtres que de classes » est une dimension importante de la priorité donnée à l’école primaire, dans le cadre de la refondation de l’École de la République. Ce dispositif repose sur l’affectation dans une école d’un maître supplémentaire ». Ces PDMQDC sont, dans leur grande majorité, implantés dans des écoles situées en réseau d’éducation prioritaire (REP).

Les PDMQDC apportent-ils de l’aide aux élèves, à l’École ? Nous avons décidé de donner la parole à l’une d’entre eux. Annabelle Fiévet est enseignante à Trappes, dans le groupe scolaire Maurice Thorez. Elle se lance dans l’aventure et devient une PDMQDC en 2016.

Qu’est-ce qui vous a motivé à demander un poste de PDMQDC ?

J’avais une expérience de travail collaboratif avec des dispositifs proches des PDMQDC, les MAREP (Maître d’appui en réseau d’éducation prioritaire) puis les ESEP (enseignant supplémentaire en éducation prioritaire), mais en tant qu’enseignante d’une classe. ». Le travail en équipe a toujours été une évidence pour elle.  » Du coup, j’avais très envie de retravailler comme cela, mais en étant l’enseignante en plus. En postulant, j’espérais avoir l’occasion de voir ce qui se passe dans d’autres classes, d’observer d’autres façons de travailler, d’autres postures et outils. Ces observations, couplées à mon expérience, je comptais les mutualiser avec les collègues « . Le poste occupé par Annabelle FIÉVET permet d’organiser une vraie réflexion autour de la pratique pédagogique et de fédérer autour de projets communs.

Comment s’organise votre travail ?

« Au tout début de l’aventure, j’ai beaucoup observé dans les classes ; observer les collègues afin de m’adapter à leurs besoins et leurs pratiques et afin de les amener vers autre chose. Cela n’a pas toujours été simple de faire évoluer les choses mais nous nous sommes apprivoisés. La première année, tous les élèves de grande section au CM2 ont bénéficié du projet « . Le projet initial du dispositif visait les élèves fréquentant l’ancien cycle 2, soit de la grande section à la fin du CE1, mais l’année d’arrivée d’Annabelle, le poste d’ESEP a été supprimé (l’institution parlant de fusion entre les deux profils de postes). Certains élèves de cycle 3 étaient en difficulté, l’équipe pédagogique a donc fait le choix de permettre leur prise en charge par la PDMQC.

Les objectifs sont ciblés après des évaluations diagnostiques, lors des conseils de cycle mais aussi lors des concertations du RASED (réseau d’aide aux enfants en difficultés) auquel elle participe.  » En tant qu’enseignante à temps complet dans le groupe scolaire, j’apporte un regard nouveau sur les élèves que le RASED ne prend pas en charge, comme les élèves qui arrivent d’une des maternelles. « 

Comment se construit, en termes de contenus, votre intervention ?

« Nous partons des besoins des élèves, nous adaptons le contenu mais aussi notre pratique en fonction de l’objectif que nous ciblons. Mon intervention peut avoir lieu dans la classe, ou en prenant en charge des groupes d’élèves aux niveaux hétérogènes mais aussi par petits groupes de besoins. Pour moi, l’idéal, serait de construire le projet, de le mettre en place, de le lancer puis de passer le relai à l’enseignante qui le poursuit dans la classe « . Annabelle travaille essentiellement par projet. Par exemple, elle a élaboré – avec d’autres collègues PDMQDC – un outil d’encodage qui a pu être partagé avec d’autres PDMQDC.  » A l’origine, c’est parti d’un vrai besoin : le constat, lors des évaluations de CP, que cet item était le plus chuté. Et puis, j’ai retrouvé une collègue – Dominique Roger – avec laquelle j’avais travaillé auparavant, elle en tant qu’enseignante en UPE2A (élèves allophones), moi titulaire d’une classe de CP. Elle avait vu une vidéo canadienne sur le travail oral d’encodage et elle voulait essayer cette méthode. Comme c’était un projet très riche, nous avons sollicité deux collègues PDMDQC pour nous aider à réfléchir sur la façon dont on pouvait adapter ce travail à nos élèves de GS, mais aussi de CP et pourquoi pas en remédiation pour les CE1. Il fallait aussi élaborer les outils, comme toutes les étiquettes… Ce que nous voulions, c’était construire un outil « clés en mains » que nous pouvions ensuite proposer aux autres collègues PDMQDC de la circonscription « . Certains enseignants du cycle se sont rapidement appropriés le projet.

Annabelle permet un vrai travail de liaison, afin d’éviter les ruptures si néfastes aux élèves.  » J’essaie d’amener les collègues à harmoniser un peu les outils pour qu’on avance plus sur les contenus d’apprentissage sans perdre trop de temps au niveau des moyens « . Il s’agissait, par exemple, de récupérer certains affichages de classe de grande section pour les installer en classe de CP, permettant de donner des repères aux élèves.

Vous êtes passionnée par l’outil numérique, comment l’utilisez-vous avec les élèves ?

« La salle que j’utilise, quand je sors des élèves, se trouve être la salle informatique qui est dotée d’un tableau numérique interactif. Alors, j’ai commencé à utiliser un site, learningapps.com, pour créer des jeux que je pouvais construire en fonction de mes objectifs. Ensuite, la coordonnatrice réseau d’éducation prioritaire nous a proposé un « kit ambassadeur du numérique » avec une tablette, un vidéoprojecteur et un petit caméscope, fournit par la direction académique du numérique éducatif (DANE) de Versailles. Du coup, j’ai pu utiliser la tablette avec les élèves. Il existe différentes possibilités d’exploitation, il y a des jeux pour plusieurs, ou en la branchant sur le vidéoprojecteur… « 

Pensez-vous, objectivement, que le PDMQDC a un réel impact sur la réussite des élèves ?

« Les résultats aux différentes évaluations démontrent un réel progrès des élèves en encodage et en lecture – compréhension, principaux objectifs travaillés avec l’appui des PDMQDC sur la circonscription. Les postes de PDMQDC ont aussi permis une dynamique de travail en équipe, de travail collaboratif et de mise en place d’ateliers, que les collègues continuent à mettre en place dans les classes. « 

Vous reprendrez une classe à la prochaine rentrée, que garderez-vous de cette expérience ?

« Je ne reprendrai pas la classe comme je l’ai quitté « . Annabelle sort « transformée » de cette expérience, sa pratique a beaucoup évolué. Elle travaillait déjà en ateliers avec ses élèves, en fonction de leurs besoins mais elle compte bien les faire manipuler beaucoup plus, et pas qu’en mathématiques, et prendre le temps de réellement les accompagner pas à pas. Annabelle a aussi pu mesurer l’importance du jeu dans le processus d’apprentissage des élèves.  » J’ai énormément d’idées et j’espère ne pas m’enfermer dans les attendus de fin d’année « , conclue-t-elle. Ce qui va le plus manquer à Annabelle ?  » Je ne pourrai plus être le pollinisateur d’outils et de pratiques pédagogique. Tout ne vient pas de moi. Le fait d’aller dans les classes me permettait de faire partager les expériences…  »

Du côté des syndicats, Rachel Schneider, secrétaire générale du SNUipp-FSU de Seine – Saint – Denis, dénonce la fin des PDMQDC. « Le rapport Villani, dans la partie « Dans ce qu’il s’agit de mettre en place », préconise le travail collaboratif et le travail en équipe pour une amélioration des résultats des élèves. Or ce qui est frappant pour nous, SNUipp-FSU, c’est que lors de sa prise de fonction, J.M. Blanquer avait à sa disposition un levier majeur du développement du travail collaboratif, c’était les PDMQDC ». Et elle poursuit : « Clairement, c’est le meilleur levier que l’on ait connu depuis longtemps pour agir sur la dynamique pédagogique et pour renforcer le collectif des enseignants dans le premier degré. Or, on constate qu’au lieu de s’appuyer sur ce qui fonctionnait, il a balayé ce dispositif ». En effet, à la prochaine rentrée, les PDMQDC seront supprimés (dans leur très grande majorité) au profit des dédoublements de CP et CE1 en REP. Rachel Schneider poursuit : « comme le dédoublement des CP et CE1 en éducation prioritaire n’a pas été financé, il a été mis en œuvre en supprimant les PDMQDC pour l’utilisation de ces postes ».

Elle étaye son discours par des chiffres. Dans le 93, il y avait plus de 250 postes de PDMQDC en réseau d’éducation prioritaire qui sont purement et simplement supprimés au profit des dédoublements des CP et CE1. Ainsi, à la rentrée 2018, il n’y aura plus un seul dispositif PDMQDC dans toute la Seine – Saint – Denis.

Dans le département des Yvelines, où enseigne Annabelle, 80 postes de PDMQDC sont supprimés entre la rentrée 2017 et celle de 2018. Il en restera 2 ou 3, hors éducation prioritaire.

Le manque de postes dans le premier degré signe l’arrêt de mort des PDMQDC qui ont permis la mise en place d’un réel travail d’équipe, d’une dynamique collaborative d’enseignement pertinente, avec de réels effets sur les résultats des élèves comme le conclut le comité de suivi national du dispositif dans sa note de janvier 2017 : « Les apports du dispositif « Plus de maîtres que de classes » sont multiples. Les élèves gagnent en confiance et, grâce aux interactions plus fréquentes avec les enseignants, peuvent mobiliser des compétences métacognitives indispensables à la régulation de leurs situations d’apprentissage. Ce dispositif, dans sa double dimension de prévention et d’aide aux élèves, notamment ceux les plus éloignés de la culture scolaire, contribue à la réduction des inégalités, à l’amélioration du climat scolaire et à la réussite de tous. Il concourt également à l’évolution des pratiques enseignantes, change la forme scolaire, favorise l’inter professionnalité́, renforce la dimension collective de l’école. »

Alors les PDMQDC, victimes du Stop’n go ?

Lilia Ben Hamouda