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Si, dans un rapport dirigé par Marie-Hélène Leloup, l’inspection a pris parti en faveur de la scolarisation à 2 ans c’est bien que celle -ci est menacée. L’inspection ne cache pas les insuffisances de la scolarisation des tout petits. Le rapport invite ainsi à professionnaliser davantage les toutes petites sections (TPS) et à poursuivre les efforts. Mais comment les enseignants vivent-ils cette déclinaison très particulière du métier ? Mickaël Foucault (oui, un garçon !) enseigne en TPS depuis 2013. Il nous raconte son expérience.

« Intégrer un tel dispositif dans l’école nécessite l’adhésion de la totalité de l’équipe, ce qui fut le cas ». Après en avoir discuté en conseil des maîtres puis en conseil d’école, le projet est lancé. « Le travail de préparation en amont était très important, nous devions travailler en étroite collaboration avec la protection maternelle infantile (PMI) située dans le quartier, mais aussi avec les différentes associations ainsi que la collectivité qui a investi le projet immédiatement ». L’enseignant, la directrice, l’inspectrice de circonscription, les acteurs de la PMI et du tissu associatif ainsi que les élus locaux se sont réunis à plusieurs reprises afin de penser le dispositif. Il fallait définir la forme de cet accueil d’enfants de deux ans. « Nous avons retenu l’idée d’une TPS homogène, pensée comme une sorte de classe passerelle sans éducateur ». La collectivité a investi des sommes considérables pour l’aménagement de la classe, il a fallu acheter du matériel d’éveil spécifique à cette classe d’âge (pour la motricité, pour l’éveil sensoriel…), aménager les espaces d’accueil dans la classe mais aussi dans la cour avec la sécurisation d’un coin dédié aux TPS (sol souple, jeux adaptés) et recruter une ATSEM volontaire dont le service a été aménagé.

Du côté de l’école, de la PMI et des associations, il a fallu définir le profil d’enfants que nous voulions accueillir. « Nous souhaitions adhérer à l’essence même du projet en accueillant des enfants dont les situations familiales ne permettaient pas forcément la stimulation d’un point de vue sensoriel, moteur et/ou langagier et qui n’avaient pas accès à des dispositifs collectifs. Il y avait là une vraie nécessité de prise en charge ».

Le dispositif prévoyait la scolarisation dès les deux ans de l’enfant, alors le choix s’est aussi fait en fonction des dates de naissance, pour permettre un accueil échelonné des élèves entre septembre et décembre. « Nous étions persuadés que pour atteindre l’enfant, il fallait construire une relation avec la famille », les familles ciblées se sont laissées convaincre après plusieurs moments d’accueil, de discussion, de visites des locaux. « Nous leur expliquions qu’il participerait à cette aventure avec leur enfant ». Et c’est ce qui s’est passé. Les mamans, et quelques rares papas, venaient à l’école avec leur enfant, ils participaient aux différentes activités, découvraient et faisaient découvrir l’univers classe à leur enfant. « Un lien de connivence entre l’école et les familles a ainsi été tissé ». L’équipe éducative a senti les effets positifs de cette implication des familles sur la continuité de la scolarité des élèves ; elles montrent une implication plus importante et semblent se sentir plus légitimes à l’école.

Mickaël, ainsi que son ATSEM (agent territorial spécialisé des écoles maternelles), ont bénéficié de plusieurs temps de formation dispensés par la direction académique de la Seine – Saint -Denis. Ces différents moments ont permis d’appréhender la spécificité des enfants de deux ans.

L’enseignant a dû repenser sa posture : « Enseigner à des enfants de deux ans, c’est accepter d’être en retrait au début, d’observer beaucoup pour ensuite accompagner individuellement chaque élève en devenir ». Il a adapté son approche mais aussi ses supports en fonction de chacun, « on est tout de même dans une forme d’individualisation du suivi ». Adaptation serait le mot d’ordre selon lui, adaptation des espaces de la classe – au début très peu de coins, l’enfant doit pouvoir déambuler et puis petit à petit installation de coins de jeux sensoriels ou symboliques. Adaptation et évolution de la démarche pédagogique aussi, « on n’impose rien, on amène les élèves, petit à petit, à s’intéresser à ce qu’on leur propose. Je me suis clairement inspiré de la pédagogie Montessori, avec cette idée d’expérimentation et de manipulation ».

Mickaël a pris une classe de grande section à la rentrée 2016, après trois ans en TPS ; il y a retrouvé certains de ses petits élèves de TPS, « Ils avaient un bon niveau, ils étaient autonomes, évoluaient sereinement dans la classe et avaient intégré les règles de vie du collectif ». Il conclue sur ces mots « Lors de la formation, l’inspectrice chargée du suivi du dispositif nous avait expliqué que cette expérience changerait notre vision de l’élève d’école maternelle. C’est un fait. J’ai beaucoup appris lors de ces trois années. ».

Comme l’a si bien résumé Anne-Marie Gioux : « A deux ans, l’enfant est déjà en marche vers les savoirs, c’est une personne qui émerge. Le rôle d’une société équitable, c’est d’aider tous ceux qui en ont le plus grand besoin – “les petits, les sans grade”- à entrer sans crainte dans la maison commune, dans la maison d’école ». La fin de l’accueil précoce dans les zones d’éducation prioritaire, si elle se décidait, serait vraiment indigne d’une école censée éradiquer les inégalités ?

Lila Ben Hamouda

I Bastide, Enseigner en TPS