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« Moment historique », la formule est de JM Blanquer. Mais, ce 27 mars, que s’est il vraiment passé lors des Assises de la maternelle ? Certes, Emmanuel Macron a annoncé son intention d’avancer l’âge de la scolarité obligatoire à 3 ans dès la rentrée 2019. Mais qu’est ce que ça change alors que 98% des enfants de 3 ans sont déjà scolarisés en maternelle ? E Macron a-t-il fait un cadeau à l’enseignement privé ? Et que vont devenir les toutes petites sections de maternelle, celles qui accueillent des enfants de moins de 3 ans ? La mesure Macron fera-t-elle un ou deux enterrements ?

La scolarité obligatoire fixée à 3 ans

 » J’ai décidé.. de rendre obligatoire l’école maternelle, et ainsi d’abaisser de 6 à 3 ans en France l’obligation d’instruction dès la rentrée 2019″, annonce le président de la République en ouvrant les Assises de la maternelle ce 27 mars. « Avec cette décision, je veux poursuivre l’œuvre d’égalité de progrès dans notre histoire éducative et l’illustrer. Cette égalité, c’est d’abord de cesser de considérer l’école maternelle comme une option, alors, certes, j’entends les voix qui disent : il y a 97 % des enfants qui sont scolarisés d’ores et déjà dans l’école maternelle. Mais parce que ça n’est pas obligatoire, ce chiffre moyen couvre des réalités profondément diverses et des inégalités profondément réelles ». Ces 25 000 élèves qui manquent à trois ans ce sont ceux de certains territoires d’Outre Mer et aussi les enfants de familles défavorisées.  » Bien souvent, quand l’un, voire les deux parents ne travaillent pas, qu’on ne va pas remettre l’enfant à l’école, qu’on le reprend bien souvent en fin de matinée, parce qu’on ne veut pas payer la cantine ou qu’on ne le remet pas l’après midi.

« Je souhaite que par cette obligation scolaire, à partir de la rentrée 2019, nous puissions avoir ce vrai travail de construction de notre égalité au quotidien, et que nous puissions par une assiduité de tous, qui concernera les enfants issus de tous les milieux, corriger ce différentiel que je viens d’évoquer, qui n’est plus acceptable. Et c’est pourquoi cette mesure s’inscrit pleinement dans l’action que nous menons au quotidien, pour lutter contre la pauvreté et ses effets sur les jeunes enfants, pour lutter contre la fabrique ou la reproduction des inégalités profondes », insiste-il.

Il y a aussi des critiques voilées de l’école maternelle, toutes déjà émises dans le rapport de France Stratégie. E. Macron veut « faire de l’école maternelle le lieu de constitution de la sécurité émotionnelle et de l’épanouissement affectif. Nous voulons ainsi construire une école de la bienveillance où le cognitif et l’affectif se complètent ». Il veut aussi « faire entrer à l’école maternelle les arts, la musique, toutes ces formes justement d’éveil qui accélèrent l’apprentissage ».

Devant les 400 invités des Assises, JM Blanquer évoque « un moment historique ». « Il n’y a pas de sujet plus sérieux que la maternelle… L’école maternelle est toujours un lieu d’innovation car c’est un lieu d’éducabilité » affirme le ministre. « On tient ces Assises pour conforter et clarifier le rôle de la maternelle et percer de nouvelles pistes pour accroitre sa contribution à la réussite des jeunes français.. On ne doit pas opposer épanouissement et connaissances », affirme-t-il. Il faut « aimer par dessus tout les enfants confiés à l’école ». Et mettre l’accent sur le langage et la diffusion « des méthodes qui ont fait leurs preuves ».

C’est ce à quoi vont s’employer les interventions des deux journées largement dominées par des spécialistes des neurosciences ou de la neuropsychologie.

Qu’est ce que ça change ?

Que change la scolarité obligatoire à 3 ans ? Peu de choses en réalité pour les enfants de trois ans puisque 98% sont déjà scolarisés. Il n’est pas certain que l’administration soit capable d’exiger davantage d’assiduité pour des enfants aussi petits et que ce soit son intérêt. Quant à la sous scolarisation dans des territoires d’outre mer, elle concerne bien d’autres niveaux scolaires gravement déficitaires sans que l’Etat change radicalement les choses.

JM Blanquer n’a d’ailleurs pris aucun engagement budgétaire ou en nombre de postes. Assurer la scolarisation obligatoire devrait couter un millier de postes. « Cela va nous obliger à créer des poste sen maternelle », a dit le ministre. « On va s’y préparer ». A vrai dire à la rentrée 2018 il ferme déjà près d’un millier de classes de maternelle et autant de postes vont partir dans l’élémentaire…

Quand on lui fait remarquer que le taux d’encadrement en maternelle est extrêmement bas (un professeur pour 27 élèves soit le double de la moyenne européenne), JM Blanquer répond « on a une réflexion sur l’encadrement qui nous amène à penser que ce taux doit être assez bas. C’est ce qui va nous amener à réfléchir à une manière d’améliorer le taux d’encadrement en maternelle mais aussi la formation des professeurs ».

E Macron a-t-il fait un beau cadeau au privé ?

« Il n’y a pas de changement en ce qui concerne le privé lié à cette évolution », nous a répondu JM Blanquer. Pour le ministère avancer l’age de la scolarisation ne devrait avoir aucun impact sur le financement du privé aussi bien pour l’Etat que pour les communes.

« A Villeurbanne on a 10 ans de contentieux avec le privé car règlementairement c’est très mal défini. C’est de la jurisprudence. C’est très inflammable », nous a dit Damien Berthilier, maire adjoint de Villeurbanne et président du Réseau des villes éducatrices. « Sur la maternelle le fait que ce n’était pas de la scolarité obligatoire a été un argument ».

En effet les communes craignent, et risquent, que le changement d’âge de la scolarité obligatoire les oblige à prendre en charge les écoles maternelles privées comme celles du public. C’est à dire à payer des atsems, des frais d’entretien et de fonctionnement pour les écoles privées. « On se retrouverait à prendre sur le budget et donc sur l’école publique, par exemple à prendre des atsems », explique D Berthilier. Il y a environ 10 000 classes de maternelle dans le privé, on imagine la charge pour les communes.

Politiquement, cette extension de la scolarisation pourrait aussi contribuer à justifier la remise en cause de la règle des 80/20 dans le financement des écoles publiques et privées. Ce qui aurait un impact aussi sur le budget de l’éducation nationale. C’est ce que craignait la Ligue de l’enseignement en 2017 quand cette mesure était inscrite au programme de B Hamon.

E Macron va donc ouvrir un débat et l’avancée de l’age de la scolarité obligatoire pourrait s’accompagner d’une série de textes législatifs pour clarifier la question.

Que va devenir la scolarisation à deux ans ?

« Je sais tous les débats qu’il y a… sur ce qui se passe avant 3 ans. Et nous devons donc veiller au continuum entre la très petite enfance, accueillie par les crèches et la petite enfance de l’école maternelle, c’est aussi pour cela que je souhaite qu’en lien avec l’Education nationale se poursuivent les expérimentations conduites dans les crèches, qui permettent d’accéder au langage, en tout cas d’accompagner ce cheminement,… développer aussi les innovations, les organisations qui permettent d’accueillir avant 3 ans, les enfants à l’école maternelle », a dit le président de la République. En ajoutant : « Porter une obligation en deçà de 3 ans est aujourd’hui presque intenable et pas toujours souhaitable, parce qu’avant 3 ans, cela dépend de la progression de l’enfant, cela dépend de la situation, mais ce qui est vrai, c’est que dans les quartiers les plus défavorisés, dans certaines conditions, il est parfois bénéfique de pouvoir ouvrir l’école avant 3 ans aux jeunes enfants, et cela, c’est précisément aux élus locaux, aux professionnels de l’Education nationale, de l’apprécier, et au gouvernement de donner les moyens de pouvoir le faire partout où c’est utile ».

En fait E Macron n’a pas tranché dans le débat entre les partisans de la crèche et ceux de la scolarisation à deux ou encore avec les partisans d’une nouvelle structure entre crèche et école maternelle. En apparence cela devrait conduire au maintien des toutes petites sections (TPS) des 2 ans.

Sauf que la scolarisation à 3 ans va demander des moyens et que 90% des enfants de 2 ans sont scolarisés dans des classes multi niveaux. D’ici à ce qu’on ne les accepte plus pour laisser de la place aux nouveaux scolarisés de 3 ans, il n’y a qu’un pas. Si le ministère veut maintenir la scolarisation à deux ans, contre laquelle JM Blanquer s’était engagé à la tête de la Dgesco et qu’il a encore récemment critiquée, il va falloir qu’il envoie de très forts signaux en ce sens. Sinon, malgré les belles paroles d’E Macron, la scolarisation à deux ans va « naturellement » fondre , sans douleur, comme cela c’était produit entre 2006 et 2012.

Un dernier enterrement…

Dans tout discours présidentiel il y a du non dit. S’agissant de la scolarité obligatoire, il y a une dimension totalement occultée ce 27 mars c’est l’extension de la scolarité à 18 ans. Pourtant le ministère baigne dans cette tranche d’âge en ce moment. Cela aussi aurait pu être une occasion de montrer la détermination du gouvernement à faire accéder davantage de jeuens au bac et aux études supérieures. Puisque Emmanuel Macron explique que les 20% d’enfants de CP qui maitrisent mal le français forment les décrocheurs plus tard, la mesure aurait donné de la crédibilité à la politique primaire du gouvernement…

François Jarraud