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Quel professeur d’histoire-géographie n’a pas eu entre les mains les numéros de L’Histoire ? Le magazine historique fête ses 40 ans avec un numéro qui revient sur les nombreuses controverses qui construisent l’histoire. C’est l’occasion d’interroger Heloïse Kolebka, rédactrice en chef, sur ces années aux cotés des enseignants dans un pays qui aime à la fois l’histoire et les débats à n’en plus finir sur son enseignement…

« Rien n’y fait. Jamais apaisée, l’angoisse de voir disparaitre l’histoire de France est une fièvre qui révèle d’autres maux souvent plus profonds. L’accusation de « brader » l’histoire de France est revenue périodiquement en particulier au cours des dernières campagnes présidentielles ». Dans le numéro anniversaire des 40 ans de L’Histoire, Philippe Joutard rappelle ce triste marronnier médiatique depuis les années 1970. C’est pour rappeler par exemple que la chronologie n’a jamais quitté les programmes scolaires. Les enseignants le savent mais l’électeur…

Si L’Histoire est sur ce front cela tient à sa singularité, affirmée lors de sa naissance en 1978. « Ce que vous trouverez dans L’Histoire c’est une histoire sans frontières : du Paléolithique au monde contemporain, de l’Hexagone aux antipodes… C’est aussi une histoire ouverte : toutes les écoles historiques y auront droit à la parole, les auteurs étrangers seront accueillis ».

Cette promesse , rappelée par Michel Winock, est tenue par le magazine comme le rappelle le sommaire de ce numéro. Pour fêter ses 40 ans L’Histoire revient sur les grands débats d’historiens qui ont traversé ces décennies. Les années 80 sont marquées par lé découverte de l’intimité grecque, les grandes invasions (un classique !) ou « la bombe Foucault ». La revue ne reprend pas les articles de l’époque mais interroge les historiens actuels sur l’état des lieux des débats ouverts à cette époque. Les années 1990 sont celles de la chute du communisme (lire l’article de N Werth) et de la réflexion sur les totalitarismes, de la « brutalisation » et du regard porté sur 14-18par exemple. Les premières années du 21ème siècle voient les débats ouverts sur les « esclaves (article de Pap Ndiaye), l’Ancien Régime (Joël Cornette), l’Islam, la colonisation (R Branche), Vichy (JP Azéma). Pour L’histoire les dix dernières années sont celles des « frontières brouillées » : l’uchronie, le roman historique, l’environnement, l’histoire des animaux ou celle de la démocratie.

Les professeurs d’histoire-géo proches de la retraite retrouveront dans ce numéro à la fois l’écho de cet extraordinaire outil de formation continue qu’est cette revue et des évolutions des programmes qui en 40 ans se sont peu à peu ouverts à ces nouveaux thèmes et ces nouvelles questions; C’est souvent d’abord dans L’Histoire, avant de dévorer thèses et ouvrages, qu’ils ont découvert l’historiographie de ces nouvelles questions. C’est avec L’Histoire que les enseignants ont fait évoluer l’histoire scolaire. Car enseigner l’histoire c’est toujours parler au présent…

L’Histoire, 40 ans de controverses, n°1842

Le sommaire

Héloïse Kolebka : Continuer à être un outil de travail pour les enseignants

« C’est mon professeur d’histoire à l’Ecole alsacienne qui m’a fait découvrir la revue L’Histoire », nous confie Héloïse Kolebka. Après Sciences Po elle est entrée en 1995 à L’Histoire et n’en est jamais repartie. Rédactrice en chef de la revue, elle confie ce qu’est son travail et comment L’Histoire suit les enseignants.

En quoi consiste le travail d’une rédactrice en chef de L’Histoire ?

Je me mets au service des historiens. Ce sont eux qui écrivent. La particularité de L’Histoire c’est d’être à la fois une revue et un magazine. On est attaché à la recherche mais on est des passeurs. On est entouré d’historiens, avec notamment un comité scientifique, on construit le sommaire de L’Histoire avec eux.

Par exemple en juin on va publier un dossier sur Saint Augustin qui est issu d’une discussion tenue en septembre avec P Boucheron. On a rencontré des historiens pour trouver les auteurs et commander les articles.

Ensuite vient le travail de la rédaction : rendre les articles, par exemple sur la théorie de la grâce, la patristique ou l’augustinisme politique, les plus accessibles possibles. Il faut donc repérer les mots clés construire des lexiques, reformuler, réfléchir à l’iconographie, rédiger les chapeaux et les intertitres. C’est l’aspect magazine qui veut rendre les articles agréables.

En 40 ans la présentation du magazine a changé ?

Les articles sont moins longs en général même si certains continuent à faire 12 à 14 pages. La maquette aussi a changé. Les lecteurs se sont habitués à une lecture où on multiplie les entrées, aux encadrés.

On trouve encore des sujets au bout de 40 ans ?

On montre ce qui émerge en histoire. Il y a des nouveaux sujets comme l’histoire des animaux ou l’histoire mondiale. Et les historiens reposent des questions différentes sur les mêmes sujets. Un bel exemple en est « les invasions barbares » : s’agit-il d’invasions ou de migrations ? Le débat dure depuis des décennies… Un historien qui écrit aujourd’hui ne rend pas caduc ce qui a été écrit avant lui. Il déplace la focale.

Quels liens avez vous avec les enseignants ?

Rien d’institutionnel. Mais on a des enseignants dans l’équipe, par exemple le directeur de la rédaction. Des professeurs du secondaire travaillent avec nous et on apprécie leurs retours. On a aussi les questions des lecteurs enseignants. Par exemple ils nous demandent d’améliorer le serveur de L’Histoire pour réutiliser les cartes dans leurs cours.

Pour nous c’est capital de continuer à être un outil de travail pour les étudiants et les enseignants. On est donc très attentifs aux nouveaux programmes du collège et du lycée de façon à apporter des articles aux enseignants. On est aussi très attentifs aux questions des concours de recrutement. Par exemple dans les derniers numéros on a fait beaucoup d’histoire des sciences pour répondre à la question de moderne de l’agrégation d’histoire.

On compte aussi sur les professeurs documentalistes qui mettent la revue à disposition dans les CDI.

Les débats sur les programmes scolaires débordent dans L’Histoire ?

Oui et c’est très intéressant à suivre. L’investissement des acteurs politiques sur l’enseignement de l’histoire est quelque chose de fascinant. Il n’y a pas une campagne électorale où u candidat ne propose pas sa solution pour cet enseignement. Il nous arrive de prendre parti par exemple contre l’enseignement « positif » de la colonisation en 2005. On a soutenu l’association Liberté pour l’histoire qui est contre les lois mémorielles. Sur les contenus des programmes, L’Histoire n’entre pas dans le débat mais donne la parole aux professionnels avec l’APHG.

Comment fait-on pour durer aussi longtemps ?

Nos lecteurs se renouvellent avec les étudiants. Et on a une base stable avec les professeurs.

Mais L’Histoire a connu les soubresauts des crises économiques. La vente ne kiosque est devenue plus difficile. Et ce qui permet à L’Histoire de continuer c’est sa base, très fidèle, de 38 000 abonnés.

On a la chance d’avoir une association de soutien, l’appui d’une communauté d’historiens très large ce qui nous permet de tenir face à une concurrence qui prolifère.

Si nous durons c’est parce que nous restons fidèle à ce qu’écrivait M Winock dans le premier numéro de L’Histoire : rendre compte de ce que les historiens écrivent sans exclusive et sans esprit de chapelle.

Propos recueillis par François Jarraud