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Bon. Ca y est. Je l’ai lu. J’ai lu le Guide pour enseigner la lecture et l’écriture de M. Blanquer. Aïe… Je crois que j’ai tout faux. TOUT faux.

D’abord, il FAUT un manuel de lecture. Moi, j’ai plutôt été agréablement surprise du nombre d’enseignants créatifs qui ne se laissaient guider par aucun rythme (le même pour tous), ordre, méthode, support pédagogique : 31%. Formidable ! Enfin sauf qu’il FAUT un manuel. Bon. Pour rassurer les enfants. Et les parents. Et puis pas n’importe quel manuel : un manuel qui valide tous les critères de la grille fournie dans le Guide (au cas où je ne sache pas analyser un « bon » manuel ?). Je vais donc ranger au placard les livres, les magazines, les textes des enfants qui nous servaient de support de lecture. Ca évitera qu’ils s’y intéressent, qu’ils y découvrent trop d’informations et d’éléments pour penser…

Ensuite, c’est Méthode syllabique pure et dure. Bon. Pi pa pi po pu. Avec le descriptif ultra précis de l’étude du son « z » avec la lettre s : les syllabes, les mots, les phrases, le texte, la dictée. Et la progression de l’étude des graphèmes-phonèmes sur l’année. Bon. Je trouvais pourtant que faire trop de syllabiques/combinatoire entrainaient les enfants à ânonner sans toujours comprendre, à se focaliser sur les syllabes aux sons connus et à freiner/ignorer les autres… Et puis qu’étudier les sons au fur et à mesure de NOS besoins pour lire NOS textes, ben ça en accrochait vachement plus, des élèves (surtout ceux pour qui l’écrit n’a pas d’attrait particulier). Bon. Peut-être que je me fourvoyais. Et la dictée ! Moi j’avais l’impression qu’à force d’écrire des textes, ben l’orthographe rentrait toute seule. Alors bien sûr, on s’est arrêté de temps en temps pour voir comment un mot était écrit, pour voir comment combiner deux sons, on s’est entrainé à lire vite les mots-outils (« c’est quand même vachement pratique » m’a dit un jour un élève !)… Mais non, apparemment, faut pas faire comme ça.

S’aider du contexte (dans un vrai texte 😉 et des images (dans un vrai livre 😉 pour lire et comprendre, ça, j’étais sûr d’être dans le bon ! Et bam… Non. Un mot, il faut en comprendre le sens directement et entièrement juste en le lisant isolément. Bon. Bizarre, parce que moi, quand je lis une phrase qui contient un mot que je ne connais pas, avant d’aller chercher sa définition, en général, j’ai quand même déjà une idée de sa signification, de sa catégorie… grâce au contexte (qui peut me permettre de continuer ma lecture et de chercher plus tard…). Mais c’est moi qui ne dois pas lire comme il faut… Bon.

Passons au paragraphe « 100 % de réussite au CP »… Mais réussir quoi ? à déchiffrer ? Sauf que pour moi, savoir lire, ce n’est pas que déchiffrer, c’est aussi (et surtout) : faire des hypothèses de lecture, comprendre le contexte, être capable de parler de ce qu’on a lu parce qu’on l’a compris, passer sur une difficulté et s’appuyer sur la phrase entière pour comprendre, balayer la phrase des yeux et ne pas oraliser… Comprendre, comprendre, comprendre… Les enquêtes internationales le montrent : ce qui pêche, chez les p’tits français, c’est pas le déchiffrage, c’est l’accès au sens de l’écrit… Pour une fois que j’essayais de remonter les résultats de la France sur un truc qui me paraissait cohérent…

Le truc aussi, c’est que comme on lit des textes d’enfants, des livres, des documentaires, ben au début, c’est pas facile de les lire, parce qu’on n’a pas étudié tous les sons. Et dans le Guide, ils disent que c’est pas bien, qu’il ne faut présenter aux élèves des mots qu’ils ne peuvent pas lire seuls. Aïe !

Pareil pour écrire. En fait, non, c’est pas pareil. Je suis encore plus à côté de la plaque. Je croyais naïvement que permettre aux élèves d’écrire des textes aux sujets libres favorisait la compréhension de l’utilité de la lecture et de l’écriture, pour apprendre par soi-même grâce aux autres, penser par soi-même et avec les autres, d’où l’utilité d’un langage écrit commun… Et donc que s’ils avaient besoin d’un coup de pouce scriptural/orthographique de ma part et que ça pouvait éviter qu’ils perdent le fil de leur pensée et qu’ils aillent jusqu’au bout, ben je le faisais volontiers… Erreur ! L’écriture = la dictée + la copie (« On demande aux élèves de prononcer ce qu’ils écrivent à voix haute pour que l’oreille entende ce que la main s’applique à écrire. »). Bon.

Pour l’évaluation, je passe mon tour. Il semblerait qu’il faille évaluer les élèves très souvent, individuellement, et en utilisant des batteries de tests pré-établis. Certainement basés sur la « méthode » préconisée dans le Guide, donc non adaptés à toute autre méthode (mes élèves risquent d’échouer lamentablement… Comment je vais leur expliquer ça ? et à leurs parents ? Aïe…)

Il y a quand même un paragraphe qui dit comment aider les élèves en difficulté. Bon. Moi qui avais l’impression de ne pas avoir d’élèves en difficulté puisqu’ils en étaient tous là où ils en étaient, qu’ils progressaient tous, à leur rythme… Bon. Je vais tous les envoyer chez l’orthophoniste, on sait jamais…

Ah oui ! Et puis j’utilise la MNLE, la Méthode Naturelle de Lecture-Ecriture, pour leur apprendre à lire. Une méthode développée et étayée par des chercheurs (ben oui, la recherche, c’est utile, il faut juste prendre garde à l’interprétation des résultats… Enfin, ça, c’est un truc de scientifique, et je ne suis qu’instit…). Alors eux aussi, ils ont tout faux ? En tout cas, dès la première « idée reçue » (p.2 !), ça commençait mal pour moi…

Je panique, je panique, mais j’ai quand même bien entendu dans la vidéo de 2 minutes dans laquelle Jean-Michel Blanquer me parle (ben oui, moi, j’ai reçu un mail perso sur mon adresse pro, j’ai la classe !) qu’il me renouvelait sa confiance totale, et que surtout, je conservais ma LIBERTE PEDAGOGIQUE. Donc, pas d’panique.

Peut-être quand même aurais-je besoin d’un peu de formation continue… ? Blague à part et ironie assumée, j’avais l’impression que la co-formation à laquelle je participais (sur mon temps personnel, ne nous leurrons pas) m’avait permis d’apprendre à lire à mes élèves… naturellement… Encore une illusion ?

Enfin, peut-être même plus besoin de formation : si le Guide 2.0 sort prochainement avec le descriptif de chaque séance, aussi précis que celui de l’étude du son « z », tout le monde pourra se glisser devant une classe de CP (sur l’estrade ?) et asséner magistralement, à tous simultanément et au même rythme (« soutenu », le rythme !) des enfilades de syllabes, mots, phrases… sortis de nulle part. Mais ils ont dû réfléchir pour écrire ce Guide (à force d’écrire Guide, j’ai un peu l’impression qu’on me considère comme une égarée dans le brouillard, à qui il faudrait montrer la voie… la seule et unique « bonne » voie…).

Bref, tout ça pour dire que je vais devoir plancher tout l’été pour choisir un « bon » manuel, inventer des listes de mots sans queue ni tête, acheter les « bons » cahiers, et évacuer toutes mes conceptions sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture…

Et pourtant, mes CP, en fin d’année, ils savaient lire…

Elisa Cécillon

Sur les instructions Blanquer notre Dossier