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« Réussir, ils en sont tous capables », telle est l’affirmation autour de laquelle se sont réunis des professionnels de l’éducation, mais aussi des parents, à l’appel du GFEN pour les 11èmes rencontres nationales qui se sont déroulées samedi 26 mai. Tous capables, c’est dire non à la fatalité. C’est dire non au constat amer que l’éducation, au lieu de tenir sa promesse de justice et de principe d’égalité, peine à enrayer les inégalités qui lui préexistent, voire les renforce. Au GFEN, on souhaite faire avec les différences sans les penser comme des inégalités. Selon le mouvement d’éducation nouvelle, « l’indifférence aux différences est discriminatoire… Qu’elles soient négligées ou surestimées, cela relève d’un aveuglement sociologique ». Le « Tous capables » est un défi au fatalisme, un « challenge » pour chacun de s’échapper du déterminisme, de s’émanciper de ses limites. Les éducateurs doivent « créer des conditions pour chacun de son propre dépassement par le biais du collectif ».

Pascal Diard ouvre la journée de réflexion et d’échanges, en rappelant que « tous/toutes capables » est une des identités du mouvement. Il convoque ensuite l’actualité, telle que Parcoursup – qui remet en cause l’accès égalitaire à l’enseignement supérieur – ou la répression policière contre les lycéens, qui refusent d’être « des rebus sociaux ». Il rappelle aussi que les politiques européennes privatisent et marchandisent les politiques éducatives. Il termine son propos introductif en constatant « l’actualisation des processus historiques de ségrégation scolaire qui combinent division sociale, genrée et professionnelle du travail éducatif, hiérarchisation culturelle des connaissances et du savoir, des pratiques langagières comme des processus de création, opposition binaire pour la pensée entre les différentes pensées d’apprentissage (par exemple : lecture globale/syllabique) et l’instrumentalisation politique des recherches scientifiques pour cantonner à la relégation spatiale et culturelle les enfants des classes populaires ».

Pourquoi réaffirmer, à nouveau, ce pari ?

« Tout d’abord parce que nos engagements, nos principes et nos valeurs nous y obligent en permanence ». P Diard continue : « En attendant d’avoir les moyens d’exercer le plus correctement possible notre métier, moyens pour lesquels se battent les syndicats, peut-être pouvons-nous, nous-même nous donner les moyens de transformer, dans les classes, le rapport éducatif. C’est cette directive entre obtenir des moyens et se donner nous-mêmes les moyens de l’émancipation qu’il nous faut atteindre ». Il rappelle le refus du GFEN des pratiques pédagogiques discriminantes, le refus du déterminisme sociologique. Ayant enseigné pendant 23 ans à Saint Denis, P Diard cite une de ses anciennes élèves : « Merci de nous avoir permis de nous autoriser à envisager de changer de classe sociale ». « Tous capables », c’est aussi la lutte contre l’idéologie du don, du talent et le combat du mérite individualiste – la méritocratie scolaire. Il rappelle que, dans les textes, il est clairement stipulé que tous les enfants sont en capacité d’apprendre. Le « tous capables » du GFEN vise « une réussite pour s’émanciper individuellement, intellectuellement et socialement par un trajet qui permet de s’approprier l’aventure humaine des savoirs et des pratiques de création et à transformer les potentialités de chacun et chacune en capacités réelles de conscientisation et de transformation de relations à soi et aux autres ».

Comment arriver à l’école de la réussite de tous ?

Serge Boimare nous explique qu’une école de la réussite de tous est une école où chacun continue sa progression tant qu’il est à l’école. Il nous faut cesser de croire que nous pouvons aider les élèves qui rencontrent des difficultés en leur proposant des groupes de soutien centrés sur la pédagogie ou sur la méthodologie pour qu’ils surmontent leurs difficultés. Selon lui, chaque élève a besoin d’un nourrissage culturel quotidien pour se construire un véritable fonctionnement intellectuel efficace pour apprendre. Certains élèves refusent l’apprentissage tel qu’on leur propose, c’est ce qu’il nomme « l’empêchement de penser ». Cet « empêchement de penser » serait la cause principale de l’échec scolaire.

Comment s’explique « l’empêchement de penser » ?

L’entrée dans les apprentissages nécessite quatre grandes compétences psychiques, toujours selon S. Boimare :

– Être capable de reconnaitre ses manques, de gérer sa frustration.

– Être capable d’attendre : construire avec le temps.

– Être capable d’entrer dans le cadre, cadre fait de règles et lois très précises.

– Être capable de vivre un moment de solitude, moment qui va avec le temps de réflexion.

Ces capacités sont construites dès les premiers instants de vie de l’enfant, par la sphère familiale. Mais toutes les socialisations familiales ne sont pas identiques et n’apportent pas toujours ces bases nécessaires à l’entrée dans les apprentissages. L’école, en niant ces disparités, met en difficulté ces enfants. Arrivés au collège, 1 élève sur 5 ne maîtrisent pas les fondamentaux, comment les enseignants gèrent-ils ces situations extrêmement compliquées ? S. Boimare note que beaucoup de ces élèves sont marginalisés et mis au banc de la classe dès la fin du mois de septembre.

L’entrée dans les apprentissages bouscule l’équilibre précaire de l’élève ce qui va engrangé de la peur, de la frustration qui parasitent son fonctionnement intellectuel. Il se protège donc en mettant en place cet « empêchement d’apprendre » en évitant systématiquement le temps du doute qui accompagne l’apprentissage, ce qui le pousse à utiliser des stratégies d’auto-dévaluation (« je peux pas, c’est trop dur ») ou de persécution (« le prof n’est pas juste ») ou un comportement inadapté. La parole de ces élèves n’est jamais étayée par la réflexion, il reprend les idées des autres comme des slogans.

Mais comment aider ces élèves ?

« Il faut remettre en route sa machine à penser », explique S. Boimare. Et pour cela, il faut alimenter la machine à penser en apportant à l’élève de nouvelles représentations qui enrichissent, et parfois valoriser, les siennes par la culture (comme la lecture de textes sur de grandes questions humaines, les conte de Grimm par exemple). Il faut aussi entraîner cette machine à penser, l’entraîner à l’expression orale et/ou écrite pour confronter ces nouvelles représentations aux siennes. Le langage argumentaire est à privilégier, l’élève devra tenir compte du propos d’un tiers pour construire son raisonnement. Ce travail de mouvement de la pensée permettant une entrée dans les apprentissages.

Selon lui, le travail autour du nourrissage et l’entrainement à s’exprimer :

– Offre une chance aux enseignants d’intéresser et de faire participer les élèves en difficulté et/ou décrocheurs.

– Donne une chance à tous les élèves, il permet d’atteindre l’excellence pour les bons élèves. Il donne aussi une cohésion au groupe.

– Permet de construire pour la classe un patrimoine commun qui facilite le vivre ensemble. Lorsque les élèves l’étudient ensemble cela donne plus de sens au savoir.

– C’est au programme de toutes les classes. Les textes préconisent l’apport culturel des textes et l’expression orale quotidienne.

– Protège l’enseignant de l’empêchement de penser. Les situations de grande difficulté scolaire minent le moral des enseignants et les découragent.

Peut-on le faire dans les classes ? Comment ?

Serge Boimare expérimente cette méthode de travail dans plusieurs écoles et collège de Genève et cela fonctionne. Concrètement dans les classes, il s’agit de débuter toutes les journées par ce dispositif de nourrissage culturel qu’il nomme « médiation culturelle ». Il propose qu’elle se décompose en 10 minutes de lecture du professeur, 25 minutes d’expression orale et de débat er 25 minutes d’expression écrite (qui peut prendre plusieurs formes : BD, écrits, dessins…). L’élément temps est primordial. En effet, les effets de cette heure de médiation se font ressentir entre un an et deux ans après son lancement. Serge Boimare conclue sa présentation sur ces mots : « Si on accepte qu’il faille un peu de temps pour franchir cette étape, on va voir que « tous capables » a du sens ».

Les ateliers qui ont jalonné cette riche journée de réflexion se sont centrés sur deux thématiques fortes : « faire avec les différences sans les penser et les vivre comme des inégalités » et « pas de liberté de penser sans liberté de pratiques ». Des thématique d’actualité qui ont permis à chacun des participants de repartir riches de nouvelles perspectives pour les élèves.

Lilia Ben Hamouda