Print Friendly, PDF & Email

Modifié 10h30 – La 15ème édition de l’université d’été Ludovia est toujours un rendez-vous qui réunit dans un cadre décontracté des acteurs de premier plan. Si le thème de l’année est Innovations & Institutions autour du numérique éducatif, c’est qu’il semble bien que la notion d’innovation résiste toujours pour qu’elle soit ainsi mise en avant. A moins qu’en associant innovations et institutions nous soyons invités à y voir un attelage qui ne va pas toujours de soi comme le rappelle Anne Farisse-Boyé (doctorante en Information, de la communication et de la documentation) dans le cadre du colloque scientifique. « Les injonctions de l’état à innover vont parfois à l’encontre de la stabilité demandée par les institutions ». C’est la raison pour laquelle l’innovation passe parfois par la transgression. Et la nouvelle loi sur l’interdiction-autorisation du téléphone portable est la meilleure illustration de cette contradiction. Mais Ludovia c’est aussi et surtout un grand fourmillement d’enseignants partageurs qui viennent mettre en avant le travail réel de leur salle de classe.

EMI et cyberharcèlement

Si le ministre n’a pas vraiment mis en avant l’éducation aux médias en privilégiant les données à ceux qui les fournissent, à ceux qui les enseignent, on remarque que sur le terrain les besoins sont forts. Bérengère Stassin (maitresse de conférences à l’université de Loraine) a fait le point lors d’une conférence, sur les pratiques des adolescents.

Les réseaux sociaux, qui nous privent souvent du visage de l’interlocuteur, ne favorisent pas l’empathie. Pourtant, des pistes existent pour développer les compétences émotionnelles et la sensibilité et des chercheurs comme Omar Zanna travaillent sur ces sujets. Elle cite des jeux éducatifs tels que le Jeu des mousquetaires, Les jardins des sculptures et le Jeu des trois figures. L’important, rappelle la chercheuse, est de ne pas séparer violences scolaires et cyberviolences et elle ajoute qu’il est urgent de sensibiliser les élèves à la question des traces numériques, de réfléchir aux conséquences de ces traces autant pour les jeunes harcelés que pour les jeunes harceleurs.

Au lendemain d’un discours ministériel centré sur les données, sur leur protection puis sur leur utilisation au sein de l’Éducation nationale, on mesure l’écart qui semble se creuser entre cette approche techno-centrée et celle des chercheurs qui préconisent une vision plus élargie qui engloberait la sociologie des réseaux et de la communication, pour comprendre à quoi rêvent véritablement les algorithmes, question à laquelle réfléchit le sociologue Dominique Cardon.

Célébrer le poète : #ApollinR18

Voilà un projet exaltant qui s’annonce ! Le 9 novembre prochain, un événement se prépare et sera dévoilé à ceux qui suivent le compte twitter @apollinaireGui1. Nous savons déjà qu’il s’agit d’un projet mutualiste en Lettres qui est porté par quatre académies : Nice, Toulouse, Aix-Marseille et Montpellier. C’est Anne Veghte, IAN Lettres de l’académie de Montpellier qui le présente. Autour de la commémoration de la mort de Guillaume Apollinaire, va être déployé un vaste projet créatif auquel les enseignants intéressés sont invités à se joindre. Au programme : des créations de web radios dédiées, de livres numériques, des cartes postales sonores, des visites de galeries virtuelles, des calligrammes animés… il y a mille façons de participer. De nombreuses ressources accompagneront les enseignants : le site Eduthèque propose 59 ressources sur Apollinaire et 21 créations (calligrammes et vidéos crées par des artistes), la BRNE propose des textes et des images interactives, Radio France et Canopé sont également partenaires ainsi que le Centre Pompidou qui propose un dossier pédagogique sur la lettre. Un site dédié a été créée autour de l’évènement pour trouver des ressources, une boite à outils et qui mettra en valeurs les productions des élèves. Rendez-vous est pris pour le 9 novembre.

Développer la créativité et l’engagement des élèves

Dans le cadre du colloque scientifique, Christelle Caucheteux (enseignante de SES) présente les résultats d’une exploration réalisée avec la chercheuse Margarida Romero, directrice du laboratoire #LINE (Laboratoire d’Innovation et Numérique pour l’Éducation, unité de recherche de l’ESPE de Nice). Le projet Stan’Up met en avant la créativité comme compétence et l’enseignante cherche à favoriser les attitudes propices au développement de cette compétence. Ce projet consiste en une sorte d’immersion des élèves dans le monde des startups : en collège (parcours avenir) et en lycée (connaissance du monde des entreprises). Les élèves sont invités à se glisser dans la peau de jeunes entrepreneurs ou socio-entrepreneurs afin d’imaginer des solutions pour « mieux vivre la ville » à l’aide de méthodes de Design Thinking qui rythment le parcours depuis l’imagination, la formalisation, le développement jusqu’au prototypage. Enfin, lors d’une séance de présentation, l’oral et la théâtralisation d’un pitch représente l’aboutissement du travail qui s’étend sur plusieurs mois. Notons l’accompagnement des élèves par des étudiants de l’école Epitech de Nice ainsi que par des parents bénévoles pour faire interagir différentes générations. La chercheuse met en avant la notion de « tolérance à l’ambiguïté » c’est-à-dire de droit à l’erreur voire à l’échec d’une solution proposée.

Cette expérience, menée dans un cadre scolaire plutôt favorable, pourrait-elle permettre de raccrocher des élèves qui vivent des difficultés scolaires ? Quel rapport cette expérimentation crée-t-elle au monde contemporain du travail, à la créativité, à l’engagement, notion mise en avant par le ministère ? Ce sont les questions auxquelles les enseignantes souhaitent répondre. Ajoutons qu’il semble bien qu’au-delà de l’innovation de la pédagogie on cherche de plus en plus à enseigner l’innovation à nos élèves.

Les escape games : enseigner la résolution de problèmes

Dans la partie Explor’camp de Ludovia, où les enseignants viennent montrer des projets réalisés en classe, on note cette année la forte présence des escape games. C’est une forme particulière de ludification de l’enseignement qui trouve son origine dans un nouveau divertissement : un jeu de société d’évasion grandeur nature. On compte plus de mille salles en France à ce jour. De nombreuses équipes enseignantes se sont lancées dans la réalisation d’escape games pédagogiques pour travailler le savoir être, des connaissances et des compétences.

Nous retiendrons tout d’abord celui qui prend comme cadre la série La casa de papel. Présenté et réalisé par Stéphane Agniel, ce jeu permet aux élèves de troisième de travailler en SVT sur les groupes sanguins. Il a la particularité d’utiliser l’assistant vocal Google Home, que les élèves peuvent interroger en plus des nombreux documents, volontairement énigmatiques, mis à leur disposition. Les élèves découvrent les potentialités et les limites de l’intelligence artificielle grâce à cet objet connecté qui trône sur la table, comme une seconde instance enseignante, qui parle plusieurs langues et à qui il faut s’adresser à l’oral par des phrases construites et claires, rappelle l’enseignant. On comprend aisément le fort potentiel de tels dispositifs pour favoriser l’entrée des élèves dans les tâches scolaires mais on regrette que l’enseignant n’ait pas eu le temps de préciser quels apprentissages étaient visés et comment les savoirs ont été institutionnalisés à l’issue de la séance. On remarque aussi que dans ces dispositifs, la collaboration entre élèves est fondamentale mais on ne sait pas si la collaboration fait l’objet d’un apprentissage particulier et comment cette compétence est évaluée.

Le collectif S’cape a ensuite attiré notre attention. Les trois enseignants qui l’ont monté tiennent un site destiné à aider les équipes qui souhaitent utiliser un escape game pédagogique ou qui veulent se lancer dans une conception. Il met à disposition plus de 200 escape games pédagogiques ainsi que de nombreuses astuces, réflexions et conseils. De nombreuses réalisations s’appuient sur les ressources de la BRNE et le compte Twitter @scapedu est associé à ce projet. Une publication est attendue dans les prochains mois sur ce sujet et témoignera d’un vrai dynamisme qui va sans doute au-delà de l’effet de mode, l’avenir nous le dira.

Bruno Vergnes