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« Le titre n’a pas été choisi au hasard. Mais, bien qu’il fasse référence au livre « les territoires perdus de la république », le but de cet ouvrage n’est pas de se positionner contre », nous explique Amaury Pierre, l’un des nombreux auteurs des « Territoires vivants de la République » (La Découverte), enseignant en collège à Stains (93). Fabien Pontagnier, auteur lui aussi et professeur dans le même collège, ajoute : « Notre but n’est pas de nous positionner contre un livre mais plutôt contre un système de pensée, un discours, qui veut que l’enseignement dans certaines banlieues dites difficiles soit réduit à du sensationnel. On oublie d’en décrire le quotidien de notre métier d’enseignant qui n’est pas, non plus, un acte de foi, un engagement messianique, tel qu’il peut, a contrario, aussi être présenté. Nous avons souhaité, simplement, raconter nos expériences, multiples de par nos parcours divers, faites de réussite mais aussi d’échecs ». Coordonné par Benoit Falaize, l’ouvrage montre, sans faire l’impasse sur les difficultés, le travail obstiné de l’Ecole pour la réussite de ces jeunes malgré les préjugés.

Un livre de praticiens

Dans ce livre, les nombreux auteurs rappellent tout simplement que l’école poursuit son travail dans les territoires si souvent stigmatisés par le discours ambiant. Ils rappellent qu’enseigner en éducation prioritaire, dans les banlieues, c’est possible. Que les enseignants n’y vont pas contraints et forcés. Malgré les difficultés que le livre ne nie pas, ils prennent même plaisir à le faire. La parole est donnée à tous les acteurs, même les élèves. Ecoutons Benoit Falaize – docteur en histoire et spécialiste de l’école. Dans préface de l’ouvrage, il rappelle la dynamique dans laquelle s’est inscrite cet ouvrage : « Les auteurs réunis ici souhaitent, avec énergie, que l’apaisement se substitue à la polémique, le dialogue à l’invective, la compréhension à la dénonciation. Ils témoignent, et chacun à sa manière, en montrant simplement que les quartiers où ils enseignent sont des territoires vivants, à l’égal de tous les autres territoires de la République : des lieux où vivent des enseignants, des élèves, des personnels éducatifs, des familles, qui ont droit à l’égale dignité, l’égale reconnaissance, la même citoyenneté… »

Parce que ce livre n’est pas rédigé par des prêcheurs de salon mais par des praticiens il montre le travail, souvent invisible, des enseignants. Et il ne nous épargne rien.  » Territoires vivants de la République » parle de l’importance de l’accueil des parents dans les établissements. Il décrit les gestes qui tissent la confiance entre les élèves et l’école. Et il aborde de façon frontale, au ras du vécu quotidien des classes, les questions chaudes, celles qui dérangent : enseigner les sciences face au discours religieux, les conflits de mémoire, l’enseignement du colonialisme, de la guerre d’Algérie, de la Shoah et aussi les questions de genre. Oui on peut enseigner tout cela en banlieue. On peut y transmettre les valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité et le drapeau en prime.

Nous avons rencontré Amaury et Fabien qui nous expliquent comment ils ont atterri dans cette belle aventure.

Fabien cherchait, depuis un certain temps, le moyen de porter la voix des élèves et leurs réussites. « C’est lors d’une soirée, que nous avons, avec Amaury, rencontré la plupart des co-auteurs du livre. De ces échanges est né, simplement, la trame de l’ouvrage. C’est une grande chance d’avoir pu participer à cette entreprise ».

Amaury nous explique qu’il ne s’agit pas d’un collectif préexistant mais plutôt de professionnels de l’éducation portés par le même désir de montrer tout ce qui va bien dans les écoles de milieux populaires. « Nous n’avons pas forcément tous les mêmes avis, ni les mêmes pratiques, mais nous sommes d’accord sur l’essentiel : ces territoires qui sont souvent pointés du doigt comme étant en marge de la république, sont en fait un vivier d’énergie pure dans lequel il y a de belles choses à mener, et qui représentent un véritable défi pédagogique, de façon positive, dans le sens où cette énergie nous amène à nous remettre en question et à repenser notre façon d’aborder l’enseignement ».

Fabien complète le propos de son collègue, « le groupe s’est construit peu à peu en y agrégeant des enseignants, des professionnels. Il n’y avait donc pas de volonté de rédiger un programme qui aurait été le résultat de nombreux échanges et d’une démarche calculée. L’idée centrale du livre était présente chez tous. En fédérant autour de lui autant de professionnels, l’ouvrage a réussi le tour de force de convaincre également des chercheurs du monde éducatif à y prendre part et ainsi à bâtir un ensemble homogène malgré les multiples récits de vie professionnels qui y sont proposés. Le livre s’est construit peu à peu sous nos yeux et chacun pouvait lire les textes des autres auteurs et communiquer sur ce qui était produit. C’est un véritable travail collectif qui a été produit. »

Désacraliser l’idée des zones de non-droits

Les auteurs ne prétendent rien, n’essaient pas d’imposer une doxa. Ils tentent tout simplement d’apporter un autre regard, trop méconnu, sur les pratiques enseignantes dans ces territoires.

Amaury et Fabien, enseignants passionnés par leur métier, mettant en place des projets ambitieux dans l’établissement REP+ où ils enseignent, à Stains, en Seine-Saint-Denis. Nous leur avions consacré un article en mai dernier « Mémoire commune : quand de jeunes stanois chantent le chant des marais ».

Participer à l’écriture de ce livre représente beaucoup pour eux. Pour Amaury, « Ce livre est un témoignage, de nos succès, de nos échecs, mais surtout cela nous permet de désacraliser l’idée commune, souvent véhiculée par les médias, ou même l’opinion publique en général, qu’il existe des zones de non-droit républicains en France. Nous souhaitons que les élèves soient fiers de leur commune, de leur établissement, de ce qu’ils accomplissent, et nous même souhaitons être fiers d’être leur enseignant. Nous ne sommes pas là pour donner des leçons, mais juste permettre aux lecteurs, s’ils le souhaitent, d’entrer dans une salle de classe, telle une petite souris qui serait venue observer ce qu’il s’y passe. La diversité de ce livre, c’est la diversité de ses auteurs : des métiers différents, des régions différentes, des établissements différents. En ce sens, le lecteur peut, s’il le souhaite, lire tout d’un coup, s’emparer d’un thème général, ou tout simplement piocher parmi les textes, comme on le ferait dans un recueil. ».

Un beau livre sur l’enseignement

Fabien rappelle l’originalité de cet ouvrage : « Le livre donne la parole aux élèves, c’était fondamental. On parle de pratiques éducatives, de démarches pédagogiques mais les enfants sont souvent oubliés et on ne les entend pas. L’ouvrage ici a donné la possibilité à nos élèves d’écrire, de communiquer sur ce qu’ils apprennent, sur leur ressenti vis à vis de l’école. Je suis très fier que leurs prénoms, leurs noms soient cités et qu’ils s’expriment. L’ouvrage débute ainsi par le formidable récit de trois d’entre eux. Ce livre n’est que la transmission d’expériences concrètes complétées par des analyses courtes, pertinentes, des contre-points de scientifiques. Je trouve que c’est un vrai beau livre sur l’enseignement où nous ne nous imposons pas comme des hérauts mais simplement comme des profs aimant leur métier et aimant le pratiquer dans ces quartiers. C’est l’autre point évidemment fondamental selon moi ; redonner une image positive de ces banlieues, déconstruire l’idée du ghetto, du cloisonnement, de l’îlot. Les textes montrent que nos élèves sont dans le monde, ont envie de le comprendre, de s’y inscrire et qu’il est essentiel, ici peut-être plus qu’ailleurs, d’adapter quotidiennement nos pratiques et d’être à l’écoute ».

Un livre bienvenu pour les enseignants, qu’ils soient en éducation prioritaire ou pas. Rappeler que chaque élève compte, que la mission de l’école est possible partout. Ne pas se laisser déprimer par le discours ambiant en ce début d’année, pour entamer une année riche de projets ambitieux.

Lilia Ben Hamouda

Benoit Falaize, Territoires vivants de la République. Ce que peut l’école : réussir au-delà des préjugés. La Découverte, 2018, ISBN 9782348037405

Ont participé à l’ouvrage : A Abgles, JP Aurières, C Berterreix, E Bouteville, D Borne, A Brendel, JC Casadesus, MK Chabane, C Ciret Bernet, L Clavier, S Da Rochaa, S Di Matteo, E Favey, B Falaize, M Gallais, M Graff, ML Hilgert, A Jellab, P Joutard, FKieffer, L Klein, C Latournerie, ML Lepetit, L Mahadmi, X el Mansour, C Marsollier, A Pierre, JD Peyret, C Podetti, F Pontagnier, C Taillefer, F Truong.

Présentation de l’éditeur