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Comment une fiction cinématographique capte-t-elle le moment fugace et délicat de la préadolescence en filmant des enfants ? D’où vient qu’elle trouve la bonne distance pour toucher les jeunes spectateurs ? Joya Thome, la réalisatrice allemande de « Reine d’un été », adopte en tout cas une méthode en parfaite adéquation avec son objet. Inspirée par les lieux et les souvenirs de son enfance, appuyée sur un scénario pointu et ouvert aux improvisations des (petits) acteurs non-professionnels, aimantée par le charisme d’une comédienne en herbe (Lisa Maell dans le rôle-titre), la chronique mouvementée des vacances aventureuses de Léa, dix ans et un sacré tempérament, sonne incroyablement juste. Avec ce premier long métrage réussi, Joya Thome ne s’en tient pas à sa formation théorique dans une école de cinéma, elle nourrit sa mise en scène de la pratique de courts métrages et du jeu, en tant qu’actrice débutante dans les films de son père, Rudolf Thome. Ces expériences diverses alliées à des études en sciences de l’éducation se conjuguent sans doute pour affuter le regard porté sur la métamorphose intime de cette « Reine d’un été ». Un portrait saisissant de vérité d’une fille déterminée qui ne s’en laisse pas conter. A rebours des clichés.

Léa et les garçons, le temps d’une saison

Visage impassible, cheveux longs au vent, tee-shirt framboise et courte salopette blanche, voici Léa à bicyclette filant dans la campagne allemande, à Niendorf exactement, village d’enfance de la réalisatrice. Léa parle peu sauf pour dire ‘non’ à ses parents : elle n’a pas envie de partir en colonie de vacances car elle n’a pas d’affinités avec les filles de son âge. Une après-midi, entre les branchages, elle observe une bande de garçons en train de construire un radeau au bord du lac. Sa tentative d’intégrer le groupe se heurte à un refus agressif : la bande n’est pas ouverte aux filles !

Nous sommes immédiatement entraînés dans le sillage de Léa dont la fiction adopte le point de vue. Et nous comprenons vite que cette fille silencieuse au regard grave n’est pas du genre à se laisser impressionner par cette marque d’hostilité. Lorsque nous la voyons évoluer dans la maison cossue où elle habite avec ses parents, elle manifeste cette indifférence polie et ce mutisme énigmatique caractéristiques de son âge. Mark, musicien marginal, est le seul adulte avec qui Léa entretient une relation d’affection et de confiance. Une connivence telle qu’elle offre des glaces au grand gaillard allongé dans une baignoire en plein air plantée au milieu de la cour non loin du baraquement où il loge. A l’exception de quelques êtres précaires et atypiques, il faut se garder du monde des adultes, à qui il convient de taire ce que l’on fait et ce que l’on aime.

Ainsi suivons-nous à vélo ou à pied Léa sur le chemin enivrant des découvertes de la nature et sur la voie périlleuse d’initiation à une vie nouvelle, aux antipodes du cadre parental.Sous nos yeux, elle fait l’expérience de son attirance, encore confuse, pour le sexe opposé, à travers son obstination à vouloir faire partie de la bande de garçons menée par Nico. Monter sur un radeau, grimper dans une cabane cachée dans les arbres, se soumettre au culte du secret et au respect de la parole du chef…autant de rites d’intégration auxquels elle paraît adhérer sans sourciller. Pourtant d’autres épreuves ne se limitent pas à transgresser les interdits des adultes. Si elle gagne probablement son statut de ‘reine’ en restant allongée entre les rails pendant le passage d’un train, elle garde son quant-à-soi, refuse de se plier au ‘machisme’ potentiel du groupe, acquiert subrepticement sa part de liberté et son indépendance.

La mise en scène subtile d’une métamorphose intime

L’alternance de quelques cadrages en gros plans du visage impassible de l’héroïne et de ses yeux aux aguets avec des plans larges de l’environnement, du paysage, des humains que son regard découvre place Léa au centre de la fiction, focalise notre attention sur ses attitudes et ses réactions si infimes soient-elles.

Quelques plans d’ensemble, muets, accompagnés de musiques et de chants, des plans filmés au ralenti -suggérant l’ambiance festive et le plaisir grisant d’appartenir à un groupe mêlant des filles et des garçons, en forme de célébration de la fin de l’été- introduisent dans la narration un changement de registre, par un procédé maniériste qui tend à poétiser ce que le récit d’initiation met au jour, par ailleurs, de façon subtile et délicate.

Pour l’essentiel, la prouesse de la cinéaste réside ici dans la captation de ce moment éphémère de la puberté, au seuil de l’adolescence, où une fille prend progressivement conscience d’elle-même, du monde qui l’entoure, découvre le sexe opposé, tout en battant en brèche les stéréotypes et les clichés liés à la différence des sexes. Au plus près de cet être en construction, la mise en scène habile (et le scénario élaboré) fait affleurer l’émergence d’un tempérament dans son autonomie. Léa choisit, en particulier, de taire le secret entourant la vie intime du pompier du village chez qui elle s’est introduite pour écouter ses conversations, une mission effectuée sous le contrôle de la bande des garçons, postés à l’extérieur de la maison.

Bien plus, les rendez-vous nocturnes au bord du lac avec un garçon prénommé Robert signent la logique de séparation d’avec la bande : la manifestation d’une liberté nouvelle, l’ébauche d’une idylle associée à l’esquisse de sourire, visible pour la première fois sur le visage de Léa.

Grâce à la pertinence du casting et à la souplesse de la direction d’acteur, l’authenticité du jeu des enfants nous éloigne des niaiseries infantilisantes d’autant que la réalisatrice empathique ne juge pas ses jeunes héros. Ces derniers gardent une part de mystère et une sorte de gravité, liées à l’enfance. Léa et les garçons prennent leurs jeux au sérieux. Et la mise en scène épouse dans ses partis pris l’apprentissage que constitue, pour Léa en premier lieu, cet été particulier qu’ils viennent de partager. Au fil de la métamorphose intime de Léa, « Reine d’un été » enregistre l’enfance et sa fin, comme un ‘continent perdu’, si loin, si proche.

Samra Bonvoisin

« Reine d’un été », film de joya Thome-sortie le 29 août 2018

Compétition, Festival Cinekid, Amsterdam ; Prix du public et Prix du jury enfant, Festival Voir Ensemble, Grenoble ; Prix du jury, Festival Les Toiles Filantes, Pessac

Dossier pédagogique proposé par le distributeur