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De plus en plus fréquemment, des lauréats du concours de professeur des écoles entament une seconde carrière. Nous avons rencontré deux d’entre eux. L’une, Najah Bouredha est infirmière jusqu’au 31 août. L’autre, Waël Majri, était chef d’équipe logistique avant d’être enseignant contractuel l’année scolaire passée. Ils nous expliquent leurs motivations, leurs doutes et leurs attentes.

« Je ressentais un manque »

Najah est infirmière depuis 2005. Diplômée en puériculture en 2009, elle travaille plus spécifiquement avec les enfants. Mère de trois enfants, « les horaires du métier, le stress et le fait de ne plus avoir de temps pour ma famille m’ont incité à me mettre en vacations à proximité de chez moi pour pouvoir gérer à la fois famille et profession. Après 13 ans de carrière et à la suite d’un burn-out, j’ai décidé de changer de voie ». C’est dans ce contexte que Najah se lance dans une reconversion. « Comme la prise en charge des stagiaires et la transmission de mes connaissances étaient des compétences que j’appréciais dans ma profession, j’en suis venue à penser au métier d’enseignant. Si je devais résumer, je pense que prendre soin de l’autre a toujours été essentiel pour moi et être infirmière me l’a apporté pendant un temps. Mais dans la réalité, rien ne se passe comme on se l’imaginait, j’ai dû faire le deuil du métier idéal et me plier aux manques de moyens… ». Le sentiment d’inefficacité a beaucoup perturbé Najah qui s’est énormément remise en question. Alors, « J’ai voulu m’éloigner de mon métier, de mon uniforme, de la pathologie et des souffrances des autres car je souffrais moi-même… ». C’est dans cette dynamique qu’elle s’oriente vers l’enseignement. « Professeur est, il me semble, un métier qui est gratifiant. Pourtant ma vision de l’école n’est pas aussi rose. Je pense que l’école a perdu de vue de sa vocation, aider les enfants à devenir des êtres épanouis et équilibrés. On note et évalue des enfants de la même façon oubliant que derrière chaque enfant il y a une sensibilité propre et une perception propre ».

Waël a, quant à lui, passé le concours après une année en tant qu’enseignant contractuel dans le premier degré. Il a pourtant un parcours qui ne l’orientait pas vers l’enseignement. « Très attiré par les sciences dures après le lycée, j’ai démarré un parcours universitaire en biologie et en biochimie. Puis, ma licence en poche, je me suis réorienté vers un master en management. Ayant une première expérience dans le domaine du transport, j’ai intégré un grand groupe français spécialisé dans les services liés à l’environnement ». Waël a apprécié son expérience professionnelle mais elle ne lui apportait que peu de satisfaction. « Je ressentais un manque. Je souhaite exercer un métier dans lequel je peux m’accomplir, dans lequel je me sens utile ». Riche de ces réflexions, Waël a donc postulé en aout 2017 à un poste de contractuel. « Bien que le démarrage fût compliqué, cette année m’a permis de confirmer ma volonté d’enseigner. L’équipe pédagogique de mon école de rattachement m’a soutenu et fait confiance, faisant preuve de compréhension, m’accompagnant au quotidien. J’ai aimé cette dynamique d’équipe au service des élèves ».

Ne jamais devenir un enseignant médiocre

Najah et Wael, tous deux lauréats dans l’académie de Créteil, sont affectés dans des écoles de Seine-Saint-Denis. Waël sera en maternelle, au Bourget. Najah, en élémentaire à Saint-Ouen. Waël est plutôt satisfait de son affectation. Enseignant en maternelle lors de son année de contractuel, il bénéficie d’une première expérience. Il a d’ores et déjà rencontré son binôme et l’équipe de sa nouvelle école, et le premier contact est prometteur. Côté classe, ayant pratiqué pendant une année, « j’ai moins l’appréhension de l’inconnu. J’ai cependant beaucoup entendu parler de cette première année en tant qu’EFS, qui semble très difficile du fait des visites fréquentes et régulières des représentants de l’IEN et de l’université pour nous évaluer. J’espère qu’ils feront preuve de bienveillance afin que ces rencontres se passent le mieux possible. J’ai également de l’appréhension concernant la formation universitaire. Cela fait presque 10 ans que j’ai quitté les bancs de l’université ».

Najah est beaucoup moins sereine, elle a rencontré ses collègues en juin dernier. « Je suis assez stressée. Je suis là dans le cadre d’une reconversion professionnelle et je me rends compte que je serai seule face aux élèves avec, en prime, une masse de travail colossale. Certes, on me répète sans cesse que les collègues seront là pour m’épauler, mais une fois la porte fermée qui m’aidera ? Je vois difficilement la mise en place de cette aide. Je croyais naïvement que ma prise de poste se ferait comme dans mon métier d’infirmière. J’aurais été en classe avec un enseignant ayant déjà de l’expérience, qui aurait répondu à mes questions au moment où elles se posaient, à chaud. Il m’aurait aidé à ajuster ma posture. Il se serait peu à peu effacé pour me laisser en responsabilité complète. Je suis, sur ce point, très déçue de me dire que l’éducation nationale laisse des personnes comme moi, sans expérience, prendre en charge des élèves qui subiront mes hésitations et mes tâtonnements.

Je porte sur le métier d’enseignant le même regard que je porte sur celui d’infirmier. Il faut l’exercer consciencieusement. Toute personne dont nous avons la responsabilité est exceptionnelle. Il faut porter un regard large qui embrasse à la fois personnalité, histoire scolaire et familiale ». Najah attend tout de même beaucoup de cette première année qui sera « forcément enrichissante car elle me permettra d’apprendre beaucoup sur moi. J’aime les défis ». Elle fera le bilan en juin mais sait, déjà, que « je n’accepterai jamais de devenir une enseignante médiocre, je m’attelle donc dès à présent et attend beaucoup des trois premières semaines en classe où je serai avec ma binôme ». Najah termine son entretien en nous rappelant sa vision du métier d’enseignant, ce pour quoi elle a signé. « Je suis maman de 3 enfants et selon moi, l’enseignant doit savoir faire équipe avec la famille et l’enfant. Il doit pouvoir trouver les mots justes pour accompagner au mieux l’élève, surtout quand il rencontre des difficultés afin de ne jamais rompre le lien. Il doit aussi relativiser sa place et son rôle dans la vie de l’enfant. Il a un rôle important à jouer, certes, mais il n’est pas le seul détenteur des savoirs, savoir-faire et savoir être. Il doit, toujours selon moi, plutôt se placer en allié pour accompagner l’enfant vers sa vie d’adulte épanoui ».

Des enseignants, ayant une vision du métier ambitieuse : servir la société en formant les citoyens de demain. Espérons que cette énergie et ce dynamisme ne s’essouffleront pas lors de la laborieuse année qui les attend.

Lilia Ben Hamouda