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Comment un escape game peut-il engager davantage des élèves démobilisés ? Au Pôle Innovant Lycéen du Lycée Lazare Ponticelli de Paris, Aurélie Le Hir, enseignante de SVT et Dominique Pairault, enseignant de mathématiques contournent l’appréhension des sciences en travaillant différemment avec leurs élèves. « Revenir dans les apprentissages scientifiques de façon ludique permet de restaurer une image positive de soi, ce qui est primordial dans le processus de retour à l’école », souligne Aurélie Le Hir. Elle livre son regard sur ses 3 années au pôle innovant lycéen (PIL) où il faut « individualiser tout en restant collectif ».

Pourquoi cet escape game réalisé en classe de seconde ?

Nous travaillons avec notre classe de seconde sur l’option “Méthodes et Pratiques Scientifiques” tout au long de l’année et un des thèmes qui y est abordé est “Investigation Policière”. Nous avons eu envie de réaliser pour nos élèves une “vraie scène de crime”, où les élèves doivent faire preuve d’observation, de coopération, où ils doivent réinvestir différentes connaissances et compétences travaillées au cours de la séquence et surtout tourner ça de manière ludique. Nous nous sommes donc lancés dans un escape game pédagogique « La Disparition » comme évaluation de fin de séquence.

Comment s’organise-t-il ? Quelles sont les activités proposées aux élèves ?

Tout commence devant notre salle de travaux pratiques de SVT, la porte est entrouverte, la lumière allumée et de la musique se fait entendre…Nous donnons aux élèves la feuille de route du groupe où ils devront noter leurs preuves et conclusions, ils entrent dans la pièce, la porte se referme derrière eux et je déclenche le chronomètre.

Pour résoudre l’enquête les élèves sont par groupe de 3 ou 5 et disposent de 60 minutes. Ils devront analyser des indices dissimulés dans 2 pièces et réaliser en autonomie des manipulations étudiées précédemment en classe : tester les groupes sanguins de 2 échantillons, identifier au microscope des grains de pollen et leurs localisations en Ile de France, décoder des cadenas, lire des résultats d’électrophorèses et appliquer les règles de sécurité et d’hygiène en laboratoire. Les résultats de ces manipulations leurs permettront d’identifier la victime, le coupable et de comprendre comment la victime a été kidnappée.

D’autres indices, non travaillés en cours, sont dissimulés dans la pièce et permettent également de résoudre l’enquête, par exemple plusieurs indices amènent à l’identité de la victime : l’analyse du groupe sanguin retrouvé sur sa blouse, l’analyse ADN de cheveux sur son peigne ou sur un mégot de cigarette, mais aussi le badge sur sa blouse (nom et prénom), son nom noté à l’heure et au jour J sur le planning d’utilisation du laboratoire, des photos d’elle en vacances sur son bureau et une carte d’identité dans son sac à main. Les élèves sont des enquêteurs libres, ils exploitent les indices qui leurs semblent pertinents et dans l’ordre qu’ils souhaitent et selon les groupes les techniques de résolutions varient énormément !

En quoi ce type d’approche permet-il de mobiliser les élèves décrocheurs ?

Les élèves que nous accueillons sont des élèves « raccrocheurs », ils ont été déscolarisés entre 6 mois et plusieurs années et souhaitent venir au Pôle Innovant Lycéen pour retourner dans les apprentissages et réfléchir à ce qu’on appelle leur « projet personnel » c’est-à-dire la construction de leur parcours futur.

Même si ces élèves sont motivés par un retour à l’école, tenir dès le début de l’année scolaire toute une journée assis en classe est souvent trop long pour eux, il faut à un moment passer à une activité plus concrète où l’on peut bouger librement et à son rythme. Le travail en laboratoire, notamment à travers un escape game le permet. Sur le début de l’année scolaire les élèves ont en moyenne 1h30 à 3h de laboratoire par jour.

La plupart des élèves que nous accueillons ont été mis en échec dans les matières scientifiques, ils nous arrivent braqués contre « les sciences ». Il nous fallait donc contourner cette appréhension des sciences, c’est pourquoi nous avons choisi de travailler les sciences différemment : autour de la criminologie, à travers cet escape game mais aussi à travers la cuisine moléculaire, l’art plastique, l’écriture de nouvelles policières et de bota-fiction.

Permettre aux élèves de revenir dans les apprentissages scientifiques de façon ludique permet de restaurer, en sciences notamment, une image positive de soi, ce qui est primordial dans le processus de retour à l’école.

Lors de l’escape game je suis dans la salle en tant qu’observatrice, juste pour veiller à la sécurité, je découvre beaucoup sur mes élèves, notamment leur positionnement dans un groupe et leur degré d’autonomie, ce diagnostic est très important en début d’année pour nous enseignants afin de mieux connaître les élèves que nous accueillons.

Quel bilan dressez-vous votre implication au PIL ? Quelles sont les principales différences avec un lycée traditionnel ?

J’ai été recruté au PIL il y a 3 ans lors de la création de la classe « Lycée Inversé » avec Adrien Arrous et Dominique Pairault, classe sur laquelle nous sommes référents depuis 3 ans. Ces trois années ont été très enrichissantes et très formatrices, aussi bien professionnellement qu’humainement.

Dans les structures de retour à l’école, la place de l’élève est primordiale, c’est l’équipe qui doit s’adapter au mieux à chaque élève à l’intérieur d’un cadre: ici nous accompagnons les élèves durant 1 année scolaire pour tester et créer un parcours de formation individualisé selon les besoins et envies de chaque élève. Nous sommes face à des élèves volontaires qui ont choisi de revenir à l’école après une interruption de plusieurs mois voire de plusieurs années et nous avons la chance de pouvoir nous adapter en équipe aux besoins individuels de chacun grâce à une grande liberté dans notre organisation spatiale et temporelle.

Par exemple si X ne peut pas être en cours de sciences (phobie scolaire, RDV médical…) je dois pouvoir lui donner les leçons et devoirs à distance (tout est sur mon site internet) et quand il arrivera à venir au lycée, je devrai me rendre disponible pour lui consacrer du temps où je pourrai l’accueillir, retravailler les notions avec lui et travailler en laboratoire. Les enseignants sont présents 25h par semaine au lycée, ce qui nous permet d’avoir du temps pour accueillir les élèves hors de nos temps de cours. Dans ces temps hors cours, il y a notamment le « tutorat » avec les élèves, où l’on prend le temps de faire le point de ce qui va et va moins bien, scolaire et hors scolaire et où l’on cherche des solutions adaptées à chaque élève. J’ai découvert au PIL un espace et une organisation où l’on a le temps de prendre le temps avec les élèves, où l’on peut considérer le jeune dans son intégralité.

Dans ma classe j’ai des élèves ayant validé 2 secondes générales et d’autres s’étant arrêtés en 5ème, et les projets de sorties qu’ils annoncent sont très divers : 1ere générale, 1ère professionnelle, DAEU, école de chant, armée… Il faut donc que j’individualise tous mes cours pour permettre à chaque élève de développer les compétences et connaissances dont il aura besoin pour le parcours qu’il souhaite faire. Ici chacun peut avoir un parcours différencié au sein de la classe, tout le monde ne fait pas forcément toutes les matières à tous les moments de l’année, il faut donc repenser ses cours et sa programmation. Le plus dur a été de réfléchir à comment maintenir un groupe classe, car revenir à l’école c’est aussi réapprendre à être en groupe avec autant de parcours différents, il fallait individualiser tout en restant collectif !

Durant ces 3 années j’ai eu la chance de toujours pouvoir travailler conjointement avec des collègues, notamment avec ceux du lycée inversé, ce qui nous a poussés à nous questionner toujours plus, à tester de nouvelles pratiques pédagogiques et à monter de nouveaux projets. Ces 3 années ont été en fait une co-formation entre pairs couplée à une analyse de pratiques. Ces découvertes et ces échanges pédagogiques se sont notamment faits grâce à Inversons La Classe et la FESPI, qui permettent de découvrir et de rencontrer différents enseignants, une grande variété de méthodes de travail, de nombreux retours d’expérience et une mine précieuse d’inspiration et de motivation !

Entretien par Julien Cabioch

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