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Comment se construisent les inégalités scolaires qui touchent les enfants immigrés ? Alors qu’un enfant sur 4 en France a au moins un parent immigré, et que l’école façonne largement l’avenir professionnel des jeunes, interroger ces inégalités et la construction de la différence est une priorité. C’est aussi un moyen efficace d’interroger les stéréotypes, voir les peurs. Parce que Mathieu Ichou, dans « Les enfants d’immigrés à l’école » (PUF), observe en finesse les différences entre les groupes ethniques et à l’intérieur de ces groupes. Il reconstitue les parcours de ces jeunes et montre l’importance du capital social et culturel acquis avant l’immigration, comme celui de la famille et de la fratrie. Au terme de ce travail de sociologue , tout en nuances, nous touchons du doigt la fabrication de la différence. Et le doigt pointe aussi vers le système scolaire…

« Un des objectifs du présent ouvrage est de proposer un autre point de vue sur la scolarité des enfants d’immigrés. L’originalité de ce point de vue consistera à passer d’une vision de l’échec scolaire des enfants d’immigrés comme problème social à l’étude de leurs trajectoires scolaires somme problématique sociologique ». Mathieu Ichou rompt avec toute une littérature homogénéisante pour mettre en avant la diversité des parcours.

S’intéressant à l’histoire des familles grâce à une batterie d’entretiens et s’appuyant sur des statistiques (TeO mais aussi les panels Depp), il entre dans le fameux conflit entre ceux qui lisent les difficultés scolaires dans la condition sociale et ceux qui tiennent des discours culturalistes. Mathieu Ichou insiste sur le parcours familial avant l’immigration et sur l’importance des modèles familiaux.

Il s’intéresse aux différences. Pourquoi les jeunes Turcs ont davantage de difficultés scolaires alors que les jeunes originaires d’Asie du sud-est réussissent beaucoup mieux ? Plus que les discours culturalistes, il invite à observer le bagage scolaire d’origine de la famille et aussi à s’intéresser aux exceptions. Elles aussi disent quelque chose…

« Pour comprendre le rapport à l’école, les pratiques éducatives, les aspirations et, plus généralement, les dispositions scolaires des parents immigrés au moment où leurs enfants sont scolarisés, il est nécessaire, non seulement de s’intéresser à leurs conditions d’existence actuelle mais également à la socialisation prémigratoire des immigrés ».

Une démarche nouvelle qui fonde son ouvrage et sur laquelle il revient dans cet entretien.

Les enseignants et le grand public ont l’impression d’un échec scolaire global des enfants issus de l’immigration. Est ce vrai ou faux ?

Il y a une partie de vrai. En moyenne, les jeunes issus de l’immigration ont des résultats scolaires et des orientations moins favorables que les natifs. Mais cette moyenne cache deux choses. D’abord une grande hétérogénéité au sein d’une catégorie souvent pensée comme homogène. Or on voit des différences en fonction de l’origine géographique. Et au sein de ces groupes géographiques on voit aussi des différences : certains réussissent mieux.

Ensuite, si les enfants immigrés réussissent moins bien que les natifs c’est d’abord du fait de leur origine sociale qui est généralement moins favorable. C’est parce que leurs parents sont plus souvent pauvres et ont moins fréquenté l’Ecole. Sur ce terrain là ce sont les mêmes mécanismes en oeuvre que pour les natifs.

Autre image répandue : les jeunes asiatiques réussiraient mieux que les jeunes turcs ou maghrébins. Est-ce vrai ?

Effectivement, en moyenne, les jeunes originaires d’Asie du sud-est réussissent mieux à l’école et on observe un taux de réussite scolaire moins élevé chez les jeunes originaires de Turquie. Pour les Maghrébins, ils réussissent un peu moins bien que les natifs. Mais la différence s’explique entièrement par la condition sociale de leurs parents.

Des facteurs culturels liés à l’origine ethnique expliquent donc les difficultés scolaires des jeunes issus de l’immigration ?

Ce n’est pas mon prisme de lecture. Raisonner en terme de culture d’origine a l’inconvénient d’homogénéiser les groupes. Si on pense en ces termes on n’arrive pas à expliquer l’échec scolaire de certains asiatiques ou la réussite de certains Turcs. Pour comprendre ces différences, il faut observer ce qui s’est passé avant ‘immigration familiale. L’explication se trouve dans le pays d’origine en terme de position sociale des parents dans la société d’origine. Elle ne se trouve pas dans la culture nationale. Les données que j’ai réuni montrent que pour comprendre l’échec ou la réussite scolaire en France de ces jeunes il ne faut pas tenir compte que des données relatives à leur vie en France mais aussi voir ce qui s’est passé avant leur arrivée en France, notamment leur position sociale dans le pays d’origine.

Ca s’observe comment ? Dans le projet migratoire des parents ? Dans leur niveau scolaire ?

On peut établir un lien statistique entre le niveau d’éducation des parents émigrés en France par rapport au niveau éducatif moyen du pays et la réussite scolaire des enfants en France. Du point de vue des biographies familiales, trois choses jouent un rôle important. D’abord la place de l’éducation dans le projet migratoire : les parents viennent-ils en France pour étudier ou améliorer les conditions scolaires de leurs enfants ? Si oui, cela a des effets très positifs. Ensuite la place de l’éducation dans l’histoire familiale : quel est el rapport au savoir dans la famille mais aussi il y-a-t-il des modèles de réussite scolaire dans l’histoire familiale : un oncle, des grands parents par exemple. Enfin, joue aussi la façon dont les parents pensent leur position sociale. Se sentent ils comme faisant partie de la classe moyenne ou populaire. Et ce sentiment est influencé par leur position sociale dans la société d’origine. Par exemple, des parents ouvriers non qualifiés en France mais qui avaient une position sociale plus élevée dans la société d’origine pensent en partie leurs aspirations en fonction de celle-ci.

Il y a aussi l’influence du bagage scolaire des parents ?

C’est un élément fondamental de réussite scolaire mais cela joue également pour les natifs. Pour tous les enfants c’est le facteur le plus essentiel. Ce qui est particulier pour les jeunes venus de l’immigration c’est que le bagage scolaire des parents a été acquis dans des pays où le système scolaire est différent. Les méthodes d’apprentissage scolaire qu’ont connu les parents influencent beaucoup la scolarité des enfants. Or elles sont plus ou moins compatibles avec ce que l’école française attend. Par exemple, les méthodes pédagogiques valorisées en Chine sont fondées sur le par coeur , la répétition et un travail très intense à la maison. Elles peuvent avoir une certaine efficacité dans les pratiques d’encadrement du travail scolaire à la maison notamment en sciences.

Il y a un lien entre ce bagage scolaire des parents et leur origine ethnique ?

Selon les pays le degré de massification scolaire et celui de la sélectivité migratoire varient. Une des explications du faible niveau scolaire des enfants turcs, par exemple, tient au fait que leurs parents viennent des milieux moins éduqués de Turquie.

Vous avez croisé des destins exceptionnels ?

C’est une question pour un sociologue : quand on croise un destin exceptionnel, essayer de comprendre l’inexplicable. Et pour cela il faut aller au plus précis de la trajectoire de la personne. Il faut essayer de comprendre ce qui dans sa situation familiale a pu favoriser la réussite. Dans ce travail j’ai été frappé par l’importance des fratries, du rôle des frères et des soeurs ainés dans les familles immigrées.

Parfois les parents ne sont pas en situation de suivre de façon précise la scolarité de leurs enfants car eux-mêmes n’ont pas fait d’études ou ignorent le système éducatif français. Mais ils ont des aspiration scolaires élevées pour leurs enfants qu’ils ont transmises aux ainés. Ceux-ci sont les premiers à fréquenter l’école française. Forts des aspirations des parents et de leur connaissance du système éducatif français ils ont en position d’aider leurs frères et soeurs.

Je me souviens par exemple d’un jeune Turc vivant en Angleterre qui , à chaque étape de l’orientation, était découragé par la complexité de la procédure et le manque de soutien des enseignants. Sa soeur ainée a été son soutien, à la fois moral et très concret dans les démarches. Par exemple elle a appelé des établissements après les dates limites pour plaider le cas de son frère pour qu’il soit accepté. Finalement son frère lui en garde une grande gratitude. Cet exemple montre que l’encadrement d’une scolarité n’est pas que pédagogique. Le soutien moral , l’aide concrète dans les démarches sont aussi importants.

Quelle place tient le système éducatif français dans la réussite des jeunes issus de l’immigration ? L’Ecole corrige ou renforce leur différence ?

Globalement elle ne les corrige pas. Un des effets les plus néfastes du système scolaire c’est la ségrégation scolaire. Elle résulte de mécanismes ségrégatifs hors de l’école avec la ségrégation résidentielle. Mais il y a aussi des mécanismes de ségrégation propres à l’école. Par exemple on les voit dans la façon dont les élèves sont répartis entre les classes. Cela influe négativement pour les jeunes issus de l’immigration.

Quels mécanismes précisément ?

Ce sont des mécanismes co-produits par les parents et l’Ecole. A Van Zanten a bien montré que les parents plus ou moins explicitement accordent beaucoup d’importance à l’importance des minorités visibles dans les établissements comme indicateur de la qualité du climat scolaire et du niveau de réussite de l’établissement. On voit donc une fuite des familles de la classe moyenne dans de nombreux établissements. Une réponse ce sont les politiques d’établissement consistant à mettre en valeur des options rares ou des classes de niveau plus ou moins protégées. Cela aboutit à mettre en place une ségrégation interne à l’établissement.

On obtient ainsi des classes où il y aura davantage d’enfants favorisés non immigrés car le jeu des options fera que les enfants d’origine populaire ou immigrée seront concentrés dans d’autres classes. Cette politique a des effets néfastes pour ces jeunes. Elle aboutit à créer des classes homogènes de niveau faible.

Comment évaluer le rôle des enseignants vis à vis de la réussite scolaire des enfants immigrés ?

J’ai peu d’éléments dans mon travail sur ce point. Dans le livre il y a un chapitre sur les écarts de notation en fonction de l’origine des élèves. J’observe une légère surnotation des élèves d’origine asiatique en maths. Le stéréotype du bon élève asiatique joue effectivement. Mais les données dont je dispose ne me permettent pas de mettre en évidence un comportement discriminatoire des enseignants envers les élèves immigrés. S’il y a discrimination dans le système scolaire elle passe par la distribution des élèves dans les classes et entre les établissements. Dans l’ensemble, les enseignants ne sont pas à l’origine des comportements discriminatoires qui expliquent l’échec scolaire de jeunes immigrés. Il n’y a pas de racisme ouvert de leur part.

Comment expliquer qu’il y ait peu d’écart de réussite scolaire entre les jeunes immigrés de la 1ère et de la 2de génération ?

Je renvoie à l’enquête Trajectoires et Origines et à ses résultats publiés en 2015. Elle montre que les enfants issus de l’immigration ont un niveau scolaire supérieur à celui de leurs parents. Elle montre aussi que l’âge d’arrivée dans le système scolaire français est prédictif des difficultés scolaires de ces jeunes. Plus on arrive tard plus c’est difficile de réussir pour des questions de langue et aussi d’adaptation générale.

Quand je compare avec l’Angleterre, sur laquelle j’ai aussi travaillé, ce qui parait particulièrement négatif en France en terme d’inégalités c’est l’étanchéité des filières scolaires. C’est le cas notamment pour l’enseignement spécialisé, comme les Segpa. En France c’est une filière très étanche par rapport au reste du système éducatif. Or les enfants immigrés sont sur représentés dans ces classes et cela participe davantage de leur échec que de leur réussite scolaire. En Angleterre l’enseignement spécialisé n’est pas une filière étanche. C’est plutôt un suivi supérieur de certains enfants. Cela leur permet un meilleur rattrapage et cela évite aussi la stigmatisation.

Propos recueillis par François Jarraud

Mathieu Ichou, Les enfants d’immigrés à l’école. Inégalités scolaires du primaire à l’enseignement supérieur. PUF 2018. ISBN 978-2-13-078695-5

Sur le site des PUF