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Après deux tentatives avortées, les enseignants français vivent la troisième tentative de faire entrer le pilotage par les résultats dans l’école française grâce aux évaluations nationales. Ces tentatives infructueuses expliquent le retard français par rapport à un mode de pilotage qui s’est répandu il y a 20 ans dans de nombreux pays développés. Comment les enseignants de ces pays vivent-ils cette forme de pilotage ? Dans la Revue française de pédagogie (n°198), Gonzague Yerly (HEP Fribourg) et Christian Maroy (Université de Montréal) enquêtent auprès d’une cinquantaine d’enseignants de 4 systèmes éducatifs différents. Ils montrent leur attitude ambivalente vis à vis de ce pilotage. S’il n’est pas totalement rejeté, notamment les objectifs affichés de la réussite des élèves, ses effets réels sont vivement critiqués. Dès qu’il descend du rayon des principes pour arriver en classe, le pilotage par les résultats déçoit et perd de sa légitimité aux yeux de ces enseignants.

Les évaluations et la gouvernance par les résultats

 » La gouvernance par les résultats est-elle un mode de régulation de l’école légitime aux yeux des enseignants ? » Pour les politiques la question ne se pose plus. Dans de nombreux pays ils ont imposé au tournant du XXIème siècle ce mode de gouvernance. Gonzague Yerly et Christian Maroy ont interrogé des enseignants de 4 de ces pays (ou provinces) : Belgique francophone, Ontario, Québec et Suisse romande. Dans ces 4 système éducatifs on a installé des évaluations externes des acquis des élèves qui servent aussi à évaluer les personnels, des programmes à suivre, des cibles de réussite à atteindre par les écoles et des mesures de suivi qui diffèrent d’une région à l’autre. On attend des enseignants qu’ils prennent connaissances des résultats des élèves et qu’ils ajustent leurs pratiques pour atteindre les performances attendues. La mise en oeuvre de cette politique est perçue différemment selon les pays, notamment sur la publication ou non des résultats et les moyens ciblés en fonction des tests.

Les limites des évaluations

Selon Gonzague Yerly et Christian Maroy, l’attitude des enseignants est partout ambivalente,  » certains éléments des politiques étant souvent à la fois acceptés et rejetés par le même enseignant ». Après deux décennies d’utilisation,  » si les enseignants reconnaissent les bienfaits proclamés des politiques de gestion par les résultats sur le système, ils mettent en doute leurs effets réels sur l’amélioration de la réussite effective des élèves. Les enseignants interrogés ne voient que peu de bénéfices positifs pour les élèves ».

« Les enseignants soulèvent en effet fortement les limites des examens standardisés et externes comme des moyens valides et/ou uniques pour évaluer la réussite des élèves et/ou la performance d’une école (ou de l’École en général) », expliquent Maroy et Yerli. « D’abord, pour certains enseignants, la réussite ne se limite pas à la réussite scolaire et dès lors on ne peut se limiter aux résultats quantifiés des évaluations externes pour juger de la réussite d’un élève en particulier ou du système en général. Ces résultats sont donc incomplets car ils ne portent que sur une partie de la mission de l’école. Aussi, la standardisation et l’uniformisation effective de l’évaluation externe restent limitées, car cette dernière est biaisée dans sa mise en oeuvre par les variations concrètes des conditions de la passation des examens ou de leur correction. Les enseignants relèvent également dans tous les contextes (mais surtout au Québec et en Belgique) la qualité pédagogique limitée des épreuves externes. Ils remettent en doute leur pertinence en termes d’évaluation des apprentissages des élèves… Surtout, pour eux, elles sont souvent trop éloignées des pratiques d’évaluation en classe. L’évaluation faite par les enseignants en classe permettrait, selon eux, de mieux cerner les acquis des élèves et de cerner ce qu’il y a lieu de faire pour améliorer leurs apprentissages ».

Le rejet de l’obligation de résultats

Les enseignants rejettent aussi l’obligation de résultats imposés par ce pilotage. Ils critiquent l’idée même de tests identiques pour des écoles aussi différentes. Ils dénoncent aussi le « teaching for the test » et les tricheries qu’entraine ce genre de pilotage. Enfin, « si les enseignants acceptent de devoir se conformer en termes de pratiques, ils rejettent par contre le fait d’être contrôlés ou évalués sur la base des résultats des élèves. Ils remettent en cause une (trop grande) responsabilisation dans la réussite et les résultats des élèves. En d’autres mots, ils trouvent qu’une « obligation de résultats » est injuste ».

Alors que l’Education nationale tente , avec les évaluations nationales, d’entrer dans ce type de pilotage avec 20 ans de retard sur les autres pays, il n’apparait toujours pas légitime aux yeux des enseignants qui le subissent depuis 20 ans et n’y trouvent pas la confirmation des valeurs pour lesquels ils font ce métier.

François Jarraud

Gonzague Yerly et Christian Maroy, La gouvernance par les résultats est-elle un mode de régulation de l’école légitime aux yeux des enseignants ? Une enquête qualitative dans 4 systèmes scolaires, Revue française de pédagogie, n°198, 2018.

La revue

C Maroy : Où en est le métier d’enseignant ?

Evaluations au primaire : leçons d’histoire