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Les évaluations CP et CE1, on en parle depuis des semaines. Sujet polémique, les avis divergent. Alors que le ministère tente de rassurer sur les finalités de celles-ci, il ne répond pas sur le fond : quel est le rôle de l’enseignant ? N’est-ce pas nier sa professionnalité que de le dessaisir de cette entrée dans les apprentissages ? Claudine et ses collègues ont décidé de ne pas faire passer ces évaluations. Elles ont préféré garder l’anonymat pour nous expliquer leurs motivations.

Claudine et ses collègues enseignent dans une école de sept classes dans un village péri urbain du Doubs. Comme pour une très grande majorité d’enseignants, les évaluations diagnostiques de début d’année ne sont pas une nouveauté pour eux. Ce sont même des évaluations pensées et débattues en équipe, avec le RASED et ce depuis de nombreuses années. « Nous mettons en place en début d’année des évaluations diagnostiques. Le maître E du RASED vient durant cinq séances pour prendre les élèves en petits groupes et nous donner des pistes pour les élèves qu’il suppose en difficulté. Nos évaluations et le travail avec le maître E nous permettent d’analyser les difficultés et de mettre en place des aides appropriées et personnalisées ».

Mais dès leur première réunion, la question de la passation des évaluations s’est posée. En septembre 2017, déjà, elles avaient fait le choix de ne pas faire remonter les résultats des évaluations, « nous étions dans une réaction d’opposition par rapport à des évaluations que nous ne cautionnons pas. Certains collègues ne voulaient pas les faire passer, d’autre si…c’était une décision permettant la synthèse de ces deux positions ». Ainsi dès la pré-rentrée, l’équipe découvre avec stupéfactions certains exercices des livrets d’évaluation. « Le type d’exercices nous a beaucoup fait réagir. Ils étaient très compliqués, nous avons vu tout de suite les exercices piégeant qui allaient mettre nos élèves en difficulté ».

Que reprochez-vous à cet outil clés en mains proposés par l’éducation nationale ? Ne serait-ce pas finalement plus facile ?

Cette question fait réagir Claudine. « Avec ces évaluations, nous sommes dépossédés de notre travail, de notre pédagogie. Je dis toujours à mes élèves que l’on va prendre le temps de travailler ensemble, que chacun ira à son rythme. Ils se sentent en sécurité, je les mets en confiance. Avec ces évaluations nationales, pas de différenciation possible, pas de possibilité de prendre son temps à l’entrée en CP. Les évaluations sont criblées de pièges : je vais trahir mes élèves ». Le lien enseignant-élève qui se forme en début d’année ne peut que souffrir, selon elle, de ce protocole d’évaluations. Comment créer ce rapport de confiance, notion chère au Ministre, si d’emblée l’année commence par des évaluations normatives ? Concernant les mathématiques, « Nous révisons en ce début d’année la construction du nombre, le dénombrement. Et lors d’une séance, je dois changer mes pratiques et leur demander de barrer les nombres les plus grands, avec un chronomètre en main alors que notre révision n’est pas terminée ? Dans une page où même le repérage dans l’espace est impossible pour un enfant de 6 ans ! »

La non-passation des évaluations ? Une décision prise par la totalité de l’équipe et pas seulement par les enseignants de CP et CE1.

Claudine, ainsi que ses collègues de CP et CE1, ne se sentent pas seules. L’idée de ne pas passer ces évaluations s’est imposée très vite lors de la journée de pré-rentrée « Lors de la découverte des évaluations, nous étions en réunion. Toute l’équipe s’est penchée sur les exercices, a rigolé sur les phrases du livret du maître où toutes les paroles étaient écrites au cas où l’on ne sache pas faire. Au début nous nous moquions mais une collègue de CM1 nous a posé la question : « Vous n’allez quand même pas faire passer ces exercices à vos élèves ?! ». La réflexion était lancée. Fondamentalement, cette équipe argue de bienveillance vis-à-vis des élèves. C’est même pour cette raison qu’ils refusent de les évaluer selon ce protocole. « Nous estimons que ces évaluations vont mettre nos élèves en difficultés. Alors que toute l’année, nous faisons tout pour qu’ils ne le soient pas. Et pour quelle finalité ? Pour s’entendre dire que nos élèves ne sont pas bons et qu’il nous faudra changer de méthode. Ces évaluations ne sont tout simplement pas adaptées, quoiqu’en dit le ministère – qui argue de procédés qui seraient scientifiquement prouvés. La durée de passation est estimée, par les concepteurs, à vingt minutes. Ils n’ont jamais eu de classe de CP ! En début d’année, se repérer dans une page où il y a plusieurs exercices, est très compliqué pour un élève qui n’a jamais travaillé sur un fichier. Cela prend du temps. Le fait de voir qu’ils n’y connaissent rien nous conforte dans notre choix de pas répondre à des demandes de personnes non initiées ».

Mais pourquoi un blocage complet ? Vous auriez pu, comme le recommandent certains syndicats, ne faire passer que certains items ?

« Nous nous sommes posés la question puis nous nous sommes dit que si nous commencions à sélectionner les items les « moins pires » nous cautionnions l’outil. De toute façon, nous n’allions pas faire remonter les résultats, donc quitte à faire une sélection, on a choisi de ne rien faire passer du tout ». Concernant les parents, l’équipe a décidé de ne pas aborder la question lors de la réunion sauf si ces derniers les interrogeaient. « Dans ce cas, nous expliciterons notre démarche. La semaine prochaine, nous ferons parvenir un courrier aux parents, comme nous l’avions fait pour expliquer notre refus de faire les APC – activités pédagogiques complémentaires. Les parents nous connaissent, ils nous font confiance ».

Votre position, en opposition directe avec l’injonction ministérielle, peut être « risquée », ne vous sentez-vous pas en danger. Est-ce que cela en vaut la peine ?

« On sent que ce sera un peu plus tendu que l’an passé mais que risquons nous ? Le pire serait qu’en les faisant passer, au vu des résultats, on nous impose des méthodes qui ne nous correspondent pas du tout. Le pire serait aussi de nous voir retirer toute liberté pédagogique. Le pire serait, pour finir, de renier ce que nous portons pour nos élèves, pour l’école. ».

Claudine termine notre entretien en rappelant qu’un enseignant est un expert de la pédagogie, qu’il est le plus à même de diagnostiquer les besoins de ses élèves. De l’aide, ils en veulent bien avec plus de moyens, de vrais RASED, moins d’élèves par classe, des enseignants qualifiés et formés tout au long de leur carrière. Ils ne demandent finalement pas plus que ce que pointent les différents rapports de l’OCDE. Des évaluations normatives, stressantes dont ils se sentent dépossédés, est-ce la bonne réponse ? Il y a de quoi s’interroger.

Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda

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