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L’enseignement en SEGPA – Sections d’Enseignement Général et Professionnel Adapté – est dispensé par un professeur des écoles. Le dispositif accueille des élèves âgés de 11 à 15 ans « présentant des difficultés scolaires graves et durables auxquelles n’ont pu remédier les actions de prévention, d’aide et de soutien » (circulaire de 2015). Il est implanté dans un collège. Nous avons rencontré l’un de ces enseignants du premier degré exerçant dans le second. Rachid Zerrouki, 26 ans, est en SEGPA au collège des Caillols, à Marseille. Les difficultés de cet enseignement spécifique, Rachid s’en accommode. Ambitieux, il monte des projets, toujours plus riches les uns que les autres. Il nous raconte son parcours et ses motivations.

Avant tout, rappelons ce qu’est une SEGPA. Il s’agit d’une structure accueillant des élèves nécessitant un enseignement adapté. Cette scolarité en SEGPA doit permettre aux élèves de se situer progressivement dans la perspective d’une formation professionnelle diplômante à l’issue de la troisième. Les enseignements dispensés s’appuient sur les programmes et les compétences visés par les différents cycles du collège. Les élèves sont généralement 16 par classe afin de permettre une adaptation des programmes et un suivi individualisé de chacun. L’équipe pédagogique de la SEGPA est constituée de professeurs des écoles spécialisés, titulaires du certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’école inclusive (CAPPEI).

La rencontre de Rachid avec l’école de la République

« Je suis né au Maroc et mon histoire avec l’école de la République a commencé en classe de CM1 lorsque j’avais 11 ans. C’est l’âge auquel j’ai basculé de l’école publique marocaine à « la mission », c’est comme ça qu’on appelle au Maroc les établissements d’enseignement français à l’étranger (EEFE). Cela peut sembler improbable, mais on venait tout juste de découvrir que nous étions français dans ma famille depuis plusieurs générations ». Ce changement d’école a été déterminant : « je n’ai jamais oublié le fait d’être passé d’une école où on me frappait avec un bâton sur les mains quand je n’avais pas mon matériel, à une autre où on me donnait le matériel pour apprendre. J’ai, plus tard, découvert que l’école française avait également ses maux, mais j’ai toujours gardé cette gratitude envers elle et le corps enseignant qui la compose ». Cette expérience crée une vocation chez Rachid, il décide de devenir enseignant et passe le concours de CRPE. « Ma motivation principale était d’enseigner à un public défavorisé d’une manière ou d’une autre. Il n’y a pas d’excès d’altruisme là-dedans, c’est tout simplement que je me sens proche de ce public, parce que j’en ai fait partie et j’estime que ma proximité avec lui me permet d’avoir un regard bienveillant bienvenu ».

Une affectation en SEGPA due au hasard, mais une vraie rencontre…

Titulaire du concours, Rachid atterrit par défaut en SEGPA en 2015. « Je voulais être dans un établissement à temps plein, et en début de carrière, c’est un luxe qui n’est pas offert à tout le monde. La SEGPA me permettait d’avoir un poste à temps complet et répondait en même temps à cette quête de sens. Après une année de stage en centre-ville avec un public d’une grande mixité, j’ai bien compris qu’il y a des élèves qui ont besoin de l’école et d’autres qui, avantagés par leur milieu socio-culturel, peuvent s’épanouir intellectuellement en ayant un simple caillou en guise de professeur. J’ai pris énormément de plaisir à travailler avec ces élèves-là, ces éponges qui absorbent tout, questionnent tout, s’extasient devant des règles de grammaire et sautent de joie quand on fait des multiplications. Mais ceux qui répondent à ma quête de sens, ce sont plutôt ceux qui, dans la même classe, m’ont mis en difficulté que ce soit par leurs troubles du comportement ou de l’apprentissage. Ce sont eux qui ont le plus besoin de moi, de nous, de l’école, et moi aussi j’ai besoin d’eux, pour trouver du sens à mon métier. C’est du donnant-donnant et il n’y a aucune charité là-dedans ». La SEGPA a donc été le premier vœu de Rachid, et depuis trois ans, elle continue de l’être. « J’y ai trouvé de la difficulté, énormément de difficulté, mais aussi ce que je cherche par-dessus tout : du sens. Dès la première année, je me suis mis en tête d’amener ma classe de 5ème en 3ème, puis d’aller voir ailleurs, c’est donc certainement ma dernière année dans cette structure et c’est pourquoi je ne compte pas me spécialiser pour l’instant ».

La SEGPA, une classe pas comme les autres, souffrant d’une image dégradée

Rachid, conscient de l’image SEGPA véhiculée, apprend à ses élèves à « relever la tête ». « Il y a une souffrance à être en SEGPA. On peut fermer les yeux là-dessus, mais elle n’en existe pas moins. Elle représente un traumatisme pour beaucoup d’élèves qui ne se considèrent pas assez intelligents, pas aux normes, rejetés. Il n’y a qu’à voir le mal qu’on a à les mettre en rang le matin. Ce n’est pas de la rébellion mal placée, c’est juste qu’ils n’assument pas, vis-à-vis des autres, de se ranger là où se mettent en rang les SEGPA. Et les autres, justement, leur font bien comprendre que c’est humiliant. SEGPA est une insulte dans le langage courant et il existe même une série sur Youtube qui porte le nom de cette structure et qui met en scène des personnages particulièrement stupides ».

Alors, Rachid travaille le lien avec ses élèves, il les aide à se construire malgré tout, à construire un projet professionnel réaliste. « Il y a un lien fort qui se crée au fil des années avec les élèves, un lien souvent tumultueux parce que ce sont avant tout des jeunes en conflit avec l’institution qu’on représente, mais un lien de confiance tout de même. On les voit arriver en sixième avec leurs grandes difficultés, sans vraiment réaliser les enjeux de leur présence dans une telle structure, ils veulent faire médecin, avocat, footballeur, youtubeur, comme les autres. Et au fil des années, ils apprennent à tuer ces rêves et c’est quelque part déchirant. Heureusement, à côté de ça, les ambitions d’adultes prennent le relais des rêves, un peu trop tôt, certes, mais ça les rassure de savoir où ils vont. Ils sont dans un espace sécurisant, avec plus d’écoute et de bienveillance qu’auparavant dans leur scolarité alors, pour certains d’entre eux, ils parviennent à se réconcilier doucement avec l’institution, mais ce n’est bien sûr pas le cas de tous. La SEGPA a ses bons et ses mauvais côtés, elle sauve certains éléments qui, sans elle, auraient certainement couru vers la déscolarisation, mais je ne peux pas m’empêcher de penser que d’autres auraient été parfaitement capables de suivre une scolarité classique ».

Rachid profite de l’implantation dans un établissement du second degré pour monter des projets ambitieux et assez coûteux puisque les moyens ne sont pas les mêmes que dans le premier. « Cette année, je rêve d’emmener les 3èmes en voyage scolaire mais j’attends de mettre au point un projet bien ficelé et de l’accompagner d’un devis avant de le présenter à ma hiérarchie. Par ailleurs, je souhaite mettre en place un projet journalistique qui consisterait pour les élèves à partir à la recherche des anciens de la SEGPA pour les interviewer, entendre les conseils qu’ils ont à donner et cela aboutirait à une exposition au CDI ».

Encore une enseignant dont l’objectif est simple mais terriblement ambitieux, telle que doit l’être l’école, emmener ses élèves vers leur propre réussite.

Lilia Ben Hamouda