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Alors que les deux journées du 7 et du 8 décembre s’annoncent décisives pour le gouvernement et l’Ecole, le gouvernement semble ne pas avoir décidé de politique. Il envoie des signaux contradictoires. Ce qui s’est passé le 6 décembre laisse craindre une politique du pire. Cette situation est particulièrement dangereuse alors que le 7 décembre doit être une journée de mobilisation massive des lycéens et le 8 la grande journée des gilets jaunes.

300 lycées perturbés, des collèges aussi

Le gouvernement veut-il une issue négociée de la crise politique qui secoue le pays ou cherche t-il l’essoufflement et l’affrontement ? Les incidents qui ont eu lieu le 6 décembre et la façon dont le gouvernement les gère peut donner à penser qu’il ne cherche aucunement à négocier.

Le 6 décembre environ 300 lycées ont été perturbés. On en comptait une quarantaine dans le 93 ainsi que deux collèges, une dizaine à Paris, une trentaine sur l’académie de Montpellier, plus de 20 sur Aix-Marseille, autant dans l’académie de Versailles. Autrement dit le niveau de mobilisation n’a pas changé. La journée du 6 décembre a vu 700 lycéens et collégiens interpellés. A Mantes-la-Jolie le plus jeune avait 12 ans. Dans l’Oise, à Orléans le préfet a fait fermer des établissements pour assécher le vivier de manifestants. Mais la nouveauté est ailleurs.

Manifestations : Une vidéo révoltante

Apparemment réalisée et publiée par la police sur Internet, une vidéo suscite des vagues d’indignation sur les réseaux sociaux. Elle renvoie à une nouvelle pratique policière testée au lycée Saint Exupéry à Mantes-la-Jolie : la grande rafle de lycéens.

148 lycéens ont été interpellés en bloc par la police. La vidéo montre quelques dizaines de ces jeunes à genoux, parfois nez au mur, les mains entravées ou sur la tête. Ils sont gardés par des policiers. On entend les commentaires des policiers : « voilà une classe qui se tient sage ». « On lève pas la tête on regarde droit devant ».

Alors que les députés LREM et le gouvernement multiplient les appels au calme, cette scène révoltante a tout d’un appel à la violence.

Cette scène d’humiliation collective fait réagir. Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes Fsu, parle « d’images insupportables », d’une « jeunesse humiliée et sacrifiée ». Pour l’UNL , il ne s’agit plus de répression ou d’humiliation ou de répression mais de soumission ». En effet la scène évoque les conquêtes coloniales.

La FCPE Paris a aussi réagi « comment une République qui met sa jeunesse à genoux peut-elle lui demander de faire preuve de responsabilité ». Sur les réseaux des enseignants se demandent comment ils pourront transmettre les valeurs de la République après cette scène. Ce sont eux qui vont accueillir ces jeunes humiliés.

Le gouvernement cherche-t-il l’apaisement ? Dans ses déclarations il l’affirme. Mais sur le terrain il pratique le contraire. Diffusée quelques heures avant la grande manifestation du 7 décembre, cette vidéo ne peut qu’échauffer les esprits.

Peut-on encore sauver les réformes du lycée ?

Le gouvernement veut-il réellement négocier avec les lycéens ? En apparence , oui. Le 5 décembre il a reçu les organisations lycéennes. Mais celles -ci estiment qu’il n’y a aucune volonté d’aboutir a un accord, le ministère souhaite convaincre les organisations du bien fondé de sa politique. Au fond il ne croit pas en la représentativité des interlocuteurs qu’il invite à venir au ministère et se livre à un simulacre de négociation. Sur Cnews, le 6 décembre, le ministre balbutie. « Le dialogue est ouvert sur tous les enjeux du futur… La mise en oeuvre (de la réforme du bac) peut se discuter sur bien des points ». Mais il est incapable d’engager des discussions sérieuses.

Les organisations rappellent au gouvernement ses responsabilités. « Par son intransigeance le Ministre, qui refuse de dialoguer avec les organisations lycéennes, attise les colères, porte une part de responsabilité et prend le risque de la multiplication d’incidents très graves », écrit le Snes Fsu le 6 décembre. « Il est urgent de redonner de l’espace à la négociation en recevant les organisations de jeunesse et les organisations syndicales, en donnant des signes sur Parcoursup, sur la réforme des lycées et du baccalauréat ainsi que sur l’éducation prioritaire ».

L’Unsa Education pose lui aussi la question des réformes et des postes.  » Le rythme effréné de réformes multiples, mal ou pas expliquées, sans prendre le temps de la négociation avec les premiers concernés : personnels, lycéens, étudiants et parents ont certainement nourri la défiance et le mécontentement… Au delà des discours, des actes doivent être posés dès à présent. Les suppressions de postes qui minent la confiance de toutes et tous doivent être immédiatement annulées ». Visiblement le ministre fait le choix d’attendre.

Pourtant la concomitance du mouvement avec la mise en place des réformes du lycée et du lycée professionnel et la première étape de Parcoursup est évidente. Pourtant les cortèges lycéens (2000 jeunes à Paris par exemple le 6 décembre) portent des pancartes dénonçant la sélection et demandant l’arrêt des réformes.

Le ministre affirme vouloir négocier mais il inscrit au Conseil des ministres du 5 décembre le projet de loi Blanquer qui a été refusé à l’unanimité par les syndicats en CSE.

Mais peut-il encore espérer sauver les réformes des lycées, conserver Parcoursup, opérer tranquillement la réforme des statuts et des carrières ? C’est exactement l’enjeu des journées du 7 et du 8 décembre. Faute d’entrer dans des négociations claires et assumées, il renvoie à la rue le soin d’en décider. Les atermoiements du ministre portent tous les dangers de cette journée. En jouant les prolongations, il prend des risques importants compte tenu du niveau de violence qu’il laisse s’installer dans la rue.

François Jarraud

La vidéo (validée par l’AFP)