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« Je n’arrive pas à les concentrer. Ca part dans tous les sens ». Quel enseignant ne s’est pas plaint du manque de concentration de ses élèves ? Le déficit d’attention est même devenu une maladie qui faut vivre une armée de spécialistes et l’industrie pharmaceutique. Mais pour Françoise Guillaume, la maladie est d’abord collective. Et le manque d’attention relève du rapport social. Il est lié à la culture car aucun bébé ne nait doté de l’attention requise dans le monde adulte. Aussi il est possible d’éduquer l’attention. Une éducation qui va puiser dans les pratiques collectives et les méthodes actives. Dans son livre, « Eduquer l’attention » (ESF Sciences humaines) il est encore question de pédagogie…

Professeure puis directrice d’une école Decroly en Belgique, Françoise Guillaume a vu monter le déficit d’attention dans les classes et apparaitre le TADH. Spécialiste des pédagogies actives (pas seulement Decroly), elle organise des formations pour les enseignants.

Pourquoi l’Ecole devrait-elle éduquer l’attention ?

On est dans un monde où la captation de l’attention est constante via les écrans, de télévision comme du smartphone. Or ce n’est pas inné de savoir comment porter les meilleurs choix pour son attention. Ainsi j’ai vu apparaitre le trouble TDAH. Je l’ai vu émerger. On dit d’un enfant qu’il a des troubles de l’attention et on l’envoie vers un spécialiste. Et ça aboutit à une médication.

J’explique dans le livre qu’ainsi cela devient de la responsabilité de l’enfant. Comme si tout le monde allait bien sauf lui. Or ces enfants jouent le même rôle que les canaris dans les mines autrefois. Ils sont des lanceurs d’alerte de notre société malade de l’attention.

Pour vous c’est lié au développement du numérique ?

En partie oui. Tout le monde doit tout le temps décider de ce qu’il faut avec son smartphone ou son écran. On est dans une connexion permanente qui impose un choix d’attention permanent.

Faut-il interdire le smartphone ou éduquer à son usage ?

Il faut éduquer à son usage. Mais pour les adolescents cela passe par limiter l’usage en particulier au moment du sommeil. Sinon la tentation est trop forte de rester en contact toute une partie de la nuit.

Vous parlez dans le livre « d’attention conjointe » ?

Je développe cette notion longuement dans le livre. C’est l’idée de ne pas voir l’attention comme linéaire de l’élève vers le maitre mais comme un triangle entre un objet ou un apprentissage et des enfants qui sont attentifs à l’objet d’apprentissage et aux hypothèses émises par les autres enfants.

On est là dans l’attention à quelque chose et aux autres. On décentre l’attention individuelle vers une autre forme d’attention. Eduquer l’attention en exerçant principalement l’attention conjointe peut aider à sortir de certaines impasses.

Eduquer l’attention c’est pratiquer des pédagogies actives ?

Le ton du livre ce n’est pas de présenter les pédagogies actives comme les seules solutions. Tout un chapitre montre que quelque soit la méthode pédagogique, l’école doit s’occuper de l’attention.

Un exemple de pratiques pédagogiques ?

Dans le livre je donne plusieurs exemples à partir de mes observations de classe à l’école primaire comme dans le second degré avec des adolescents. Un exemple développé dans le livre c’est l’élevage de nymphes de papillons à l’école maternelle. On observe des objets ; les oeufs, les larves etc. En observant leur évolution , les enfants gardent certaines traces, reviennent sur le processus. Ils exercent leur attention.

Eduquer l’attention c’est une activité de groupe ?

Oui. Mais il y a toujours un investissement individuel. On ne peut pas obliger un enfant à porter son attention. Mais tout ce que j’ai vu chez les enfants montre que quand on a quelque chose de l’ordre de la réalité c’est rarissime que l’enfant ne s’y intéresse pas et qu’il n’y porte pas attention.

Eduquer l’attention c’est un remède à l’ennui à l’école ?

Il y a un discours pédagogique qui vise à ce que les enfants soient toujours sollicités dans le jeu et le plaisir. Mais souvent on voit un enfant qui prend plaisir à découvrir sans jouer. Pris dans un groupe il découvre un objet d’apprentissage, une expérience .

Peut-on venir à bout du TDAH ?

Je suis prudente dans mon livre. Il y a une tendance à étiqueter trop vite les enfants avec le TDAH. Dire que ce concept est absurde et qu’il e faudrait jamais donner de médicament serait extrême.

Mais il faut essayer beaucoup de choses et être attentif aux enfants. Il faut en tous cas plus de pratiques collectives pour éduquer l’attention. Car l’école telle qu’elle est le plus souvent, où l’enfant doit faire attention de façon individuelle, maximise la présomption de ce type de trouble. Pour éduquer l’attention, l’école doit travailler ses pratiques pédagogiques.

Propos recueillis par François Jarraud

Françoise Guillaume, Eduquer l’attention, 2018, ESF Sciences Humaines, ISBN : 978-2-7101-3706-1

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