Print Friendly, PDF & Email

Les aventures animées sur grand écran de Tepulpaï et Naïra, petits indiens habitants de la Cordillère des Andes au temps de la conquête espagnole, peuvent-elles toucher les jeunes spectateurs du monde entier au même titre que celles, imaginées par Michel Ocelot, de Kirikou ou Dilili ? Juan Antin, réalisateur argentin de « Pachamama » déploie en tout cas imagination, détermination et ressources collectives pour y parvenir. L’histoire fabuleuse de ces deux bambins à la recherche du totem protecteur de leur village, d’abord dérobé par d’autres Incas, bientôt objet de convoitise de la cour royale puis des conquistadors, mêle habilement formes archétypales de la fable, figures du récit d’apprentissage et ancrage dans la culture précolombienne. Le long travail de l’équipe artistique, pour agencer la vie des différents personnages, l’architecture changeante des décors et des paysages et la palette des couleurs contrastées, se conjugue à l’étonnante composition musicale de Pierre Hamon, convoquant des instruments de l’époque. En dépit d’un script un brin manichéen et de quelques séquences sombres et anxiogènes, Juan Antin réussit, à travers cette animation documentée et inspirée, à rendre accessible l’histoire de l’Amérique latine et de sa colonisation à des écoliers déjà conquis par le charme chatoyant de « Pachamama ».

Village préservée, harmonie brisée

Tout petit sur la planète Terre, au pied d’une montagne majestueuse et surplombante, se nichent le village où vit Tepulpaï, ses maisons rondes entourées de verdure et de terres fécondes, en pleine cordillère des Andes. Peau mate, visage large, yeux en amende et regard noir, le petit garçon portant bonnet à oreillettes et tunique bleus affiche son orgueil de devenir chaman et le vol du totem protecteur des villageois par une bande d’Incas venus du pays voisin le décide à agir tandis que la désolation se répand chez les habitants habitués à célébrer le culte de la terre, leur mère nourricière. D’abord seul, contre l’avis de la timide et réservée Naïra, tunique rose, regard sombre, son amie de toujours, il s’élance sur les routes périlleuses à la poursuite des misérables pilleurs de l’entité vénérée. Une quête aventureuse qui le mène jusqu’à la capitale Cuzco, à la cour royale. Le précieux totem devient à nouveau objet de convoitise pour les Espagnols fraichement débarqués, faisant le siège de la ville et prêts à tous les crimes pour prendre possession des supposés trésors des populations indigènes.

Les grands dangers (naturels, animaliers et humains) qui mettent en péril la vie de Tepulpaï viennent à bout des réticences de Naïra en train de s’affranchir à grands pas de règles si sagement respectées. Par monts et par vaux, de pièges en chausse-trappes, nos deux bambins indiens au cœur vaillant parviendront-ils à rapporter au village le précieux totem nourricier ? Et ce, avant la mort -annoncée par le vieux Chaman- de la vieille et aimée Walumama, autre figure tutélaire ? L’intensité d’un suspense au dénouement prévisible n’a pas la même intensité suivant l’âge des spectateurs. Nous sommes tous en revanche sous le charme lorsque les deux petits héros s’envolent dans le ciel ‘à bord’ d’un grand condor noir qui déploie ses ailes de géant au plumage brillant pour réduire les distances et emporter loin dans les airs ses hardis passagers de retour au village natal leur mission accomplie.

Animation chatoyante, message humaniste

Au-delà des étapes obligées (parfois convenues, y compris dans les noirs comportements de ‘méchants’ sans nuances) et des rebondissements attendus d’un parcours initiatique, la fable vaut surtout par la richesse de l’invention graphique alliée à la partition musicale. Ainsi les principaux personnages (animation en 3D sur des fonds en 2D) changent de formes et de couleurs suivant des codes d’identité visuelle différents : pour les villageois, les rondeurs et les couleurs chaudes de l’ocre et de l’orange, terre d’argile et mateur de teint, au vert des cultures. Pour les Incas venus de l’extérieur et les membres de la cour de Cuzco, les lignes droites et l’ordre rectangulaire, le blanc, l’or et la lumière. Pour les envahisseurs espagnols, le baroque d’armures complexes, les bords aigus et tranchants, la grisaille virant au rouge avant que le sang ne coule.

Une stylisation qui privilégie le point des vue des petits héros dont les physionomies, les tenues vestimentaires et les postures s’inspirent des motifs des poteries précolombiennes et des textures colorées de l’époque. Animés en 3D, ils évoluent dans les décors en 2D selon des ‘plans découpés par niveau à la manière d’un théâtre de marionnettes’, ainsi que le précise Aurélie Raphaël, la directrice artistique, afin de conserver la netteté des motifs au détriment de perspectives réalistes. Emporté par la composition musicale de Pierre Hamon, alliance subtile d’instruments anciens comme les flutes en céramique et les vases siffleurs (ces derniers propres à imiter les chants des oiseaux) et avec des sources sonores suggérant l’atmosphère de la forêt et le bruit du vent, « Pachamama » figure de manière inventive l’univers visuel et instrumental d’une civilisation ancienne dont des pays comme l’Argentine et le Pérou gardent des traces dans leur culture encore aujourd’hui. La fiction, ouvertement dédiée au jeune public, explore aussi le passé colonial, à travers le traumatisme de la conquête espagnole. Il propose enfin une réflexion sur l’écologie et le respect de l’environnement, portée par deux petits messagers intrépides et défenseurs d’une humanité en harmonie avec la terre qui la nourrit.

Samra Bonvoisin

« Pachamama », film d’animation de Juan Antin-sortie le 12 décembre 2018