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Vendredi 14 décembre, quelques milliers de manifestants se sont rassemblées place de la République. Une manifestation qui regroupait agents et salariés de plusieurs horizons mais dont les inquiétudes et le mécontentement rencontrent des points de similitudes. Des enseignants, du premier et second degré, qui manifestaient auprès d’agents de la protection de l’enfance ou encore des salariés du groupe Orange, à l’appel d’une grande majorité des syndicats. « Vu le contexte social actuel, j’avais besoin d’être dans la rue moi aussi, mais dans quelque chose de plus cadré » explique Caroline, enseignante dans un établissement du quatorzième arrondissement de la capitale. Erwin, enseignant du second degré, voulait dénoncer « l’idéologie autoritaire des réformes du lycée, sans aucune concertation ».

Contre les réformes

Erica, jeune professeure des écoles avec sa collègue Marie, tout juste titularisée. « Je me sens de plus en plus méprisée par ce gouvernement et de moins en moins libre dans mon travail. J’ai l’impression que l’on me dit que je ne sais pas faire mon métier et ça, en permanence. Y en a ras-le-bol ». Outre l’aspect professionnel, « quand je pense à mon avenir financier, c’est gris, c’est triste. Je ne vois pas comment m’en sortir. Je suis à découvert tous les mois…. Y a une forme de pessimisme qui s’installe, l’impression de ne pas avoir d’avenir et c’est dur à porter… ». Marie, quant à elle, explique être en grève pour lutter contre les réformes qui ne vont pas dans le sens du bien-être des enfants et « pour que notre métier soit un peu plus reconnu ».

Un peu plus loin dans le cortège, Mathieu, professeur d’histoire-géographie porte l’étendard du SNES. « Je manifeste pour nos salaires, contre la volonté de mettre en place les trois jours de carence dans la fonction publique, et bien, entendu, contre la réforme du lycée. Réforme dont le seul leitmotiv est de raboter le nombre d’heures et donc de faire des économies. Alors, bien entendu, le gouvernement présente cela comme une politique innovante avec une approche locale au plus près des élèves. Alors que finalement, c’est comme dans les facs, cela vise à renforcer le pouvoir des chefs d’établissements en individualisant les rapports entre l’administration et les professeurs. Et puis, la réforme porte le projet de l’individualisation des parcours des élèves, nous ne sommes pas contre, bien au contraire. Encore faut-il avoir les moyens de son ambition. Aujourd’hui, déjà, nous sommes à flux tendus avec des classes surchargées et peu des moyens. Alors, quand bien même ces réformes seraient fondées sur de bonnes intentions, elles ne sont pas applicables ».

Théo et Vincent, professeurs de SVT, font part de leurs inquiétudes. « Nous sommes au mois de décembre, on est incapable d’expliquer aux élèves ce qui va se passer en septembre. Il y a une forme d’opacité alors que nous sommes, tout de même, sensés portés cette réforme ». Et puis, ils souhaitent aussi exprimer leur solidarité aux lycéens qui manifestent ces dernières semaines dans un climat tendu. « Ils se battent pour des causes justes telles que la création d’inégalités sociales engendrées par Parcoursup, par exemple ».

Une communication du gouvernement de plus en plus mal perçue

Hakim, directeur d’école, est exaspéré, « Nous avons de plus en plus d’injonctions, tout à l’opposé du discours de confiance du ministre. On vit toujours avec le même manque de moyens, peu de remplacements, pas assez d’AVS, presque plus de formation… Ce saupoudrage est de plus en plus insupportable. Et pour compléter ce tableau, déjà bien noir, on nous annonce un changement de statut du directeur d’école qui ferait de nous une sorte de subalterne du principal d’un collège. Alors que la force de l’école primaire, c’est le travail en équipe, la réflexion collective sans hiérarchie. On a l’impression qu’il y a une volonté de casser cette dynamique, de diviser, de mettre en concurrence enseignants et établissements ». Il marque aussi son agacement suite au discours du Président. « Au début, j’avoue ne pas avoir pris au sérieux le mouvement des gilets jaunes. Et puis, petit à petit, j’ai compris leur mécontentement. Alors c’est vrai que c’est une colère qui se manifeste dans des formes qui me sont inhabituelles, mais j’ai envie de dire pourquoi pas ».

Le discours de lundi soir lui a laissé un goût amer. Comme à Émilie, directrice elle aussi. « Les propos du président m’ont immédiatement inquiétée pour les services publics et la fonction publique. Il essaie de calmer la colère avec certaines mesures qu’il va falloir financer. Mais j’ai bien écouté rien n’est prévu pour augmenter les recettes du budget de l’état. Par exemple, pas de rétablissement de l’ISF. Ça veut dire que les quelques mesures annoncées vont se faire par des économies ailleurs. Et comment si ce n’est en réduisant encore les services publics sous prétexte d’économie à faire pour financer les nouvelles mesures. Ce qu’il faudrait, c’est augmenter les recettes pour répondre aux revendications des gilets jaunes et pour renforcer et développer l’école, la protection des mineurs, l’hôpital, le justice… »

Des enseignants qui manifestent pour une meilleure école mais aussi, si ce n’est surtout, pour une reconnaissance de leur métier et la fin des injonctions du Ministre, qu’ils ressentent bien souvent, comme une forme de mépris…

Lilia Ben Hamouda