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Après trois jours de débats, quel texte de la loi Blanquer a été retenu par la commission de l’éducation de l’Assemblée ? Fourre tout législatif au départ, la loi ressort enrichie et aussi beaucoup plus cohérente à l’issue des délibérations. C’est un véritable instrument d’évolution de l’Ecole qu’a écrit JM Blanquer et adopté la commission. Très présent dans les débats, le ministre a réussi à faire passer des idées qui concernent directement la vie des enseignants.

« C’est un combat que vous pourrez trouver don quichottesque mais c’est celui de toute ma vie ». JM Blanquer a mis beaucoup de lui dans les débats en commission, allant jusqu’à annoncer son départ :  » le ministre ne sera pas votre serviteur mais quelqu’un d’autre », lâche t-il le 30 janvier au soir. On trouve dans le texte une forte volonté de reprise en main de l’éducation nationale et aussi des changements structurels profonds. Commençons par ceux qui affectent directement les enseignants.

Article 1 maintenu

Le maintien de l’article 1, quasi inchangé, marque cette volonté d’affirmer son autorité sur l’école.  » Dans le respect de la loi n° 83634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires , par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels.  » Le texte parait bien anodin et général et l’ajout du début de la première phrase renforce encore ces caractères. Mais l’étude d’impact de la loi, un document officiel remis aux parlementaires révélé par le Café pédagogique le 12 décembre, montre précisément la volonté d’utiliser cet article pour controler l’expression des enseignants sur les réseaux sociaux.

JM BLanquer avait promis une réécriture enlevant toute ambiguité. La rapporteure du projet également. Au final le texte est maintenu. Ce qui donne à penser que les intentions sont restées les mêmes. Plusieurs députés sont intervenus pour obtenir une autre rédaction en vain.

L’école du socle

Un autre point va impacter directement la vie des enseignants. Un amendement déposé par une élue de la majorité, C Rilhac, approuvé par le ministre, crée des « établissements des savoirs fondamentaux ». Ces écoles du socle réunissent en un seul nouvel établissement un collège et une ou des écoles. Le regroupement est décidé sans avis des enseignants et l’avenir des directeurs d’école n’est pas précisé si ce n’est que le principal du collège, qui devient le nouveau supérieur hiérarchique des enseignants des 1er et 2d degré, est doté d’un directeur adjoint.

La réforme territoriale

La réforme territoriale aura aussi des conséquences immédiates pour les enseignants. Le ministre a obtenu le droit de faire des ordonnances en ce domaine; Autrement dit il fera ce qu’il veut. JM Blanquer a annoncé vouloir revenir sur la réforme prévue. Il va maintenir les rectorats actuels qui devaient disparaitre dans les mois à venir, avec des recteurs en titre. Mais, comme l’ont bien vu les députés Reiss et Hetzel (LR), il n’y aura pas de véritables recteurs. En effet la réforme présentée par JM Blanquer accorde un pouvoir hiérarchique au recteur de région académique sur les autres recteurs. Les services rectoraux seront réorganisés pour devenir ceux de la région académique , quelque soit la ville qui les abrite. Interrogé par M Hetzel, le ministre ne confirme pas que chaque recteur aura un budget. Les recteurs devraient avoir d’autant moins de pouvoir que le ministre va renforcer l’autorité des Dasen pour installer une gestion de proximité. L’échelle académique actuelle est certes maintenue, peut-être pour étouffer les inquiétudes. Mais la gestion se fera au dessus et en dessous de ce niveau par le recteur de région académique et les Dasen. Cela aura sans doute des conséquences directes sur les enseignants quand il s’agira de négocier des seuils d’ouverture ou des dédoublements, voire à terme décider les affectations.

Des expérimentations facilitées

L’article 8 modifie le régime des expérimentations , jusque là très encadrées par l’ancien article 34. Il portait deux craintes. La première c’est, qu’en supprimant l’ancienne réglementation, on facilite les expérimentations soutenues par le ministre comme Agir pour l’Ecole. Actuellement elles sont freinées car les enseignants peuvent utiliser le cadre del l’article 34. Aucun garde fou n’a été ajouté au texte ministériel et demain il sera beaucoup plus facile d’imposer les expérimentations. L’autre crainte touche l’annualisation puisque la loi permet d’expérimenter de nouvelles organisations des services enseignants. Le ministre a assuré que ce n’est pas son objectif. La commission a élargi les champs d’expérimentations en y ajoutant le role des parents dans l’école et les liaisons entre niveaux.

Les CDEN mis au pas

Le ministre a aussi fait adopter un article qui lui permet de modifier par ordonnance la composition des CAEN et CDEN, des assemblées « fastidieuses où on cultive les jeux de rôle » estime JM Blanquer. Ces assemblées où les communautés éducatives pouvaient s’exprimer vont être reprises en main et modifiées dans leur composition au bon vouloir du ministre.

Evaluation des établissements

L’article 9 de la loi supprime le Cnesco et le remplace par un Conseil d’évaluation de l’école (CEE) dont le conseil est soumis au ministre. Ce conseil va évaluer tous les établissements. Des équipes d’inspecteurs, mais aussi d’usagers, feront une évaluation de chaque établissement tous les 5 ans. Les enseignants devront auparavant pratiquer une auto évaluation préparée par le CEE. Les résultats des évaluations pourront être publiés au gré du CEE. Ce système, tout droit importé des pays anglo saxons, devrait permettre un pilotage étroit des pratiques pédagogiques. Il renforcera la concurrence entre établissements et les pressions sur les enseignants. Quant au Cnesco, dont les études sont appréciées des enseignants, le ministre s’est engagé à le transformer en chaire universitaire au Cnam et à lui maintenir 7 emplois. Mais ces emplois seront apparemment gérés par des opérateurs de l’éducation nationale. L’avenir du Cnesco n’est toujours pas assuré.

L’instruction obligatoire à 3 ans et ses conséquences

Cette mesure présidentielle est à l’origine de la loi. Dès la rentrée 2019 les enfants âgés de 3 ans et plus devront recevoir une instruction. Cela concerne seulement 24 000 enfants non encore scolarisés. La loi parait simple mais trois problèmes sont apparus très rapidement. D’abord elle va concerner 7000 enfants de Mayotte et Guyane, deux départements où on n’arrive déjà pas à scolariser les plus de 6 ans. La rapporteure a du admettre que l’application demanderait plusieurs années dans ces territoires. Ensuite la rapporteure a du déposer un amendement pour sauver les jardins d’enfants ruinés par la mesure. Cela n’avait pas été prévu dans la loi mais la commission a ajouté un délai d’application de la loi. Enfin la loi prévoit une compensation financière pour les communes. Mais celle ci n’est pas clairement définie. L’étude d’impact de la loi évalue à 120 à 150 millions (dont 50 pour le privé sous contrat) le coût de cette scolarisation. Mais on ne sait ni sur quelles dépenses portera la compensation (comprend-elle les atsems ?), ni quelles communes en bénéficiera ? (le gouvernement ne veut n’en faire bénéficier qu’un tiers des communes). Ce qui est certain c’est que les villes devront payer les maternelles privées dès 2019 et n’auront pas de remboursement d’ici 2021. Entre les deux il est à craindre que le budget des écoles primaires publiques soit impacté…

La création d’écoles internationales

La loi prévoit la création d’établissements publics internationaux (EPLEI) préparant les diplomes internationaux et largement dérogatoires aux programmes et règles françaises. Ces établissements visent une clientèle internationale. La loi invite les recteurs à veiller à la mixité sociale dans ces établissements. Mais ils pourraient bien dès la maternelle accaparer les enfants des classes privilégiées et diminuer ainsi la mixité sociale autour d’eux. Un amendement interdit aux entreprises d’obtenir des avantages en échange de dons à ces EPLEI. On craint que des entreprises achètent des places pour leurs cadres.

La réforme de la formation

Là aussi la volonté de mise au pas est claire. Les Espe sont remplacées par des Inspe dont les directeurs sont nommés par le ministre selon une liste officielle. Les députés ont accepté de rendre obligatoire un référentiel de formation sans en connaitre le contenu. C’est le ministre qui décidera ce que sera la formation dans son contenu pédagogique et qui l’appliquera.

Le projet de loi est donc marqué par l’autoritarisme de JM BLanquer et sa volonté de reprendre en main l’éducation nationale. Il est aussi très imparfait techniquement : le texte a plusieurs articles fragiles sur le plan juridique (article 1, article 3 par exemple) . Il a été adopté en commission le 31 janvier. Il lui reste à passer en séance de l’Assemblée. Ce sera le 11 février. De nombreux amendements ont été déposés en commission (plus de 600) et beaucoup ont été écartés. On pourrait avoir des surprises. Beaucoup pourraient réapparaitre le 11 février. Par exemple celui qui souhaite soumettre la réforme territoriale au Conseil national du tourisme (AC468) ou cette quarantaine de députés Modem qui ne veulent pas du bien aux services centraux du ministère (AC224)…

François Jarraud

Texte de la commission

La première journée

La seconde journée

Sur l’article 1