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Alors qu’avec Parcoursup et les Fiches Avenir les professeurs sont invités à recueillir des informations personnelles sur les engagements, les pratiques, l’environnement social des élèves, Audrey Murillo livre une nouvelle étude, dans la revue La recherche en éducation (n°19), sur la façon dont les lycéens accueillent et utilisent les fiches de renseignement. Elle montre que les élèves les plus gênés par la pratique, très générale, des fiches de renseignement sont les plus défavorisés. Les élèves doutent de la bienveillance avec laquelle ces fiches seront traitées. Par conséquent ils développent des stratégies pour mentir. Mais pas sur les mêmes domaines : les plus défavorisés mentent sur leur famille, les plus favorisés sur leur hobbies. Pour A Murillo, globalement les fiches de renseignement renforcent les avantages des plus favorisés grâce à l’effet Pygmalion. Il importe que les enseignants, quelles que soient les incitations officielles, s’interrogent sur les questions qu’ils posent à leurs élèves.

Une gêne générale

On aurait pu croire la pratique de la fiche de renseignement de rentrée plus ou moins abandonnés, notamment après les travaux de Duru Bellat ou P. Merle. Il n’en est rien. L’enquête menée par A Murillo auprès de 758 lycéens issus de 20 lycées, montre que seuls 9% des élèves ne remplissent aucune fiche. 41% en remplissent une, deux ou trois. Et 34% plus de 4 . Un élève sur dix remplit de 8 à 10 fiches et plus.

Pourtant cette pratique gêne les élèves. Selon l’enquête d’A Murillo, seuls 22% des lycéens ne sont pas gênés. Ils craignent surtout de donner une mauvaise impression l’enseignant et les questions sur leur famille. La gêne dépend aussi du « stigmate » que porte l’élève. Ceux qui n’ont pas le brevet craignent les questions sur la scolarité. Ceux qui ne voient pas régulièrement leurs deux parents sont gênés par els questions sur la situation familiale.  » Ces élèves craignent d’être stigmatisés : « ça me dérange parce que j’ai redoublé, des fois on a l’impression que [les professeurs] jugent sur ça, comme si on était forcément nul… » (Eva). C’est parfois la face de leurs parents qu’ils estiment menacée : « j’ai un peu honte qu’on juge mes parents » (Eva) », écrit A Murillo.

Triche générale…

A Murillo montre que les lycéens « doutent de la bienveillance avec laquelle seront traitées leurs réponses ». Alors ils mentent ou trichent.  » Près des trois quarts des lycéens (74%) déploient des stratégies pour ne pas dire toute la vérité lorsqu’ils complètent les fiches… Ils sont très souvent sincères lorsqu’ils ont à donner des informations sur leur scolarité, mais bien moins souvent lorsqu’ils ont à donner des informations sur leur famille ». Ainsi 32% des lycéens cachent ou mentent quand il s’agit de questions sur leur famille, 16% sur leurs loisirs, 10% sur leurs projets et 7% sur leur scolarité.

39% des élèves les moins connivents avec l’école, en fait les moins favorisés, cherchent à maitriser leur image quant à leur famille. Les plus favorisés cherchent plutôt à mentir sur leurs loisirs et leur rapport à la matière de l’enseignant.

Mais socialement distribuée

 » Il ressort de notre recherche une double inégalité : les élèves les plus connivents, les mieux dotés socialement et scolairement, sont également les plus habiles pour donner d’eux-mêmes une image valorisée. Il s’agirait d’une forme de capital culturel incorporé (Bourdieu, 1979). Le « capital communiqué » dans les fiches de renseignements serait ainsi un « capital au carré », produit du capital culturel objectivement acquis par l’élève et du capital utilisé pour communiquer sur soi. C’est ainsi un cercle vertueux qui s’engage pour les lycéens les plus favorisés, qui, connaissant les codes scolaires et culturels de l’école, savent le mieux se mettre en valeur, et ont ainsi toutes les chances d’être perçus comme ayant un fort potentiel, entraînant un effet Pygmalion « socialement construit » et amplifiant les inégalités de départ », écrit A Murillo.  » Les élèves les moins favorisés, eux, tentent de compenser certains stigmates (principalement liés à la situation familiale) mais ne perçoivent pas toujours que d’autres renseignements (tels leurs loisirs) peuvent être plus ou moins valorisés par leurs enseignants ».

Elle invite donc les enseignants à réfléchir avant de chercher des renseignements pour les Fiches Avenir ou Parcoursup.  » S’il n’existe pas de réponse simple à la question de faire compléter une fiche ou non, c’est en étant informés des enjeux de cette pratique que les enseignants peuvent prendre des décisions les plus éclairées possible ».

François Jarraud

L’article

Article de 2017