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Exhaustif – Que retenir de la loi Blanquer à l’issue des travaux de l’Assemblée ? Quelles caractéristiques se dégagent de la loi ? Quels en sont les points positifs et négatifs ? Alors que l’Assemblée est divisée sur son adoption, JM Blanquer a-t-il produit une grande loi ou un texte mineur ? Quels caractères peut-on tirer de ce texte ?

Etudiée d’abord en commission à partir du 29 janvier, le projet de loi Blanquer a occupé les séances de l’Assemblée du 11 au 15 février. Durant toute une semaine, les députés ont étudié plus d’un millier d’amendements pour n’en retenir qu’une poignée.

L’article 1 est maintenu

Le ministre avait promis de modifier l’article 1. La rapporteure AC Lang également. Ces engagements ne sont tenus que de façon formelle mais pas sur le fond. La commission avait ajouté  » Dans le respect de la loi n° 83634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires » au début de l’article. La majorité de l’Assemblée s’est bornée à ajouter un adjectif « mutuel ».

L’article se lit comme ceci : « Dans le respect de la loi n° 83634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect mutuel entre les membres de la communauté éducative et notamment le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. « 

Le texte parait toujours bien anodin et général. Mais l’étude d’impact de la loi, un document officiel remis aux parlementaires révélé par le Café pédagogique le 12 décembre, montre précisément la volonté d’utiliser cet article pour contrôler l’expression des enseignants, notamment sur les réseaux sociaux.

L’école du socle

« L’établissement public des savoirs fondamentaux » (EPSF) a été introduit en commission par un amendement surprise d’une députée LREM C Rilhac. Très incomplet, son texte a été largement retouché par la majorité de l’Assemblée, qui a balayé, à une vitesse folle, les amendements contraires. Au final, ce nouveau type d’établissement regroupe des classes de collège et du premier degré du même secteur de regroupement. Pour ouvrir un EPSF, il suffit que le département et les communes concernées le souhaitent. Les conseils d’école ou le CA du collège n’ont pas voix au chapitre et l’Education nationale ne fait que donner un avis.

L’EPSF est dirigé par un principal de collège qui détient aussi les pouvoirs du directeur d’école. Il délègue la gestion des classes du premier degré à un directeur adjoint qui est un chef d’établissement adjoint, donc qui appartient au corps des personnels de direction. Le sort des anciens directeurs des écoles regroupées dans l’EPSF n’est pas indiqué. Mais l’EPSF a déjà un directeur officiel. On ne voit pas comment il pourrait y en avoir un ou plusieurs autres pour la même unité administrative. On ne sait pas non plus ce que deviendra l’IEN qui n’aura plus autorité sur les professeurs des écoles des EPSF qui seront sous autorité du principal.

En augmentant la taille des établissements, ces nouveaux EPSF vont rentabiliser les postes. Là où on maintenait de petites classes en village on va pouvoir regrouper les élèves dans moins de classes et récupérer des postes.

L’instruction obligatoire à 3 ans et le cadeau au privé

Cette mesure présidentielle est à l’origine de la loi. Mais sa portée pratique est très limitée. 98% des enfants de 3 ans sont déjà scolarisés en maternelle. Restent environ 24 000 enfants dont 4000 à Mayotte et autant en Guyane. Mais on apprend très vite que la loi ne sera pas appliquée avant des années dans ces deux territoires où elle aurait pu améliorer les choses.

Alors ce qui reste de la loi c’est surtout un formidable cadeau à l’enseignement privé. Puisque l’instruction est obligatoire à partir de 3 ans toutes les communes vont devoir verser aux écoles privées sous contrat les mêmes aides qu’aux écoles publiques, par exemple rémunérer des atsems. D’après l’opposition cela représente environ 150 millions.

L’Etat doit donc compenser ce transfert de charge aux communes. Mais le ministre et la majorité s’en sont tenus au fait que seules les communes qui n’avaient pas signé de contrat avec les maternelles privées toucheraient la compensation. Un nombre très important de communes ne touchera rien. Et pour beaucoup de communes la rentrée sera difficile car il y a aussi les dépenses liées aux dédoublements des CE1 Rep et Rep+. Le ministre a juste précisé que ces sommes n’entreraient pas dans le blocage à 1.2% de la hausse des dépenses de fonctionnement des communes. Concrètement dès 2019 de nombreuses communes vont devoir prélever dans le budget des écoles publiques de quoi verser leur du aux écoles privées.

Un amendement commun LREM et LR a amoindri un amendement socialiste accepté en commission précisant que les maires devaient scolariser les enfants « de tout sexe et de toute nationalité ». La mention est retirée alors que le problème réel est celui des enfants étrangers. La majorité adopte un amendement qui précise : « En cas de refus d’inscription sur la liste scolaire de la part du maire sans motif légitime, le directeur académique des services de l’éducation nationale agissant sur délégation du préfet procède à cette inscription, en application des dispositions de l’article L. 212234 du code général des collectivités territoriales, après en avoir requis le maire ». Cette rédaction ouvre plusieurs échappatoires aux maires.

Le droit à la formation de 16 à 18 ans

C’est encore un amendement (675 du gouvernement) qui fait apparaitre dans la loi la formation obligatoire des 16 à 18 ans. « À l’issue de l’instruction obligatoire définie à l’article L. 131 1 du présent code, cette obligation est remplie lorsque le jeune poursuit sa scolarité dans un établissement d’enseignement scolaire ou dans un établissement d’enseignement supérieur, public ou privé, lorsqu’il est apprenti ou stagiaire de la formation professionnelle, lorsqu’il occupe un emploi ou effectue un service civique ou lorsqu’il bénéficie d’un dispositif d’accompagnement ou d’insertion sociale et professionnelle ». Ce texte qui donne aux missions locales le contrôle de cette obligation ne fait que reprendre des dispositions du précédent gouvernement qui a donné un droit au retour en formation au-delà de 18 ans. On peut d’ailleurs se demander si celui-ci restera.

Peines renforcées pour l’instruction à domicile

L’article 5 oppose nettement la droite et le gouvernement. Il introduit un contrôle renforcé des enfants de 3 à 6 ans instruits à domicile. Les Républicains et l’extrême droite plaident pour la liberté des familles. A gauche, G Pau Langevin veut un contrôle plus efficace, ce qui passe par des demandes d’autorisation préalable à l’instruction en famille et l’octroi à tous les enfants d’un numéro d’identification. « À défaut il y a des trous dans la raquette » : des enfants échapperont au contrôle et seront instruits clandestinement.

Le gouvernement ne va pas s’intéresser aux raquettes mais va renforcer les peines prévues. Un amendement gouvernemental (1112) prévoit que les fausses déclarations d’instruction à domicile soient punies d’un an de prison et 15 000€ d’amende. L’assemblée adopte un autre amendement de M Pupponi (826) punissant d’une amende de 7500€ les parents qui inscrivent leur enfant dans une école clandestine.

L’école inclusive fait une entrée tardive

Le texte initial de la loi n’avait pas prévu de traiter de l’inclusion scolaire.. Le sujet est introduit à renfort d’amendements gouvernementaux au dernier moment.

Le point central de la réforme c’est la création des PIAL. Par l’amendement 1058 le ministre veut généraliser les PIAL, des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, expérimentés depuis la rentrée 2018. « Ces pôles coordonneront les moyens humains dédiés à l’accompagnement des élèves en situation de handicap au sein des écoles et établissements de l’enseignement public et privé sous contrat ». Il maintient aussi les AESH dans des contrats à durée déterminée de 6 ans.

Ces PIAL avaient été présentés au Sénat en 2018 par Philippe Thurat, sous directeur du budget de la Dgesco. Le problème du ministère c’est que le recrutement des AESH lui échappe puisque l’affectation d’un accompagnateur est décidée par les MDPH sur rapport des personnels de santé. Le ministère veut reprendre en main cette gestion et limiter la croissance du nombre de ces accompagnateurs. Selon P Thurat, un rapport non publié de l’IGAENR envisage une procédure d’accord préalable de l’administration de l’éducation nationale à l’avis de la MDPH. En attendant le ministère veut revoir la gestion des accompagnateurs en passant d’un gestion basée sur les élèves à une gestion par établissement. Chaque établissement, ou groupe d’établissements, aura un volume d’emplois qu’il affectera selon les besoins. Ce sont les PIAL. L’objectif est de limiter les affectations personnelles des AESH au profit d’affectations collectives. Et ainsi réduire leur nombre.

Ce projet rencontre une vie opposition sur le terrain. Un collectif des AESH dénonce « une logique comptable » et « la destruction du projet d’école inclusive ». Pour le collectif, le transfert de la gestion des AESH aux PIAL aboutit au transfert de la réalisation du projet personnel de scolarisation (PPS) de la MDPH à une équipe éducative non formée au diagnostic. La mesure est aussi très critiquée par les syndicats. La Fsu et le Se Unsa relaient les inquiétudes générées par les PIAL chez les Aesh et les familles. Enfin le sujet est politique car la majorité a bloqué une proposition de loi LR et une autre du PS pour se réserver ce sujet capteur d’électorat.

Au final, la majorité n’adopte que l’amendement gouvernemental et des amendements de rédaction de l’opposition. Un amendement 946 de la majorité impose l’inscription du principe de l’école inclusive dans le règlement intérieur des écoles et établissements.

La création des établissements internationaux

Tous les écoliers sont égaux à l’école de la République. Mais certains plus que d’autres. Ce n’est pas nouveau. Mais ca devient structurel avec la création des d’établissements publics internationaux (EPLEI). Ils prépareront les diplomes internationaux et seront largement dérogatoires aux programmes et règles français. Ainsi la République offrira un cursus scolaire d’élite pour les enfants ayant un bon niveau en langues, un marqueur social bien connu. La loi invite les recteurs à veiller à la mixité sociale dans ces établissements mais un amendement tendant à fixer des quotas de boursiers a été rejeté par la majorité.

Des expérimentations facilitées

L’article 8 modifie le régime des expérimentations , jusque là très encadrées par l’ancien article 34. Il portait deux craintes. La première c’est, qu’en supprimant l’ancienne réglementation, on facilite les expérimentations soutenues par le ministre comme Agir pour l’Ecole. Actuellement elles sont freinées car les enseignants peuvent utiliser le cadre del l’article 34. Aucun garde fou n’a été ajouté au texte ministériel et demain il sera beaucoup plus facile d’imposer les expérimentations. L’autre crainte touche l’annualisation puisque la loi permet d’expérimenter de nouvelles organisations des services enseignants. Le ministre a assuré que ce n’est pas son objectif. La commission a élargi les champs d’expérimentations en y ajoutant le role des parents dans l’école et les liaisons entre niveaux.

L’évaluation de l’Ecole

L’article 9 de la loi supprime le Cnesco et le remplace par un Conseil d’évaluation de l’école (CEE) dont le conseil est soumis au ministre. Ce conseil va évaluer tous les établissements. Des équipes d’inspecteurs, mais aussi d’usagers, feront une évaluation de chaque établissement tous les 5 ans. Les enseignants devront auparavant pratiquer une auto évaluation préparée par le CEE. Les résultats des évaluations pourront être publiés au gré du CEE. Ce système, tout droit importé des pays anglo saxons, devrait permettre un pilotage étroit des pratiques pédagogiques. Il renforcera la concurrence entre établissements et les pressions sur les enseignants.

Quant au Cnesco, dont les études sont appréciées des enseignants, son sort a fait l’objet de longs débats. Les Républicains et la gauche sont montés au créneau pour défendre son maintien ou au moins le principe d’une évaluation indépendante du ministre. En effet le CEE est dirigé par un conseil de 14 membres dont 10 sont nommés par le ministre. Au final, la majorité a appuyé le ministre et la composition du CEE n’a pas évolué.

Le ministre s’est engagé à transformer le Cnesco en chaire universitaire au Cnam. Mais ses moyens matériels restent à définir.

La réforme de la formation des professeurs

Là aussi la volonté de mise au pas est claire. Les Espe sont remplacées par des Inspe dont les directeurs sont nommés par le ministre selon une liste officielle. Les députés ont accepté de rendre obligatoire un référentiel de formation sans en connaitre le contenu. C’est le ministre qui décidera ce que sera la formation dans son contenu pédagogique et qui l’appliquera.

La loi prévoit aussi le pré-recrutement d’assistants d’éducation pour les préparer au métier d’enseignant. Recrutés en L2 ils devraient dès L3 intervenir en classe et prendre ne charge des classes en M1. Le ministère attend de ces étudiants pré recrutés, qui bénéficieront d’un salaire cumulable avec une bourse, une solution au problème des remplacements.

La réforme territoriale

La réforme territoriale aura aussi des conséquences immédiates pour les enseignants. Le ministre a obtenu le droit de faire des ordonnances en ce domaine. Autrement dit il fera ce qu’il veut. JM Blanquer a annoncé vouloir revenir sur la réforme prévue. Il va maintenir les rectorats actuels qui devaient disparaitre dans les mois à venir, avec des recteurs en titre.

JM Blanquer a fini par livrer des informations sur le partage des budgets (BOP) entre les recteurs et les recteurs de région académique.  » Les recteurs d’académie seront bien responsables des BOP, et les recteurs de région seulement du BOP consacré aux fonctions support, c’est-à-dire aux fonctions administratives », affirme JM Blanquer. « Les BOP 140, 141, et 230, soit, respectivement, les BOP Enseignement scolaire du premier degré, Enseignement scolaire du second degré, et Vie de l’élève relèveront des recteurs d’académie, autrement dit des recteurs tels que nous les connaissons aujourd’hui. Le BOP 214, Soutien de la politique de l’éducation nationale relèvera des recteurs de région ». Les recteurs seront sous l’autorité des recteurs de région académique et les services seront étendus au niveau des nouvelles régions.

En même temps le ministre va renforcer les pouvoirs des Dasen et rapprocher la gestion des ressources humains du niveau départemental voire infra départemental. Que restera t il alors aux recteurs ?

Les CDEN mis au pas

Le ministre a aussi fait adopter un article qui lui permet de modifier par ordonnance la composition des CAEN et CDEN, des assemblées « fastidieuses où on cultive les jeux de rôle » estime JM Blanquer. Ces assemblées où les communautés éducatives pouvaient s’exprimer vont être reprises en main et modifiées dans leur composition au bon vouloir du ministre.

François Jarraud

Texte de la commission

Sur les EPSF

Sur les CA des EPLE

La réforme territoriale

Le dossier du Café

Sur l’article 1