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Le 14 mai, commence l’examen de la loi Blanquer au Sénat. À la différence de l’Assemblée nationale où le groupe LREM dispose d’une copieuse majorité, le Sénat est dominé par l’opposition. C’est dire que JM Blanquer va devoir composer avec elle et que les débats risquent d’être plus animés. Si le ministre semble prêt à des concessions sur les établissements publics des savoirs fondamentaux et sur la réforme territoriale, il peut se heurter à une certaine intransigeance , par exemple sur l’indemnisation des communes. Pour les enseignants, le réveil pourrait être dur. Le passage au Sénat devrait amener un durcissement de la loi, par exemple sur la formation continue obligatoire durant les vacances, l’annualisation des services ou les affectations. L’examen de la loi va durer au minimum jusqu’au jeudi 16 au soir, probablement jusqu’à vendredi 17.

« Un texte qui n’est pas d’une importance significative », pour Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de l’éducation du Sénat. « Un texte dont on a du mal à voir la vision », pour max Brisson, rapporteur (LR). Le Sénat n’a pas caché le 6 mai ses réserves sur la loi Blanquer, jugée peu réussie. Ce qui n’a pas empêché le Sénat de couper largement dans le texte, retirant des articles entiers et en ajoutant d’autres. Où en est-on ?

L’EPSF supprimé devrait réapparaitre

L’établissement des savoirs fondamentaux , qui a tant mobilisé enseignants et maires, a été supprimé par la commission de l’éducation du Sénat. Les sénateurs LREM ont déposé un amendement proposant son retour mais avec accord nécessaire du maire, des conseils d’école et du CA du collège. Sur ce point les enseignants ont été entendus. Mais l’EPSF ne rétablit pas les directeurs. Le principal du collège reste seul détenteur des prérogatives des anciens directeurs. Ce qui donne à penser que l’EPSF devrait réapparaitre, c’est que plusieurs sénateurs LR, emmenés par J Grosperrin, proposent son rétablissement mais avec l’accord des maires. Cet amendement (265) ne demande pas l’accord des conseils d’école.

L’article 1 maintenu

« Cet article me va bien » avait dit J Grosperrin lors de l’audition de JM Blanquer sur sa loi. L’article 1 est maintenu dans le texte du Sénat. Un amendement LREM (65) met même les points sur les i en rappelant son impact juridique.

Le métier enseignant transformé

La commission du Sénat a adopté plusieurs amendements, inspirés des rapports sénatoriaux de J Grosperrin, M Brisson et F Laborde qui renforcent le poids de la hiérarchie sur les enseignants. Ainsi la commission met les professeurs des écoles sous l’autorité de leur directeur qui les évalue. Un amendement LREM, qui sera étudié en séance, propose de revenir sur ce point.

Par contre ni le gouvernement, ni les sénateurs LREM ne proposent de revenir sur l’affectation dérogatoire des enseignants par accord direct entre l’enseignant et l’État, un dispositif qui court-circuite les règles d’affectation. La formation obligatoire des enseignants durant les congés n’est pas plus remise en question. La commission a accepté aussi que le conseil d’administration des établissements soit présidé par une personnalité extérieure. L’annualisation des services, déjà entrouverte dans le texte initiale, est renforcée. Elle sera possible dans le cadre des expérimentations prévues par la loi, elles-mêmes rendues plus faciles.

L’avenir des jardins d’enfants en suspens

La commission du Sénat a rendu pérennes les jardins d’enfants comme structures pouvant scolariser , parallèlement aux écoles maternelles, les enfants de 3 à 6 ans. Le gouvernement et les sénateurs LREM ont déposé des amendements limitant à 2 ou 3 ans cette possibilité.

Les EPLEI maintenus

Les établissements internationaux prévus par la loi Blanquer ont été maintenus par le Sénat. Ces établissements accueilleront des enfants sélectionnés sur leur niveau de langue étrangère depuis le premier degré jusqu’à la terminale. Ainsi est officialisée une école à part, pouvant disposer de financement privé, réservée aux enfants des familles favorisées, dérogeant largement aux règles pédagogiques nationales. Ces EPLEI pourront se nicher dans des établissements existants, multipliant les enclaves socialement ségrégatives dans l’Éducation nationale.

Quelle contribution de l’État aux communes ?

L’extension de l’instruction obligatoire à 3 ans entraine la prise en charge par les communes des maternelles privées. Les communes demandent compensation financière à l’État. Sur ce point il y a opposition entre le gouvernement et le Sénat. Le Sénat a ouvert la compensation aux communes qui avant la loi finançaient déjà les maternelles privées. Le gouvernement veut réduire la compensation à celles qui n’avaient pas d’accord avec les maternelles privées.

L’évaluation de l’École dans la balance

Le débat sur l’indépendance de l’évaluation de l’École envers le ministre devrait être moins vif qu’à l’assemblée. La commission du Sénat a modifié la composition du Conseil de l’évaluation de l’école pour augmenter la part des parlementaires. Le gouvernement propose de nommer 9 membres sur 12 tout en expliquant que le CEE serait plus indépendant… Les récentes analyses et révélations de R Goigoux sur la façon dont les évaluations ministérielles sont trafiquées pour servir la communication ministérielle changera-t-elle les choses ?

La réforme territoriale précisée

Refusant d’autoriser le gouvernement à modifier l’organisation territoriale de l’Éducation nationale par ordonnances, la commission avait supprimé un article de la loi. Le gouvernement propose qu’il soit rétabli mais sans recours aux ordonnances en précisant la répartition des responsabilités entre recteur d’académie et recteur.

Une fin rapide ?

Le gouvernement souhaite que la loi entre en application dès la rentrée 2019. Il est donc prêt à des concessions. Car l’absence d’un compromis entre les deux assemblées entrainerait de nouvelles consultations des assemblées et repousserait à 2020 l’application de la loi.

Le compromis semble à portée de mains pour peu que le gouvernement soit plus généreux avec les communes. Sur l’EPSF, la majorité semble prête à écouter les maires. Dans ses livres JM Blanquer n’a pas caché qu’il est favorable aux nouvelles mesures concernant le métier enseignant que la commission a retenues. Le compromis pourrait se faire sur le dos des enseignants avec application dès septembre…

François Jarraud

Pour des analyses plus étendues

Le texte adopté par la commission

Les amendements en discussion du 14 au 16 mai

Le dossier sur la loi Blanquer