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Les résultats du 7ème Baromètre UNSA des métiers de l’éducation ont été diffusés hier. Ils sont sans appel pour le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer. L’hostilité à sa politique tout comme l’insatisfaction face aux conditions de travail et au manque de reconnaissance s’aggravent sensiblement en 2019. L’approbation des  » choix politiques faits dans le secteur  » accuse ainsi une chute de 10 points par rapport à 2018, passant de 20,8% à 10,4% parmi les personnels de l’éducation. Et chez les enseignants, ce taux n’est plus que de 6,5%…

 » Nous n’avions jamais eu de variations aussi importantes avec des chutes de dix points sur plusieurs questions Il y a un réel effet de rupture de confiance avec le ministère « , a souligné Frédéric Marchand, secrétaire général de l’UNSA Education, présentant hier les résultats du baromètre à la presse. Le responsable syndical espérait que le ministre, si convaincu d’avoir raison sur tout, entendrait ces signaux inquiétants et saurait composer.

Le Baromètre des métiers de l’éducation, réalisé par l’UNSA Education depuis 2013, est aujourd’hui considéré comme un bon indicateur du climat au sein de l’Education nationale. Il ne prétend pas être un enquête scientifique basée sur un échantillon représentatif – parmi les répondants, 49,7% sont membres ou sympathisants de l’UNSA, 20% d’autres syndicats et 30% ne sont proches d’aucune organisation. Mais du fait de sa régularité, de la constance des questions posées et du nombre important de répondants – 25 830 cette année dont 72,5% de femmes et 27,5% d’hommes -, il est reconnu comme un travail sérieux qui mérite d’être pris en compte.

Les personnes ont été interrogées entre le 5 mars et le 5 avril. Une période durant laquelle la mobilisation montait contre plusieurs mesures phare de la loi Blanquer sur l’école, en particulier contre le projet de créer des Etablissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) regroupant écoles et collèges d’un territoire. On ne connaissait pas encore les annonces faites par le président Emmanuel Macron fin avril, à l’issue du grand débat, sur l’extension du dédoublement des classes ou encore sur une revalorisation des salaires des enseignants.

« Au delà du contexte, souligne Frédéric Marchand, ces chiffres traduisent des évolutions de fond, un mal-être et un fort besoin de reconnaissance. Mais on ne s’attendait pas à de tels bouleversements dans les résultats de notre baromètre. D’habitude, on a des variations de 4 points au maximum et sur quelques questions seulement. »

Soutien minimal des réformes

Alors que le projet de loi sur « L’école de la confiance » est en train d’être examiné au Sénat, la question sur  » l’approbation des choix politiques  » est particulièrement instructive : les diverses mesures et réformes décidées par Jean-Michel Blanquer recueillent un soutien minimal au sein de l’Education nationale, soutien qui en plus s’effrite dangereusement.

Le résultat le plus spectaculaire est la chute de 10,2 points de la politique ministérielle chez les enseignants, primaire et secondaire confondus, qui ne dépasse pas aujourd’hui 6,5%. Avec un maigre 5,2%, c’est plus bas encore parmi les professeurs des écoles, très mobilisés contre le changement des programmes et contre le projet d’EPSF qui menace l’organisation des écoles, voire leur existence. Chez les directeurs d’école qui seraient les premiers touchés par cette réforme, le soutien a, lui, baissé de 12,2 points, ne dépassant pas 6%.

On peut noter une chute importante de soutien chez une autre catégorie de personnel visée par les réformes en cours : les psychologues de l’Education nationale. Ils ne sont plus que 17% à soutenir la politique du ministère, soit une dégringolade de 16,8 points en un an.

Stabilité chez les personnels d’encadrement ?

Il faut aller chercher du côté des personnels d’encadrement pour trouver un certain soutien, même s’il n’est pas majoritaire. Avec 42,5%, les personnels de direction marquent une adhésion stable et en sont même quasiment les champions. Ils ne sont devancés que par les inspecteurs de l’enseignement agricole qui affichent le taux record de 50%, ce malgré un baisse brutale de 31 points en un an.

Avec 37,5% d’approbation de la politique ministérielle, un taux stable depuis l’an dernier, les IEN (inspecteurs de l’éducation nationale) apparaissent comme constants. On ne peut pas en dire autant des IA IPR (inspecteurs d’académie inspecteurs pédagogiques régionaux). S’ils sont encore 32,1% à approuver la politique ministérielle, leur soutien a chuté de 17 points par rapport à 2018.

Un manque de reconnaissance

Logiquement, dans le cadre d’une telle  » rupture de confiance « , les avis sur le métier renvoient une image passablement sombre et qui va se détériorant.

Interrogés sur la reconnaissance et sur le respect qu’ils ressentent dans leur métier, les personnels de l’éducation sont 34,8% à se dire satisfaits contre 44,1% en 2018, soit une chute de près de 10 points.  » C’est la première fois que l’on enregistre une variation d’une telle ampleur sur cette question « , souligne Frédéric Marchand.

Ce taux n’est que de 28,2% chez les enseignants, en baisse de 8 points. A côté, là encore, les personnels de direction apparaissent particulièrement contents de leur sort. Ils sont 58,9% à apprécier la reconnaissance et le respect liés à leur fonction.

Il faut noter ici un effet générationnel. Seules 27% des personnes interrogées de moins de 35 ans se sentent reconnues dans l’exercice de leur métier, contre 42,3% des plus de 55 ans.

On relève également des écarts importants selon les territoires. A Créteil, Amiens, Lille et aussi Rennes, autour de 30% des personnels se sentent reconnus dans leur métier Un taux qui frôle les 50% dans les paisibles établissements français à l’étranger, et qui atteint 47,5% dans les îles ensoleillées de Polynésie et 45% à Paris.

Pessimisme sur les perspectives de carrière

L’insatisfaction à l’égard des perspectives de carrière est impressionnante, en recul de six points par rapport à 2018. Elle se situe à 13,6% parmi les personnels en général contre 19,7% en 2018. Elle est seulement de 11% parmi les enseignants des premiers et second degrés qui partagent ici le même niveau de frustration.

Il faut noter le sensible écart entre les hommes, satisfaits à 17,3% , et les femmes, satisfaites seulement à 12,2%. Ce qui laisse entrevoir la persistance d’inégalités selon les genres dans les promotions et autres avancements.

De loin les plus pessimistes avec 3,9% de satisfaits, les assistants d’éducation se sentent manifestement dans une impasse, sans perspectives d’évolution. A l’opposé, on trouve les directeurs de Segpa, qui frôlent les 40% de satisfaits (39,6%) quant à leurs perspectives de carrière.

Des conditions de travail dégradées

Le mécontentement quant aux conditions de travail se confirme et même s’aggrave. A peine un peu plus d’un tiers – 34,1% – des personnels de l’éducation s’en disent satisfaits, une chute de 9 points. On retrouve, là encore, le fossé entre les hommes, contents à 37,8%, et les femmes à 32,7%, soit cinq points de moins.

Signe d’un malaise qui n’est pas nouveau, ce taux tombe à 27,6% chez les enseignants. Ce qui frappe ici, ce sont les écarts importants entre le premier et le second degré. Seuls 24,1% des personnels travaillant dans les écoles maternelles et élémentaires sont satisfaits de leurs conditions de travail contre 40,4% dans les établissements secondaires, collèges et lycées.

Un chiffre instructif, loin du tableau idyllique brossé par la très rodée communication ministérielle : moins de 10% (9,4%) des personnes interrogées trouvent que leurs conditions de travail se sont améliorées dans la dernière année.

Augmenter le pouvoir d’achat

Interrogés sur ce qu’il faudrait améliorer en priorité, les personnels placent en tête la hausse de leur pouvoir d’achat (62,5%). Une préoccupation qui n’est pas une surprise mais qui enregistre une hausse de 6 points. Suivent la charge de travail et les perspectives de carrière.

Alors qu’ils sont seulement 15,7% parmi les personnels de l’éducation en général à juger leur rémunération à la hauteur de leur qualification, ce taux n’atteint pas 10% chez les enseignants – 9,9% contre 14,9% en 2018 et 15,3% en 2017. En France, les professeurs des écoles notamment sont parmi les moins bien payés d’Europe et les gestes faits ces dernières années ont été loin de combler le retard.

On retrouve le profond mal-être des assistants d’éducation qui ont le sentiment d’être les laissés-pour-compte du système – 3,5% jugent leur rémunération à la hauteur – et aussi celui des directeurs d’école – ils sont 7,8% dans ce cas. Il faut noter enfin le grand écart entre les personnels de catégorie A + (les cadres supérieurs) – 23,7% sont satisfaits de leur niveau de rémunération – et ceux de catégorie C – qui ne sont plus que 9,1%.

L’amour du métier

Une éclaircie dans ce tableau un brin décourageant : les enseignants aiment toujours leur métier. Ils sont 92,7% parmi les personnels en général à dire l’aimer, avec un record frôlant les 100% pour les directeurs de Segpa, décidément des gens heureux dans ce baromètre, ou pour les professeurs de la ville de Paris (dits PVP) qui bénéficient d’un statut particulier.

Toujours dans les bonnes nouvelles, 77,4% des enseignants se disent heureux d’exercer leur métier, une petite baisse tout de même de trois points en un an. Et 73,2% trouvent que leurs missions ont du sens. A noter ici la différence entre le premier et le second degré, qui renvoie à une conception différente du métier : 77% des professeurs des écoles trouvent un sens à leur métier contre 68% des enseignants du secondaire.

Inquiétant pour l’avenir en revanche et le manque d’attractivité de l’enseignement, seuls 27,5% des personnels recommanderaient leur métier à un jeune, soit une chute de 10 points. Un taux qui tombe à 21,1% chez les enseignants.

Là encore, on observe des écarts significatifs, reflet du niveau de satisfaction très inégal selon les catégories. Parmi les personnels de direction, les inspecteurs – les IEN et les IA IPR – ou encore parmi les professeurs de la ville de Paris, un sur deux est prêt à vanter son métier dans son entourage. Contre seulement un sur cinq parmi les enseignants, les directeurs d’école et les psychologues de l’Education nationale.

Par ailleurs, 28,1% des enseignants – les plus jeunes surtout – souhaitent changer de métier dans les prochaines années et  » aller dans le privé « .

Des réformes au pas de course

Le ministre pourra toujours arguer du fait que ce baromètre est approximatif et pas vraiment fiable. Il n’en reste pas moins que les chiffres ont un sens si l’on regarde leur évolution d’année en année et que des variations brutales de dix points n’arrivent pas par hasard.

 » On avait alerté le ministre qu’un fossé se creusait, explique Frédéric Marchand, que nos collègues se sentaient en décalage et qu’il y avait une tension importante, mais il n’entendait pas. Il y a un problème dans le rythme des réformes, elles se mettent en place très vite avec l’impression de ne pas avoir été associés. Les personnels ne se sentent pas accompagnés ni bien informés. Or, il y a eu beaucoup de rappels à l’ordre et d’autoritarisme, plutôt que de travailler à la compréhension des mesures.  »

Jean-Michel Blanquer qui avait promis de ne pas ajouter une nouvelle loi sur l’école et de privilégier la stabilité du système, est en passe de perdre le soutien de la communauté éducative, au risque de devoir reculer. Mais sans doute compte-t-il encore sur sa bonne image dans l’opinion pour surmonter ce passage difficile.

Véronique Soulé

Résultats du baromètre

Baromètre Unsa 2018

Les enseignants las des réformes