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« J’ai du mal à imaginer que des professeurs puissent ne pas être exemplaires ». La formule du rapporteur Max Brisson (LR) résume cette journée qui a vu les sénateurs LR et UDI et le ministre de l’éducation nationale faire position commune. Au terme de débats fort policés et fort longs, le Sénat a adopté l’article 1 dans sa rédaction modifiée en commission. Il a aussi rétabli la suppression des allocations familiales pour les élèves absentéistes.

Pour la commission, une loi de gestion des enseignants ?

À la différence de l’Assemblée nationale, la majorité est minoritaire au Sénat et la commission de l’éducation du Sénat a largement modifié la loi Blanquer en retirant des articles importants comme celui sur les EPSF et en ajoutant de nouveaux articles, notamment sur le métier enseignant.

« Notre regard a été critique, peut-on nous le reprocher ? », demande le rapporteur Max Brisson, sénateur LR et inspecteur général de l’éducation nationale. « Ce texte pêche par sa méthode d’élaboration », estime-t-il, soulignant la faiblesse du dialogue social sur la loi. La principale mesure, l’instruction obligatoire à 3 ans, est « un progrès symbolique », car elle concerne peu de monde. Pour lui la loi est « absente sur la gestion des ressources humaines et l’exercice du métier enseignant, levier majeur d’amélioration de l’école ». La commission a ajouté à la loi des articles en ce sens sur la formation obligatoire durant les congés, l’autorité hiérarchique du directeur d’école ou le droit de regard des chefs d’établissement sur l’affectation des enseignants. Il annonce que si l’EPSF est retiré de la loi, le Sénat va étudier un amendement de remplacement citant celui de J Grosperrin (LR) et ignorant celui de LREM.

Erreurs, mensonges et bobards

« J’ai tenu compte des amendements à l’Assemblée c’est ce que je ferai au Sénat », dit d’emblée JM BLanquer. Le ministre présente sa loi comme « une réponse concrète et efficace » aux problèmes de l’école. Il dénonce encore une fois « les erreurs et les mensonges » sur sa loi. Se tournant vers la gauche de l’hémicycle, il assène que « quand on contribue aux interprétations fausses, on contribue à la désespérance ».

Malheureusement il n’est pas certain que le ministre montre l’exemple. Ainsi, quand il présente sa loi comme « une loi profondément sociale » en prenant comme exemple les futurs établissements internationaux. Pour lui, ils seront ouverts à tous alors que ce genre de formation n’existait que pour les privilégiés. En réalité, ces établissements sélectionneront les élèves sur la maitrise d’une langue étrangère, ce qui est un critère social très efficace. Les EPLEI vont créer un réseau d’écoles et d’établissements d’élite socialement ségrégués au cœur de l’école publique. Céline Brulin (PC) précise que les EPLEI établissent « une école à deux vitesses ».

Ou encore quand le ministre affirme qu’il « n’y a jamais eu aussi peu de classes rurales fermées depuis 10 ans ». Ou encore qu’il investit dans le primaire alors que les créations de postes dans le primaire sont moitié moindres en 2019 qu’en 2017 et qu’elles sont un simple transfert de postes, un nombre équivalent étant supprimé dans le second degré.

Clivage gauche droite sur l’article 1

P. Ouzoulias, pour le groupe communiste, montre la nécessité d’attendre et de mettre la loi en accord avec les déclarations du président de la République. Une position partagée par L. Lafon (UDI). Mais son amendement a été rejeté.

En abordant l’article 1, le débat s’est transformé en un affrontement gauche-droite, le ministre se rangeant du côté de la droite. De très nombreux sénateurs PS se sont exprimés contre l’article 1.

Pour Maryvonne Blondin (PS), « la loi initie de grands changements en taisant les aspects essentiels… Vous initiez depuis 2 ans une vaste transformation du système éducatif qui est libérale… La confiance ne pourra être restaurée que lorsque l’école aura les moyens nécessaires pour remplir ses missions ». Marie Pierre Monier (PS) estime que l’article 1 « jette la suspicion sur les enseignants ». Marie Noëlle Lienemann (PS) rappelle les sanctions qui frappent des enseignants. « Pour avoir confiance dans les enseignants il faut les revaloriser ». Angèle Préville (PS) demande au ministre : « que voulez-vous obtenir des professeurs qu’ils ne fassent déjà ? ». Samia Ghali (PS) rappelle que les professeurs sont le dernier rempart de la République dans les quartiers populaires.

JM Blanquer estime que l’article 1 « est la réponse à #pasdevagues ». « Il n’y a aucune allusion cachée dans cette loi. Il y a un an, j’ai écrit un livre. J’ai écrit le pourquoi et le comment des mesures ». Mais dans ce livre le ministre livrait peu ses pensées et ses projets par rapport à l’ouvrage précédent ou à des entretiens dans la presse. JM Blanquer précise son accord avec la rédaction adoptée en commission . Pour lui, l’article 1 « ne vise pas à accentuer le devoir de réserve des professeurs ». Une formule qui contredit l’étude d’impact réalisée par ses services et qui pourrait être utile plus tard…

Sur l’article 1, le ministre pouvait compter sur l’appui du rapporteur. Il a aussi celui du sénateur LREM Antoine Karam. Pour lui, « on voit dans cette réforme une volonté de changer les choses de façon cohérente notamment sur le devoir d’exemplarité. Un enseignant qui arrive en retard et n’a pas une bonne tenue n’est pas dans l’exemplarité ».

La nouvelle rédaction de l’article 1

Finalement, l’article 1 est adopté dans la rédaction de la commission. « L’engagement et l’exemplarité des personnels de l’éducation nationale confortent leur autorité dans la classe et l’établissement et contribuent au lien de confiance qui unit les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique le respect des élèves et de leur famille à l’égard des professeurs, de l’ensemble des personnels et de l’institution scolaire ».

Le texte de l’Assemblée disait : « Dans le respect de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect mutuel entre les membres de la communauté éducative, notamment le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. » La formulation du Sénat ne fait plus référence à la loi de 1983 qui dit que « La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires »…

La loi Ciotti rétablie

Le deuxième temps fort de cette première journée a été l’adoption d’un amendement déposé par M Retailleau et défendu par J. Grosperrin (LR). Cet amendement rétablit la loi Ciotti de 2010 qui supprime les allocations familiales aux parents d’élèves absentéistes (n°101).

La sénatrice Françoise Cartron (LREM) qui en 2012 avait défendu la suppression de la loi Ciotti, a eu beau expliquer que la loi était inefficace. Une étude montre que l’absentéisme est surtout lié aux carences de l’orientation, notamment dans les séries professionnelles. Une loi de ce type existe en Angleterre depuis des années, avec notamment des peines de prison pour les parents, sans que l’absentéisme baisse. JM BLanquer a émis un avis défavorable à cet amendement en expliquant que le gouvernement allait prendre des mesures de « responsabilisation » des familles.

Le Sénat a adopté cet amendement qui précise : « Dans le cas où, au cours d’une même année scolaire, une nouvelle absence de l’enfant mineur d’au moins quatre demi-journées sur un mois est constatée en dépit de l’avertissement adressé par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, cette dernière, après avoir mis les personnes responsables de l’enfant en mesure de présenter leurs observations, et en l’absence de motif légitime ou d’excuses valables, saisit le directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales qui suspend immédiatement le versement de la part des allocations familiales dues au titre de l’enfant en cause, calculées selon les modalités prévues à l’article L. 552-4-1 du code de la sécurité sociale. Le directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales informe l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation ainsi que le président du conseil départemental de la date de mise en œuvre de cette suspension. Il informe les personnes responsables de l’enfant de cette décision et des dispositifs d’accompagnement parental auxquels elles peuvent avoir recours. Le versement des allocations familiales n’est rétabli que lorsque l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation a signalé au directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales qu’aucun défaut d’assiduité sans motif légitime ni excuses valables n’a été constaté pour l’enfant en cause pendant une période d’un mois de scolarisation, éventuellement interrompu par des vacances scolaires, depuis le mois au titre duquel le versement des allocations familiales a été suspendu. »

Drapeaux et travail manuel

Il était déjà bien tard mais il restait des questions fort importantes comme le contenu de l’affiche sur le drapeau et l’affichage de carte de France dans les salles de classe.

L’amendement 98 qui ajoute « Liberté, Égalité, Fraternité » aux drapeaux et à la Marseillaise dans chaque classe, est adopté avec le soutien du ministre (qui refusera la formule « gouvernement du peuple par le peuple »). JM Blanquer rassure les sénateurs. C’est l’État qui proposera à toutes les écoles et établissements une affiche avec les symboles retenus et paiera la note. Les sénateurs sont rassurés. Ils adoptent , avec le soutien du ministre, un amendement socialiste (388) pour le rétablissement du travail manuel à l’école. Mais on n’est toujours qu’à l’article 1e bis à la fin de cette première journée. 43 amendements ont été examinés, il en reste 351…

François Jarraud