Print Friendly, PDF & Email

Avec 28 articles nouveaux et seulement 12 articles inchangés, le Sénat a profondément réécrit la loi Blanquer au fil de quatre journées de débats et près de 500 amendements. Le texte qui ressort du Sénat est très différent de celui de l’Assemblée. La pression enseignante a contraint le ministre a accepté l’enterrement des écoles publiques des savoirs fondamentaux. Les deux mesures phares, l’instruction obligatoire à 3 ans et la formation obligatoire de 16 à 18 ans, sont inchangées ce qui en dit long sur leur caractère purement formel. La patte du Sénat se lit dans une nette aggravation du métier enseignant avec par exemple la formation continue obligatoire sur les congés ou l’introduction de directeurs supérieurs hiérarchiques des professeurs des écoles. L’école maternelle devrait le plus pâtir de la loi. Le système éducatif dans son ensemble sombre dans l’obscurité son évaluation étant totalement sous contrôle du ministre. Le Sénat a aussi pris des mesures aggravant la situation des familles pauvres. Tout cela interroge sur l’avenir politique de cette loi. Misons sur le fait que si le Sénat a tant chargé la barque c’est pour mieux négocier. Les principaux points de la loi devraient être appliqués dès la rentrée 2019.

Une victoire des enseignants

L’établissement public des savoirs fondamentaux, qui a tant mobilisé les enseignants est retiré de la loi. Sous la pression des enseignants et des maires, les sénateur LREM avaient proposé un amendement soumettant leur création à l’accord des conseils d’école et des CA de collège. Au Sénat les sénateurs ont exhorté le ministre à ne pas revenir sur l’annulation de cette mesure votée en commission. Le ministre a du reconnaitre que « le moment n’est pas venu ».  » Je le constate, il y a eu des malentendus autour de l’école du socle. Il faut donc prendre le temps de la réflexion en articulant ce sujet avec la question du directeur d’école et de la revitalisation du monde rural… Le débat est désormais très ouvert ; il nous occupera, au-delà ce texte, durant plusieurs mois, en concertation avec les syndicats et les associations d’élus », dit-il. Après ces propos, on voit mal comment l’EPSF pourrait revenir en commission paritaire. Avoir fait céder un ministre aussi autoritaire que JM Blanquer n’est pas une mince victoire pour les enseignants.

Article 1 maintenu

L’article 1 a été maintenu et même renforcé par les sénateurs qui ont retiré la mention aux droits des fonctionnaires que les députés avaient ajouté. Si , pour le ministre, l’article 1 « ne vise pas à accentuer le devoir de réserve des professeurs », ces propos sont contredits par l’étude d’impact réalisée par ses services, comme le Café l’avait révélé dès décembre 2018, et par la pratique ministérielle qui voit déjà des enseignants sanctionnés pour leurs propos. Il faudrait une très forte mobilisation des enseignants pour que cet article ne soit pas retenu dans le compromis assemblée – sénat.

Les drapeaux à l’économie

On a beaucoup parlé du drapeau et de la Marseillaise. Le Sénat a maintenu les drapeaux français et européen, la Marseillaise, et ajouté la devise de la République dans chaque salle de classe. Mais il l’a fait à l’économie en remplaçant le mot « présence » des drapeaux par « affiché ». Il y aura donc dans chaque salle de classe une affiche avec les drapeaux etc. Les sénateurs on obtenu que le ministère paye la note. Dans le même genre il est précisé que toute carte de France devra comporter les territoires d’outre mer. Le tout applicable à la rentrée.

Le métier enseignant aggravé

Plus grave, le Sénat a saisi l’occasion de la loi pour y glisser une dizaine d’articles nouveaux qui aggravent le métier enseignant. Ainsi la formation continue devient obligatoire dans le 2d degré (elle l’est déjà dans le 1er) et aura lieu durant les congés sans être obligatoirement rémunérée. Cette mesure applicable dès la rentrée n’est pas une surprise. Oh coïncidence ! le ministère a déjà rédigé un projet de décret en ce sens. L’article 6 ter fait des directeurs d’école les supérieurs hiérarchiques des professeurs des écoles. Ils seront évalués par eux. Cet article ajouté par le Sénat prétend trancher un point qui divise les directeurs et les enseignants. A noter que le ministre s’est y déclaré défavorable, même si dans ses ouvrages il a la même position que la commission du Sénat.

Les sénateurs ont aussi renforcé la possibilité d’annualisation des services. Pour le ministère l’annualisation est une source d’économies très importantes.  » L’annualisation du temps de service conduirait à dégager d’importantes économies de postes. Cela faciliterait grandement l’organisation des activités scolaires en particulier les remplacements », disait la Cour des comptes en 2013. L’article 8 cite « la répartition des heurs d’enseignement sur l’ensemble de l’année scolaire » dans les expérimentations facilitées en retirant « dans le respect des obligations réglementaires de service » que l’Assemblée avait mis.

Les règles d’affectation des enseignants sont aussi largement modifiées. L’article 8ter prévoit la dérogation au statut pour l’affectation « dans un environnement social défavorisé », dans une zone rurale ou de montagne. L’article 14 quater donne au chef d’établissement un droit de regard sur les affectations. Le 14 ter crée un « contrat de mission » permettant de déroger aux règles d’affectation. Tout cela est applicable dès 2019. Le Sénat a aussi pensé à supprimer un article qui demandait au ministre un rapport sur la médecine du travail des enseignants (art 13bis)… Il a maintenu les articles permettant à des assistants d’éducation suivant des études pour devenir enseignant d’effectuer des remplacements (application 2019).

La maternelle la plus affectée

Mais c’est la maternelle qui va être la plus impactée par la loi. L’instruction obligatoire à 3 ans n’a aucun impact sur les enfants de cet âge. En effet sur les 28 000 enfants non scolarisés à 3 ans (sur environ 800 000), 10 000 sont dans des jardins d’enfants maintenus, 8 000 dans des territoires où concrètement la loi ne sera pas appliquée (Guyane et Mayotte) avant des années. Le restant relève de l’enseignement spécialisé.

Le premier impact de cette mesure c’est la prise en charge par les communes des maternelles privées sous contrat avec compensation par l’Etat. Le Sénat a étendu celle ci aux communes qui payaient déjà les maternelles privées. Ce sera surement au coeur du compromis final. De 100 à 200 millions vont être transférés au privé sous contrat sans aucun service supplémentaire rendu en échange. Et cet article entre en application à la rentrée 2019.

Comme l’a souligné Pascale Garnier, cet article va changer la position de l’école maternelle qui devient une école obligatoire et risque d’être une élémentaire allongée aux dépens de ses spécificités.

Le Sénat a ajouté un article qui prévoit que le directeur pourrait donner dérogation à la scolarisation toute la journée pour les enfants de 3 ans (dès 2019). Il a retiré un article demandant un plan départemental d’accueil des moins de 3 ans, enterrant ainsi une avancée de la maternelle de ces dernières années.

Un compromis semble avoir été trouvé sur le devenir des « jardins d’enfants », des structures payantes qui accueillent environ 10 000 enfants de familles plutot privilégiées. L’Assemblée avait prévu de laisser ceux ci accueillir des enfants encore 3 ans. Le Sénat les pérennise mais ne seront maintenus que les jardins créés avant la mise en oeuvre de la loi. Ainsi devrait être maintenue définitivement une structure parallèle à la maternelle, pas scolaire et socialement ségrégative.

Un système éducatif officiellement inégalitaire

Le Sénat a maintenu aussi les établissements internationaux (EPLEI). Ces structures, regroupant école, collège et lycée, sélectionnent les élèves sur la base de leur niveau dans une langue étrangère d’enseignement. Comme l’a bien vu un sénateur en séance, à 3 ans ce tri des élèves et purement social. Ces EPLEI pourront largement déroger aux programmes en vigueur. Ils pourront bénéficier de fonds privés avec ce que ça implique de concessions en retour. Le système éducatif français est connu pour être particulièrement injuste socialement. La loi Blanquer décide d’officialiser un système à deux vitesses. Il recrée de fait les « petits lycées » disparus après guerre et qui scolarisaient la bourgeoisie face à l’école primaire. Il faudra suivre de près l’évolution de ces EPLEI. Ce ne sera pas que des établissements neufs. De EPLEI pourront être ouverts dans des établissements existants officialisant une ségrégation interne. Et ça pourrait aller vite. C’est donc une mesure particulièrement grave qui rompt avec des décennies d’uniformisation de l’Ecole et donne une orientation tout à fait neuve au système éducatif. Les EPLEI sont applicables dès 2019. Ils ont juste besoin de l’accord des collectivités territoriales concernées.

Mises au pas

Le Sénat a entériné la suppression du Cnesco dès 2019 (art 9) et son remplacement par un conseil d’évaluation de l’Ecole qui comportera 8 membres sur 14 nommés par la majorité. Le Sénat s’est borné a augmenter le nombre de membres nommés par les assemblées (8). Avec le Cnesco disparait un organisme qui en quelques années a largement alimenté le débat sur l’Ecole et ainsi l’a fait progresser. Sa disparition pose la question de l’évaluation indépendante sur l’Ecole. Le ministre n’a que trop démontré comment il entend controler l’évaluation pour la soumettre à sa communication qu’il s’agisse des classes dédoublées ou des évaluations de CP. L’intérêt général exigerait une évaluation indépendante. Le sénateur Ouzoulias a plaidé pour que le Cnescointègre l’Opcest , un organisme parlementaire , mais en pure perte. Le ministre a promis une chaire pour le Cnesco et « des moyens importants ».

La loi prévoit aussi la mise au pas des Espe qui deviennent Inspe avec un directeur nommé par les deux ministres (éducation nationale et enseignement national) et un référentiel national laissé aux bons soins du ministre.

Enfin le gouvernement pourra prendre des ordonnances sur la réforme territoriale mais la loi en fixe les grands principes par exemple le passage de l’enseignement supérieur au seul recteur de région académique.

Une loi contre les familles pauvres

En ce qui concerne les familles, le Sénat a ajouté plusieurs articles qui frappent les familles pauvres. L’article 1 bis AAA rétablit la loi Ciotti et supprime les allocations familiales aux parents d’enfant absentéiste. Cette mesure n’a donné aucun résultat en Angleterre. Elle n’en avait pas donné davantage lorsqu’elle était appliquée comme l’a montré un rapport parlementaire. Le Sénat a retiré la mention « parent 1 parent 2 » prévue pour adapter les formulaires à toutes les familles sans les remplacer. Il a interdit les accompagnatrices voilées ruinant le travail fait dans les quartiers défavorisés pour rapprocher l’école et les parents. Il punit « le prosélytisme » autour des écoles, une formule très floue et dangereuse. Son initiatrice estime par exemple qu’un femme voilée c’est du prosélytisme. Il a annulé le droit donné aux dasen d’inscrire d’office des enfants qu’un maire refuserait d’inscrire, cas qui existe bien. Il a crée une obligation de visite médicale à 3 ans en la confiant à la PMI et non l’éducation nationale. Enfin il a même pensé à revenir sur le droit d’accès la cantine en stipulant dans l’article 20bis que « les inscriptions à la cantine s’effectuent dans la limite des places disponibles » ouvrant ainsi la porte aux refus d’inscriptions pour les plus pauvres.

Le droit à la formation de 16 à 18 ans proclamé par la loi est lui aussi formel. Son exécution est confiée aux missions locales qui voient leur budget largement amputé par le gouvernement. Le droit est mis dans la loi sans les moyens pour le faire respecter.

En ce qui concerne le handicap, la loi prévoit la prise en compte des élèves des ULIS dans les effectifs des écoles et établissement, ce qui est une bonne mesure. Mais elle maintient les PIAL, des structures crées pour gérer à l’économie les accompagnants, comme l’avaient expliqué des cadres du ministère. La carrière des AESH n’est pas améliorée : CDD de 6 ans, si ce n’est l’élaboration d’un référentiel national de formation.

La majorité sénatoriale a assoupli le contrôle de l’instruction à domicile en donnant par exemple le droit aux parents de refuser un inspecteur. (art 5) et en leur donnant un droit d’information sur le controle. Par contre le controle des établissements hors contrat est renforcé :informations sur leur évolution (art 5). Avec l’article 5 bis BC, l’administration aura le droit de faire scolariser ailleurs les élève d’une école hors contrat de son propre chef encas de risque pour l’ordre public. Cet article répond au problème de JM Blanquer qui a promis de fermer une école d’après lui « salafiste » à Echirolles et engagé les parents de scolariser leurs enfants ailleurs alors que la justice n’a pas tranché sur le devenir de cette école. Cet article légalise un coup de force.

Dans un autre domaine, un autre article va dans le même sens; les sénateurs autorisent les collectivités locales à déroger aux règles des marchés publics pour construire des écoles à Mayotte et en Guyane avec tous les risques de corruption que cela entraine.

Quel avenir pour cette loi ?

Quel peuvent-être le devenir politique et factuel de cette loi ? Le texte final du Sénat est très différent de celui de l’Assemblée. Après son adoption par le Sénat le 21 mai, une commission mixte paritaire regroupant sénateurs et députés va se réunir. Le gouvernement veut un compromis pour appliquer le texte dès la rentrée. En cas de désaccord le texte reviendrait devant les assemblées et la loi perdrait une année.

Il est probable qu’il sera trouvé. L’EPSF parait définitivement enterré. La compensation de toutes les communes pour les maternelles rivées semble probable. La formation obligatoire des enseignants sur les congés est déjà en préparation par le ministère.

Il reste des points politiques importants comme les allocations familiales , les accompagnatrices voilées, les pouvoirs du directeur. Sur ces points très politiques, JM Blanquer a pu grâce au Sénat se donner une image de gauche qui lui manquait. Alors qu’un autre avenir politique se dessine peut-être et que sa cote de popularité est au plus bas, il devrait saisir l’occasion.

Mais ce sont les enseignants qui auront le dernier mot. Le Baromètre Unsa a montré que le fossé entre eux et le ministre est énorme (6% seulement des enseignants approuvent la politique ministérielle, du jamais vu). Leur mobilisation a déjà fait reculer JM Blanquer sur les EPSF, un point important de la loi. Si elle continuait et se renforçait l’avenir de la loi serait à nouveau compromis.

François Jarraud

Le dossier législatif du Sénat

Notre dossier sur la loi Blanquer