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« Nous avons besoin d’enseignants qui ne soient pas de simples exécutants de prescriptions détaillées, mais de vrais professionnels ». Caroline Viriot-Goeldel est maître de conférence à l’ESPE de Créteil. Elle analyse, pour le café pédagogique, la circulaire de rentrée.

Les évaluations « invitent à la mise en œuvre d’interventions pédagogiques ciblées pour conduire un accompagnement personnalisé auprès des élèves et les aider à dépasser leurs difficultés »

Dans cette circulaire, on invite les enseignants à utiliser les données de l’évaluation pour ajuster leur action pédagogique, un principe aujourd’hui assez consensuel, mais dont la mise en œuvre est loin d’être évidente.

Dans le domaine de la lecture, on sait aujourd’hui que ces interventions ciblées doivent être intensives : reste à décider où placer ces heures dans la semaine scolaire. Les enseignants disposent certes d’une heure d’activités pédagogiques complémentaires (APC), mais cela semble bien insuffisant par rapport au volume horaire des dispositifs dont la recherche a montré l’efficacité dans d’autres pays. Ces heures doivent-elles aussi prendre place pendant le temps ordinaire d’apprentissage ? Et dans ce cas, vont-elles se substituer à d’autres apprentissages ? Ces interventions ciblées nécessitent une présence appuyée du maitre : les temps de travail en autonomie qu’elles imposeront aux autres élèves de la classe seront-ils fructueux pour ces-derniers ? Rappelons enfin qu’outre-Atlantique, par exemple dans le cadre de la Réponse à l’Intervention (1) , ces interventions ciblées sont réalisées à l’aide de moyens d’enseignement supplémentaires.

A ces questions organisationnelles s’ajoute celle des contenus de ces interventions, elle aussi fort complexe, comme en témoigne la multiplication des expérimentations conduites en langue anglaise ces deux dernières décennies. Autrement dit, il ne suffit pas de décréter des actions ciblées pour que celles-ci portent leurs fruits. La réflexion sur ce sujet mérite d’être poursuivie avec les chercheurs et les enseignants.

« Une priorité : l’enseignement structuré du vocabulaire oral »

Cette priorité mise sur l’enseignement du vocabulaire oral correspond aux connaissances scientifiques actuelles à plusieurs égards. D’abord parce qu’un faisceau de résultats de recherche souligne le poids important du vocabulaire dans la compréhension en lecture. Si les dispositifs d’enseignement de la compréhension expérimentés outre-Atlantique peinent à produire des effets significatifs de taille importante, ceux qui comportent un volet d’enrichissement lexical semblent mieux à même d’améliorer la compréhension des élèves. Le développement du vocabulaire apparait ainsi comme un levier puissant de l’amélioration de la compréhension chez tous les élèves. Ensuite parce que le vocabulaire est fortement dépendant du milieu social des élèves. Une étude américaine estime à 30 millions la différence entre le nombre de mots rencontrés par les enfants de milieux favorisés et ceux de milieux défavorisés durant leurs quatre premières années de vie (2) . A ce titre, l’accent mis sur l’enseignement du vocabulaire apparait comme une piste pour réduire les inégalités scolaires, ce phénomène qui fait que dans notre pays aujourd’hui, les élèves issus de milieux défavorisés réussissent nettement moins bien que les autres. Cette piste, encore peu développée dans les programmes du cycle 1, fait enfin l’objet de recommandations institutionnelles.

« Atteindre l’objectif d’une lecture d’au moins 50 mots à la minute en fin de CP »

Fixer des objectifs ambitieux en matière de fluence n’est pas négatif en soi, mais il ne faut pas laisser croire que les élèves qui n’atteignent pas le seuil de 50 mots à la minute sont en difficulté. Le test Oura (3) par exemple fixe à 20 mots par minute le seuil en-dessous duquel les élèves sont en grande difficulté fin CP. Les élèves avancent à des rythmes différents, et les choses sont loin d’être jouées à la fin du CP. Plus que le score en lui-même, c’est la progression de l’élève qui est importante. C’est plutôt une absence d’évolution sur plusieurs mois qui doit alerter l’enseignant.

« Dès la petite section, la construction d’une conscience phonologique est régulièrement travaillée. Elle se structure jusqu’à la grande section par des activités appropriées ». « Au CE1, la fluence continue de faire l’objet d’un travail très régulier ».

L’importance de la conscience phonologique et de la fluence n’est plus à démontrer. La question qui se pose est celle de savoir quelles sont ces activités « structurées » et « très régulières » que l’on invite les enseignants à mettre en place. Des interactions langagières riches, l’apprentissage de comptines et de poésies, les jeux de langage peuvent permettre par exemple de développer la conscience phonologique de la majorité des enfants, préparant ainsi le terrain pour un apprentissage de la lecture fructueux. Nul besoin donc de passer toutes les matinées de grande section de maternelle à entrainer les élèves à segmenter en phonèmes par groupes de 4 élèves au détriment de tous les autres apprentissages.

De la même façon, la fluence s’acquiert généralement progressivement, au fur et à mesure de la pratique de la lecture. Il n’est pas nécessaire, pour la majorité des élèves, de multiplier les ateliers de lectures répétées et chronométrées des mêmes textes, et ce au détriment de lectures variées en histoire, en géographie ou en sciences qui viendront, elles, enrichir le lexique et les connaissances des élèves et donc, améliorer leur capacité à comprendre les textes.

Rappelons ainsi que la grande majorité des élèves n’ont aucunement besoin de ces entrainements systématiques et intensifs que l’on voit fleurir un peu partout. Ils doivent être réservés aux élèves les plus faibles ; mais leurs enseignants devront alors prendre garde à ne pas cantonner ces derniers à ces exercices systématiques et mécaniques pendant que d’autres se livrent à des activités mettant en œuvre des apprentissages plus riches, porteurs de sens et favorisant l’acquisition de compétences de haut niveau, tant dans les domaines des compétences langagières, des connaissances du monde ou du raisonnement. Il serait préjudiciable que l’enseignement de la lecture en classe ordinaire évolue vers une succession d’entrainements d’habiletés isolées, à l’image de certains protocoles expérimentaux mis en place dans le cadre de recherches scientifiques à des fins de production de connaissances.

Et la compréhension ?

Si la compréhension n’est pas absente de cette circulaire de rentrée, ne serait-ce parce que l’amélioration de la fluence et l’enrichissement du vocabulaire contribuent à son amélioration, elle en est à tout le moins le parent pauvre. Si les documents institutionnels récents témoignent d’une volonté de faire porter l’effort des maitres sur le code, on attend désormais qu’une attention particulière apportée à la compréhension vienne rétablir l’équilibre. L’enquête internationale PISA 2015 montre en effet que le nombre important d’élèves de 15 ans présentant des performances très faibles en compréhension de l’écrit, et notamment en ce qui concerne les textes informatifs.

Pour conclure

Au final, dans cette nouvelle circulaire, les mots « régulier », « structuré » reviennent souvent, accompagnés d’indications de durées ou de seuils à atteindre. Face à ces document extrêmement prescriptifs et normatifs, il faut espérer que les maitres sauront construire en classe l’équilibre entre ces tâches répétitives hautement structurées évoquées dans cette circulaire – certes d’autant plus nécessaires que les élèves sont faibles, mais loin d’être suffisante pour former un lecteur compétent- et celles permettant d’apprendre à comprendre des textes, à acquérir des savoirs par la lecture et à raisonner, des compétences vitales pour tous. Pour cela, nous avons besoin d’enseignants qui ne soient pas de simples exécutants de prescriptions détaillées, mais de vrais professionnels capables d’équilibrer les différentes composantes de la lecture en fonction des besoins de leurs élèves.

Caroline Viriot-Goeldel

Notes :

1 La réponse à l’intervention est un référentiel développé aux Etats-Unis pour penser et combattre les difficultés scolaires. Ce terme a fait cette année son apparition dans plusieurs documents institutionnels français.

2 Hart, Betty; Risley, Todd (2003). « The early catastrophe: The 30 million word gap by age 3 ». American Educator, 4(9).

3 Test disponible sur http://www.cognisciences.com/