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A deux semaines du début du bac, qu’est ce qui motive plusieurs syndicats à tenter une grève des examens ? Frédérique Rolet dirige un des syndicats (Snes Fsu, Snuep Fsu, Snetap Fsu, Cgt, Sud, Snalc, Sundep, Cgc) qui ont lancé cet appel avec les stylos rouges et la Chaine des bahuts. Elle explique pourquoi cette mobilisation se construite. Et rassure les élèves et leurs parents :  » Nous n’allons pas bloquer les examens ».

Faire grève un jour d’examen est particulièrement sérieux. Qu’est ce qui motive cette décision ?

C’est une mesure exceptionnelle pour des enseignants qui sont attachés à la réussite de leurs élèves. Ce qui la motive c’est un long processus d’alerte du ministre sur les problèmes posés par ses réformes. Il y a eu des mobilisations, des demandes de rencontre, des lettres ouvertes, tout cela resté mort ou même a donné lieu à une communication agressive du ministère sur le thème des « bobards ». On peut dire qu’il y a eu un véritable déni des problèmes que nous avons portés.

A cela s’ajoute tout ce qui tient à la rentrée 2019 et la réforme du lycée : des suppressions de postes, des inquiétudes sur les emplois du temps, la prise de conscience des inégalités entre établissements, ceux qui ont le plus d’amplitude dans les formations étant ceux qui étaient déjà les mieux lotis. Il y a la prise de conscience des stratégies des établissements vis à vis des élèves en ce qui concerne le choix des spécialités, certains laissant les élèves libres de choisir puis expliquant ensuite qu’il est impossible de les ouvrir toutes, d’autres proposant des choix contraints aux élèves…

Il y a aussi le nouveau bac. Là aussi on a alerté sur le fait qu’il fait améliorer son contenu et le nombre d’épreuves et garder un caractère national à l’examen. Avec le calendrier des évaluations des enseignements de spécialité on s’aperçoit que le temps d’enseignement en terminale et en première va être réduit. Les évaluations devront être terminées avant les vacances de printemps ce qui veut dire, pour certaines académies, début avril. Il faudra donc faire le programme de terminale sur un temps réduit avec des élèves qui se demanderont quel est le statut des cours après les évaluations… En même temps la réforme va transformer les lycées en centre d’examen sur plusieurs semaines et cela aura des conséquences sur les cours de 2de. Le ministère arrive à la fois à déconstruire le caractère national du diplôme et à mettre ne place quelque chose de très compliqué.

A cela il faut ajouter la loi Blanquer, très contestée aussi par des parents et des élus locaux. L’article 1, qui est vu par les personnels comme la volonté de les contraindre à l’absence de critique envers l’institution, lui donne une tonalité très autoritaire.

Tout cela fait beaucoup. On a alerté le ministre. Encore récemment dans une lettre ouverte je l’ai prévenu que le discours tenu pouvait susciter des réactions.

L’annonce de la grève soulève de nombreuses protestations. Que dites vous aux parents ?

On est très soucieux des parents et des élèves. Les parents ont manifesté avec nous contre la loi Blanquer . Ils voient bien l’accentuation des inégalités. On leur explique qu’il ne s’agit pas de pénaliser les élèves mais d’envoyer un signal fort au ministre. Il reste 15 jours d’ici le 17 juin pour qu’il montre des signes d’ouverture. Mais ses derniers propos ne vont malheureusement pas en ce sens.

Nous n’allons pas bloquer les examens. Au pire il y aura des endroits le premier jour des épreuves où il manquera des surveillants et où le calendrier sera décalé d’une journée.

C’est une grève d’une journée ?

On ne peut rien prédire. Si la mobilisation est très forte il est possible qu’il y ait des suites. Mais pour l’instant il s’agit des 17 et 27 juin.

Ne passez vous pas du coup à coté de la revalorisation et de la principale réforme qui est celle de la Fonction publique ?

La revalorisation est une demande très forte des collègues. D’autant que le ministre en parle mais sans donner de calendrier ou proposer de rencontre. Il la lie à la réforme des retraites et donc à des primes ce qui ne correspond pas aux attentes des enseignants.

En ce qui concerne la réforme de la Fonction publique, elle est liée aux réformes de l’éducation nationale. On voit qu’on renvoie de plus en plus au local et à une gestion autoritaire manageriale. On voit aussi qu’on augmente le nombre de contractuels. Le gouvernement veut aussi individualiser les rémunérations et rendre inopérante les commissions mixtes paritaires , ce qui diminue les garanties du personnel.

Mais la réforme de la Fonction publique dépasse les enseignants. On n’abandonne pas ce terrain mais on a encore un travail d’explication à faire sur le terrain pour faire prendre conscience de ce que veut dire la réforme.

En 2003 l’appel à la grève du bac n’avait pas donné de résultats…

En 2003 il s’agissait d’un mouvement interprofessionnel contre la réforme des retraites. Certains établissements avaient suivi d’autres non. Cette année on est sur des questions purement éducatives.

Un syndicat peut s’opposer à une réforme ?

Il peut mobiliser la profession. Un gouvernement peut toujours passer en force. Mais des réformes mal pensées et construites contre les personnels ont peu de chance de s’appliquer.

Par exemple on peut se demander ce que deviendra le nouveau programme de philosophie qui est refusé par les enseignants qui le jugent infaisable ou inadapté aux élèves. Ce qui a pu être dit par nous ou pendant la consultation n’a pas été pris en compte.

Les enseignants résistent sur des questions de métier face à des mesures qu’ils jugent ne pas faire sens. Dans ce cas la réforme est vidée de son contenu.

Propos recueillis par François Jarraud