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Avec « Les défricheurs » ( diffusé sur France 3 le 10 juin à 23h45) , le sociologue Fabien Truong est devenu réalisateur. Auteur d’une thèse remarquée sur les jeunes de banlieue (Jeunesses françaises, La Découverte), il suit dans Les Défricheurs trois élèves de terminale du lycée Paul Eluard de Saint-Denis (93). Mais le film est tout sauf une thèse de sociologie. Ces c’est l’épaisseur de la vie et de la personnalité de ces 3 jeunes que le film partage avec nous. Dans cet entretien, Fabien Truong raconte ce voyage du livre de sociologie vers la réalisation d’un film, entre continuité sociologique, fidélité à ces jeunes et accidents de la vie. Il faut tout cela pour construire cet ensemble d’images animées et retranscrire la vie complexe et la destinée non écrite de ces jeunes.

Comment est né ce film ?

Il résulte de rencontres imprévues. J’avais été contacté par Héliox Productions pour tirer un documentaire de mon livre  » Jeunesses françaises ». Mais je ne voulais pas refaire ce que j’avais fait dans le livre. Or j’ai accompagné comme sociologue un groupe d’une classe de première du lycée Paul Eluard de Saint-Denis (93) en Nouvelle Calédonie dans le cadre d’Au bout de la route, le projet développé par Jean Pierre Aurières. On a vécu ensemble des moments fort et je me suis dit que je pouvais filmer ces jeunes. La troisième rencontre c’est celle du réalisateur Mathieu Vadepied. Il a filmé des jeunes de Stains dans « La vie en grand ». On a découvert qu’on partageait beaucoup de choses. Et on a travaillé ensemble pour ce film.

Quelle a été votre participation dans ce film qui est signé des noms de M Vadepied et du votre ?

Dans ce travail les étiquettes de cinéaste et de sociologue ont sauté. On a partagé l’écriture du film, sa production et sa réalisation. Le sociologue est devenu un peu cinéaste et le cinéaste sociologue. On a commencé et écrit le film en même temps. On a commencé à filmer la visite d’anciens élèves dans la classe de JP Aurières qui racontaient leur parcours aux jeunes de terminale qui réfléchissent à leur orientation (ces visites ont donné naissance à une série de 12 épisodes de 2 minutes). On a vu ce que ça produisait chez les jeunes. On est parti du principe qu’on allait suivre les 3 jeunes qui sont les personnages principaux du film.

Quand on les a suivi on ne s’est pas contenté du lycée. On a traversé différents espace avec eux : la famille, les copains. Ils parlent de ce que sont les études pour eux. On les voit se tromper. Leur histoire n’est pas une success story. Ca nous a valu d’ailleurs des difficultés pour trouver les financements. Ce qu’on filme ce n’est ni l’échec ni le succès de ces jeunes, mais leur transformation dans un parcours où il sne savent pas toujours où ils vont.

C’est différent du livre « Jeunesses françaises ? »

Il y a une filiation dans le regard porté sur les jeunes et le parti pris de les suivre. Les choix de ce qu’on a gardé pour le film s’appuient sur l’expérience du sociologue, sa connaissance des contextes qui sont montrés dans le film. Mais c’est très différent. D’abord parce qu’on a provoqué des situations, des conversations, par exemple en famille. Surtout parce que ce film n’est pas une thèse de sociologie. Le livre construit une théorie. Ce n’est pas le cas du film. On est porté par la beauté des images, par les émotions et pas par une démonstration théorique. Quand on voit Amin avec ses copains le soir pendant le Ramadan, avec sa maman, au centre aéré avec les petits, ces cènes produisent un effet difficile à écrire dans un livre. On entend aussi les types d’élocution, les langages utilisés. Toutes chose qu’on ne trouve pas dans un livre de sociologie.

Les inégalités se sont renforcées depuis la publication de Jeunesses françaises. Elles sont même peut-être davantage admise dans une partie de la société. Le message du film est optimiste ou pessimiste ?

Ce n’est pas à moi de le dire. Dans le livre il y avait une thèse, un message. Dans le film il n’y a pas de message univoque. On est dans les nuances. Il y a des moments durs traversés par ces jeunes. On voit la violence des inégalités. Mais on voit aussi comment ces jeunes rebondissent. Tout est dans les nuances. Il y a les inégalités vécues par ces jeunes. Mais il y a aussi leur stratégie de contournement, leurs ruses, leurs façons de faire face ou avec. Le contexte détermine le parcours de ces jeunes mais en même temps il y a toujours de l’inattendu. Finalement quand on a projeté le film au lycée P Eluard c’est ce qui a plu aux jeunes. Ils ont eu le sentiment d’être représentés.

Qu’attendez vous de la diffusion de ce film ?

Avec la diffusion, le film nous échappe. On espère qu’il va toucher un autre public que celui du livre. On aimerait qu’il soit vu par les jeunes. Et que les nuances portées par le film fassent du bien.

Propos recueillis par François Jarraud

Les défricheurs , 52 minutes, Héliox Production

sur France 3 Ile-de-France le 10 juin à 23h45.

Puis sur France 3 national le 1er juillet à minuit 30.

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