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« Rien ne permet d’être certain que l’école a raison d’enseigner ce qu’elle enseigne, en quoi elle ne croit plus toujours, en dehors de nourrir la machine des évaluations ». Inspecteur général honoraire, professeur à l’université Paris Descartes, Roger-François Gauthier se libère avec ce livre alerte (Crises des programmes scolaires. Vers une école de la conscience. Berger Levrault) qui se lit comme un roman. Il pose de façon radicale la question des programmes. Plutôt que prolonger l’empilement des disciplines scolaires traditionnelles, il invite à réfléchir à ce que l’on veut vraiment transmettre aux jeunes d’aujourd’hui. Cela amène à s’interroger sur les valeurs que l’école doit enseigner, pas comme elle le fait aujourd’hui en cours, mais des valeurs qui doivent être au centre des programmes et les fonder. C’est à cette « école de la conscience », qui est aussi celle des curriculums, que RF Gauthier nous invite. Il s’en explique dans cet entretien.

Vous présentez l’école comme en crise terminale. Que voulez vous dire ?

Dans ce livre j’aborde l’école sous l’angle des savoirs. Et c’est à partir de cela que je suis préoccupé. On sait que l’école sert à mettre en compétition les élèves. Mais que sait-on vraiment de ce que les enfants apprennent ? Si je prends le cas français (il occupe la moitié du livre) , on voit bien qu’il y a des foires d’empoigne à propos des programmes par exemple au lycée en ce moment. Chacun vante sa discipline. Mais ce n’est pas sérieux. Or une école qui n’est pas au clair sur ses finalités en terme de savoirs ne sert plus à grand chose. On peut craindre que des intérêts privés disent : « on va faire mieux ».

Justement vous êtes critique sur la « machine à fabriquer des programmes » sous Blanquer. Que lui reprochez vous ?

Il y a eu en France plusieurs tentatives pour créer des organismes chargés des programmes : le CNP en 1990-2005, puis le CSP depuis 2013. Ces structures visaient à mettre de la cohérence dans la rédaction des programmes. Quand le CSP, dont j’étais membre, travaillait sur la scolarité obligatoire (NDLR : avant JM Blanquer) il y avait une recherche de méthode et de cohérence. On se préoccupait de ce que devait savoir un enfant sortant de l’école. Aujourd’hui cette perspective , s’occuper du tout avant des parties, est abandonnée. Mais ce n’est pas une surprise. Le socle commun est un fiasco. Et la culture du lycée n’est pas capable de travailler sur ce sujet du fait de la forte prégnance des disciplines. Le CSP ne réfléchit pas à ce qu’est le lycée et ce n’est pas dans ce sens que se sont engagées les réformes du lycée et du lycée professionnel.

Vous écrivez que les savoirs scolaires ne sont pas fondés. Alors par quoi les remplacer ?

Ils ne sont pas fondés de manière naturelle. Aucune loi naturelle n’impose qu’on enseigne ceci plutôt que cela. C’est une question sociétale que de savoir s’il faut une école et pour quoi faire, pour apprendre quoi ? C’est dans le cadre d’un travail sur la finalité du système éducatif qu’on peut réfléchir – mais ce n’est pas le cas aujourd’hui en France – aux savoirs à enseigner. Les savoirs disponibles sont immenses. Il faut donc se donner une méthode pour penser ce qu’il faut retenir.

Ce qui est fascinant c’est qu’aujourd’hui ces questions ne sont posées nulle part. L’école est là pour la compétition mais finalement pas pour que les élèves apprennent. Or face à l’échec scolaire on ne peut plus se dire qu’il faut simplement former les maitres autrement. Des systèmes éducatifs interrogent les savoirs eux-mêmes. C’est le cas par exemple dans plusieurs pays d’Afrique.

La question des programmes est marginalisée dans notre pays. Mais ce n’ets aps le cas ailleurs où on assiste à une épidémie curriculaire. Même à Singapour elle est posée. L epays est marqué par le confucianisme et donc la compétition. Mais il réfléchit aussi à ce qu’il faut apprendre pour que vivent ensemble les 4 communautés du pays.

Dans le livre vous dites qu’il faut remplacer les programmes par une approche curriculaire. De quoi s’agit -il ?

Jusqu’ici pour des raisons historiques l’école a fonctionné avec des enseignements disciplinaires qui n’ont pas été faite pour l’enseignement. Un programme qui se contente d’empiler ce qui vient des disciplines pouvait marcher il y a quelques décennies. Mais aujourd’hui ça marche moins bien. Le rapport au savoir des élèves ne peut plus être dans la juxtaposition des disciplines. On est confronté à un objectif de cohérence, de sens.

Pour des raisons historiques, ses origines chrétiennes, l’école tourne le dos à la vie. Elle s’est ouverte peu à peu aux sciences et à la raison. Mais pas à la vie.Quand on regarde les pays étrangers on voit des écoles où on fait l’apprentissage de la vie : se vêtir, bricoler, s’alimenter par exemple.

Il faudrait oser penser radicalement autrement la question scolaire en se demandant quels seraient les acquis souhaitables pour les élèves de tel niveau. Mettre de la cohérence entre les savoirs et aussi entre les savoirs scolaires et les savoirs du monde. Les élèves veulent une école qui ait du sens. Et qu’on cesse de tourner le dos à la vie.

Quelle place donner aux Life Skills ?

Je sais que sous cet intitulé on met parfois des compétences qui sont celles dont rêve un patron… Mais les savoirs de la vie ne sont pas des savoirs de seconde zone. Par exemple on voit bien dans la crise politique actuelle à quel point les savoirs du droit sont nécessaires. Je vois beaucoup de pays où les enfants apprennent des choses sur les procédés et les matériaux alors que chez nous l’enseignement de la technologie est très théorique. Je l’ai proposé au CSP. Mais je n’ai obtenu que des rires. Alors pour les Life Skills tout reste à faire.

Dans votre ouvrage vous dites que l’école doit veiller à définir le régime de vérité des savoirs. Que voulez vous dire ?

Ce n’est pas qu’une question française. On est dans un monde où règle le relativisme. Ca a pris un tour officiel dans plusieurs systèmes éducatif comme dans certains états des Etats-Unis ou en Turquie où on peut enseigner ceci et cela à charge pour l’élève de se débrouiller.

Or les enfants ont besoin de vérité. Il faut que l’école soit armée pour montrer qu’il y a un régime de vérité. Il faut enseigner la méthode pour accéder à la vérité. Par exemple l’école doit vacciner les élèves contre les fake news. Elle doit prendre en compte les représentations des élèves pour les faire progresser.

Il faut aussi que l’esprit critique puisse s’exercer tout azimut dans l’école y compris dans des domaines épargnés jusque là comme les science et les maths. Par exemple un programme de maths qui ne met pas en garde les élèves contre les l’algorithmique ne fait pas son travail. Or l’école nele fait pas. Elle n’aborde pas de façon critique les questions des data ou de l’intelligence artificielle. Elle ne parle jamais de ce qui peut être utile…

Qu’entendez vous par : « l’école doit expliciter ses finalités » ?

Certains pats, les scandinaves par exemple, posent cette question des finalités de l’école. Quelles seraient les valeurs d’une école juste et qui rende service ?

« L’école de la conscience » que vous appelez c’est une école basée vraiment sur des valeurs ?

Je n’aime pas ce mot trop utilisé. Les finalités de l’école doivent être écrites en fonction de valeurs. Mais pas de valeurs préexistantes. Pas seulement les valeurs républicaines. Il faut aller plus loin dans les problèmes entre l’école et la collectivité nationale. Par exemple la question des identités dans le programme d’histoire est majeure. On continue de par le monde d’écrire des programmes d’histoire qui sont des machines de guerre. C’est une question politique majeure.

Il faut se demander quels rapports l’école doit développer dans les têtes des élèves entre les différentes identités. Il y a des pays où on apprend beaucoup plus l’histoire du monde qu’en France. En Allemagne par exemple on a imaginé un enseignement de l’histoire qui invite à l’esprit critique et à la compréhension des positionnements. On en est encore très éloignés en France. Or si on ne prépare pas les élèves à cela, il vaut mieux fermer boutique.

Propos recueillis par François Jarraud

Roger-François Gauthier, Crises des programmes scolaires. Vers une école de la conscience. Berger Levrault 2019, ISBN 978-2-7013-2034-2

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